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Le 19 sep 2023

Le jardin des cœurs étroits de Marie Berchoud

Le village a perdu son "idiot", Jojo est mort de mort mystérieuse, une de ces morts à même de vous donner la stature qu’on vous a toujours refusée de votre vivant. C’est presque du "roman noir", c’est en tout cas une fresque sociale, un texte vibrant signé Marie Berchoud.
Le jardin des cœurs étroits de Marie Berchoud sur monBestSeller

 

Il arrive que des personnages de roman échappent au contrôle de leur créateur ;

ce que fit Sonia.

Sonia est née en 1999, dans un roman de Marie Berchoud intitulé "Sonia de Petschild", "l’histoire d’une très jeune fille à l'enfance dévastée qui a voulu tuer sa famille".

Après l’édition de l’ouvrage, en 2000, plus de nouvelles des personnages… Jusqu’à une nuit de 2007. Marie fait un rêve dans lequel apparaît une Sonia bien remontée et bien décidée à faire encore couler l’encre de son auteure.

Marie : "Elle voulait exister encore. Et c’est qu’elle insistait, la bougresse !" Alors, comment réagir devant un personnage qui s’obstine à ce point ? Une seule solution se présente à l’auteur : lui écrire une autre histoire.

 

Ainsi a pris naissance la nouvelle : "Au jardin des cœurs étroits".

Un village quelque part. Y vivent Sonia, Arturo, Anna, Annick, Guy… mais c’est surtout de Jojo dont il est question. Jojo, le bêtiot, qu’on a retrouvé mort, tombé dans l’bassin. Mort on ne sait de quoi : crise cardiaque, chute, plus vraisemblablement assassinat. Allez savoir. Mais mordu, ça, on sait, on voit. Mordu aux mains, au visage ; salement mordu, vilaines cicatrices sur le cadavre. Mordu avant ou après le décès ? Et qui pour mordre quelqu’un ainsi ? Il y aurait bien Lila, la petite sœur de Sonia. Lila qui mord quand on l’attrape. Et l’on sait, Sonia sait, que Jojo attrapait les filles et les petites aussi. D’ailleurs Sonia lui avait bien dit de mordre Jojo si jamais… mais Lili est en vacances. Alors qui ?

 

Le désir particulier de l’auteure, en revenant sur cette histoire

était de ne pas abandonner le Jojo, l’idiot, l’indigent, le gibier de foyer ou d’EHPAD, risée des « crétins conformes » ; "il fallait lui trouver une mort digne et belle et qui fasse mémoire au village". Le meurtre se présente à l’auteure comme la meilleure solution : "C’est propre, digne et carré". Jojo devenant une personnalité de son village, laissant derrière lui un mystère capable de lui donner "la stature qui lui avait été refusée sa vie durant".

 

"Au jardin des cœurs étroits" est un condensé de l’écriture de Marie Berchoud.

Une écriture que nous commençons à bien connaître sur le site ; une écriture tellement reconnaissable : poétique, certes, mais déchirée, désarticulée, ou plutôt "désossée". Une écriture que ne peut produire qu’une parfaite connaissance des règles (grammaire, syntaxe, ponctuation), car derrière une apparence décousue voire chaotique, le fil est tendu et le sens traverse le texte de part en part sans s’égarer.

 

A une époque où la plupart d’entre nous utilisons (tant bien que mal) l’écriture pour raconter des histoires, il est des auteurs, comme Marie, qui utilisent des histoires pour revêtir l’écriture. Et des histoires, Marie n’en manque pas.

"Au jardin des cœurs étroits" condense ces histoires. Elles sont, pour commencer, trajectoires et explorations par des personnages de la marge. Femmes et hommes sont projetés dans des existences foisonnantes, chacun donnant l’impression de vivre plusieurs vies à la fois, celle vue de l’extérieur, comme si les personnages se détachaient d’eux-mêmes pour devenir les spectateurs de leur histoire ; celle programmée par le tissu social qui les définit ; celle qu’ils portent en eux, dans les méandres de leur pensée ; celle, enfin, qui les brise.

"Il bavait, le Jojo, en parlant, en humant, en respirant même. Il bavait parce que c’était sa nature, idiot il était, à baver devant tout et n’importe quoi, à ne rien comprendre, mais un peu quand même, dans le brouillard dissimulant les vrais rapports entre les gens et entre les choses, et dans ce brouillard, il y voyait assez pour se diriger vers la bonté en évitant les cœurs étroits qui seuls triomphent dans l’existence."

"Le village avait perdu donc son idiot. Qu’est-ce qu’un village sans idiot, je vous le demande, un village orphelin, parce que celui qui apporte le tout-va-bien aux choses et aux gens s’est éteint."

 

Une anecdote à propos de "Sonia Petschild"

"Détail : je l’avais adressée à Jean d’Ormesson qui connaissait le coin, avec son château d’enfance pas loin. Il m’a répondu que c’était très bien, écrit et authentique, et ensuite il m’a longuement téléphoné, on a parlé de tout, rien, etc., une heure et demie, sic. Quant à m’aider à publier, ça… Les filles qui acceptaient de, ça marchait, paraît-il. Je n’ai pas eu l’envie d’essayer…."

Mais de véritable conclusion à cette chronique, il n’y en a pas. Sonia est déjà revenue une fois, et, comme m’a confié l’auteure : "Maintenant ? Je crains que l’un ou l’autre, Anna, Arturo ou Sonia ne se manifeste à nouveau".

 

Mazarine

 

"Sonia de Petschild" le roman à l’origine de la nouvelle.

"Sonia de Petschild" le roman à l’origine de la nouvelle.

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@gaetan b

Publié le 24 Septembre 2023

Je reviendrai plus tard ....

Publié le 22 Septembre 2023

@Mazarine ! Merci pour cette lecture maligne et subtile et en accord avec les personnages du bled, et je veux dire, pas seulement l'idiot mort, avec sa dimension énorme et dérisoire (on y viendra tous et toutes), mais aussi avec celles et ceux qui l'entourent et font le métier de vivre, chacun à leur façon et comme c'est possible. L'un ou l'une aurait tué ? Roooh ... et si c'était venu d'ailleurs, autrement ? En démarrant ce texte, je savais que Jojo était mort et qu'il fallait l'honorer d'une nécrologie car, figurez-vous, je le connais depuis le siècle dernier, il s'est invité dan s l'histoire de Sonia, c'était en plein dans les tempêtes de décembre 1999 et alors ça donnait ! Sonia désespérée avait même voulu tuer sa mère.... Je n'en dis pas plus. Y pas de place ici pour les solutions toutes mâchées. Lisez, inventez, émerveillez-vous, tremblez, aimez, que diable ! Et... à propos d'Ormesson : je lui avais déposé mon texte au secrétariat de l'Académie française, je passais devant pour aller faire cours aux Langues 'O

Publié le 19 Septembre 2023