Interview
Le 18 oct 2023

La vie secrète des guillemets. Par Emilie Brack pour monBestSeller

On pensait tout savoir sur les guillemets depuis qu’une certaine mode en a fait un élément du langage gestuel. Que nenni ! Les guillemets ont encore de quoi nous surprendre, et l’on peut compter avec l’enthousiasme juvénile d’Émilie qui enrichit son manuel, que dis-je, son encyclopédie, son petit dictionnaire de la ponctuation.
Comment utiliser les guillemets, par monBestSeller

 

La vie secrète des guillemets

D’une manière générale, on ne prête guère d’attention aux guillemets. Français ou anglais : on s’en bat les couettes. Pourtant, ils obéissent à des règles bien précises — et mieux vaut les connaître plutôt que de mourir dysguillemétiste.

 

Ô ma tendre Guillemette

Allons, ne sois pas si bête

Où veux-tu que je la mette

Sinon dans ta corniflette ? (*)

 

Autant le dire tout de suite (on n’est pas là, après tout, pour faire naître puis durer le suspense), les guillemets (**) n’ont strictement rien à voir avec cette niaise Guillemette, héroïne un peu bécasse de cette vieille chanson populaire du Sud-Ouest, que l’on chantait jadis à l’occasion des mariages et qu’on doit à un nommé Casradolag, un poète d’intérêt local.

 

(*) Variante : Sinon dans ta coquinette.

(**) Signalons qu’en allemand guillemet se dit anführungszei-chen ; ça ne sert pas à grand-chose de le savoir, sinon pour noter que les Allemands sont des gens bien compliqués.

 

Une querelle qui sent la poussière et la crotte de souris sèche

Eh bien non, les guillemets ne doivent pas leur nom à cette Guillemette (*), mais plutôt à un certain Guillaume Le Bé, imprimeur de son métier, Guillemet étant le diminutif de Guillaume. Toutefois, selon certains, cette paternité serait mensongère ; les premiers guillemets seraient apparus chez Josse Bade et Alda Manuce, tous deux imprimeurs, dès 1527, soit un demi-siècle plus tôt. Quoi qu’il en soit, je ne rentrerai pas dans cette querelle d’étymologistes, car elle sent trop la poussière et la crotte de souris sèche et que force m’est d’avouer ici que je n’en ai trop rien à secouer.

 

(*) Et c’est bien dommage, car je commençais à m’attacher à cette jeune niquedouille, à qui on ne peut pas reprocher d’avoir inventé l’eau tiède ni le fil à sculpter la margarine.

 

Le monde des guillemets est un très considérable bazar

Lorsqu’on dit « guillemets » (*), on croit avoir tout dit (« Quoi de plus simple ? demande ingénument l’homme de la rue [**] ; ce sont juste des petits machins, des petits trucs, des petits bidules, rien de plus. » Eh bien, l’homme de la rue a une fois de plus loupé une excellente occasion de se taire ; d’autant qu’on ne lui avait rien demandé ; n’aurait-il jeté rien qu’un coup d’œil rapide à l’article que Wikipédia leur consacre, il aurait tout de suite compris que le monde des guillemets est un sacré foutoir, une jungle quasi impénétrable où un tapir femelle n’aurait aucune chance de retrouver ses petits. (***)

Pour le plaisir de la chose [et parce que ça ne coûte pas très cher], je me permets de citer ici la fameuse encyclopédie en ligne : « À travers les langues et même les pays d’une même langue, l’usage des guillemets varie si fortement qu’un même guillemet est ouvrant ici, fermant là-bas, et son pendant apparié vice-versa [“…” contre »… “], s’il n’est pas remplacé par un autre caractère [“…” contre “…”]... » Et de continuer comme ça sur maints et maints paragraphes, car, quand on prend un pied pareil, il est bien difficile de s’interrompre — surtout quand on cherche à atteindre l’orgasme [****].

 

[*] Je ne peux résister à l’envie de rapporter ici ce que dit le Littré de sa prononciation, car c’est un grand moment de poilade : ghi-lle-mè, ll mouillées, et non ghi-ye-mè ; quelques-uns disent ghi-le-mè, sans mouiller ll, à tort ; le t ne se lie pas ; au pluriel, l’s se lie : les ghi-lle-mè-z et… ; guillemets rime avec traits, succès, paix, etc.

(**) Et la femme aussi bien, car, question connerie, elle n’est jamais loin derrière.

(***) Ni une dentellière, ses fuseaux.

(****) « Décidément, rugit Muriel, la désapprobation faite femme, tu ne peux pas t’en empêcher ! Tu serais une gamine, ça te mériterait une bonne fessée ! » À quoi je réplique : « Figure-toi, ma jolie, que je n’ai rien contre la fessée... » Et Maxine d’intervenir, en se léchant, langoureuse, les lèvres : « Je commence quand tu veux... »

 

Le bénitier de Saint-Sulpice

Loin des débordements de Wikipédia, et parce que je n’ai pas que ça à faire [*], je me propose de m’en tenir à ce qui se fait de plus courant dans la langue française.

Bon.

En français, on utilise deux formes de guillemets : les guillemets dits français [« »] et les guillemets dits anglais ["  "] [**]. Il faut toutefois noter que l’on n’utilise pas les uns ou les autres au petit bonheur la chance.

La fonction première des guillemets est de mettre en relief une expression, un terme ou une citation. S’ils peuvent aussi être utilisés pour signifier l’ironie [p. ex. Dans son dos, Gisèle, on l’appelait « saute-aux-prunes. »] et pour les mots cités en tant que mots, il n’est pas du tout séant de les employer pour les titres d’ouvrages, de journaux, de revues et de magazines ainsi que pour les noms de bateaux ou d’aéronefs, non plus que pour les mots étrangers. Pour tous ceux-ci, on choisira l’italique. Ainsi un cinéma pourra-t-il projeter Les Galipettes de tata Suzette et non « Le Gros outil de tonton Jules », ainsi Mélanie pourra-t-elle choisir de s’envoyer en l’air avec le Spirit of St.Louis et non avec le « Hindenburg ». Enfin, en ce qui concerne les noms de lieux, on n’utilisera aucun guillemet [par exemple : Il n’est pas convenable de montrer son cul sur le parvis de Notre-Dame et non Il est sacrilège de baisouiller dans le bénitier de « Saint-Sulpice »]. Au fond, et en dépit peut-être des apparences, tout cela est assez simple — et je me demande tout soudainement pourquoi je me troue la rondelle à essayer d’expliquer de pareilles évidences. (***) 

 

[*] J’ai en effet promis à Maxine de lui confectionner un costume de crevette (elle est invitée au Grand Bal annuel des Décapodes nageurs qui se tient, en présence du prince souverain et de son épouse, au Musée océanographique de Monaco ; je ne sais vraiment pas pourquoi je lui ai fait cette promesse ; l’amour sans doute ; je m’y connais en couture presque autant qu’en pétanque lyonnaise ; je possède deux mains gauches ; cela fait certes de moi une charmante ambidextre, mais une ambidextre de la race des manchots ; brèfle, l’affaire est des plus mal engagée.

(**) Pourquoi ces dénominations ? « De quoi j’me mêle ?! » répondrait Euphrasine, la petite dernière de nos voisins de palier (on se demande dans quel vide-grenier certains parents vont quérir les prénoms de leurs enfants), et elle aurait bien raison.

(***) En réalité, je ne me demande rien du tout ; c’est juste une clause de style ; je sais parfaitement à quoi m’en tenir sur mes névroses et, aussi, sur mon astrocytome anaplasique de grade 3, celui qui me fait régulièrement confondre mon perroquet Sidoine avec la Belle au Bois Dormant (je cherche toujours à le réveiller par un baiser alors qu’il picore sa pâtée, ma tumeur cérébrale me faisant inverser le proverbe Qui dort dîne).

 

Du danger de s’amuser avec un yatagan

Quoi qu’il en soit, et avant de nous séparer (*), j’aimerais ajouter une dernière chose (car, tant qu’on y est, autant boire la coupe jusqu’à la lie). Celle-ci concerne les guillemets à l’intérieur des guillemets. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on distingue les guillemets de premier, second et troisième niveau. « Qu’est-ce à dire, nom d’un caniche en rut ? se met à protester le parterre. Faudrait cesser un peu de nous prendre pour des catafalques ! » (**) En réalité, il n’y a guère de quoi perdre les pédales, aucune raison valable de s’enflammer le poireau. Dans notre langue, les guillemets de premier niveau sont ceux dits français (qu’on utilise, par exemple, quand on ouvre et ferme un dialogue) ; les guillemets de second niveau sont ceux dits anglais (qui interviennent à l’intérieur de guillemets de premier niveau) ; les guillemets de troisième niveau (qui peuvent intervenir à l’intérieur des guillemets de second niveau) sont de simples apostrophes, mais il est rarissime de les rencontrer et on peut très bien les remplacer, ne serait-ce que pour l’esthétique, par l’usage de l’italique. Un exemple, pour éclairer la chose : « Figure-toi que Sophie m’a dit : “Figure-toi que Pauline m’a dit : ‘Va te faire javelliser chez les tricératops !’ Je sais même pas ce que c’est, les tricéra-choses !” » (***) Pas terrible, comme on voit. Et il serait peut-être urgent de construire la phrase autrement, voire de cesser tout simplement d’écrire des sottises...

Brèfle, sur ce parfait exemple de charabia digne des meilleures productions du site, je prends congé ; j’entends Muriel m’appeler au secours parce qu’elle s’est accidentellement planté un yatagan dans l’œsophage (elle prépare un numéro d’avaleuse de sabre pour amuser les enfants lors du prochain Halloween) ; je vous aime bien, lectrices et lecteurs toujours avides de ma prose, mais enfin, il y a des priorités.

 

(*) Si tant est que vous ayez tenu jusque-là, ce dont doute mon amie Maxine, laquelle a, depuis un bon moment, quitté le navire, en proférant : « Faudra quand même, un jour, que tu cesses de prendre les usagers du site pour des nains de jardin ! » Ce qui est idiot, car j’ai toujours trouvé les nains de jardin beaucoup plus sexy que les usagers du site.

(**) Pourquoi des catafalques ? Pour ma part, je n’en ai aucune idée. J’imagine seulement que c’est un mot qui sonne bien à l’oreille du parterre. Le parterre n’est pas une science exacte, il ne faut pas l’oublier.

(***) Muriel : « Tu vois bien que, quand tu veux, tu trouves des exemples ailleurs que dans le domaine culier ! » Moi : « Tu ne vas quand même pas me reprocher jusqu’à ma mort une faiblesse passagère ? »

 

PS : Je m’aperçois soudain, Muriel ayant été expédiée de toute urgence à l’hôpital où il va être procédé sur elle à une résection du système digestif, que j’ai oublié un détail. En effet, lorsqu’on écrit un monologue qui occupera plusieurs paragraphes, il est de bon ton de placer des guillemets au début de chacun de ceux-ci. En revanche, les guillemets fermants ne seront posés qu’à la toute fin du monologue, i.e. à la fin du dernier paragraphe.

PPS : On m’informe que Muriel s’est réveillée, toute pimpante, de l’anesthésie. Selon son infirmière, ses premiers mots, réjouis, ont été ceux-ci : « Waouh ! Je ne me suis jamais sentie aussi légère ! Quand c’est qu’on me pratique une hystérectomie ? »

 

Émilie Bruck, née Brick à Brack

 

Vous avez un livre dans votre tiroir ?

Publier gratuitement votre livre

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…

Bonjour, pour moi qui suis allergique Aux faute de français à l'écris comme à l'orale, franchement je m'en servirai pour mes élèves de quoi les divertir et leur redonner goût au ponctuation en voie de disparition.

Publié le 20 Octobre 2023

Encore une ou deux rubriques et je vais adorer la ponctuation !
Émilie est une magicienne !

Publié le 18 Octobre 2023