Un personnage devrait-il évoluer au long d’un récit ? Ne pourrait-il se contenter d’être lui-même d’un bout à l’autre ? Après tout, ce qui compte, c’est l’histoire, non ? Le scénario ? Alors pourquoi se soucier d’un « arc narratif ».
Eh oui, après tout, nos personnages ne sont pas obligés de changer ou se transformer. D’ailleurs, pourquoi le feraient-ils ? N’est-ce pas plutôt au monde de changer ? Eux, ne sont-ils pas les victimes auxquelles il faut rendre justice ; les bourreaux et autres pervers narcissiques auxquels il faut régler leur compte ; ou les sauveurs sans qui la société ne serait qu’une inextricable jungle soumise aux plus bas instincts ?
Eh oui ! C’est bien tout le problème lorsque les personnages reflètent trop bien leur auteur. Comment mettre dans leur bouche des mots qui ne seraient pas les nôtres, et que nous jugerions déplacés ou vulgaires ? Comment leur faire commettre des actes que nous réprouverions ou que nous nous sentirions incapables de poser ? S’il est bien une chose à laquelle un écrivain doit apprendre à tordre le cou, ce sont ses valeurs… lorsqu’elle risquent de renfermer le personnage dans sa bulle.
Pour créer un arc narratif, il faut, effectivement casser ses propres affects. Pas facile pour tout le monde. Et l’on peut préférer le spontané, le « sincère », l’authentique… quitte à ne jamais vraiment écrire un roman ( ?).
Ce qui caractérise le vivant, c’est la vie (!), autrement dit la modification, le changement, la transformation, la métamorphose… tout ce qui bouge sous l’effet de la pression de l’existence. Et le fin du fin est de capter la subtilité du passage d’un état à un autre état, pour en faire l’essence de l’histoire de nos personnages. Que serait « Orgueil et Préjugés » avec une Elisabeth Bennet campant sur ses positions ?
… et l’auteur est précisément celle ou celui qui explore toutes les contrées de l’humaine expérience, qui repousse volontairement ses limites, qui s’efforce de ressentir d’un même élan (et libre de ses propres affects), les vices et les vertus. Et s’il veut, cet auteur, entraîner son lecteur, c’est à travers le même personnage qu’il doit créer ces tempêtes, ces tsunamis émotionnels. Sans cela, Virginia Woolf aurait-elle pu écrire (ou simplement imaginer) Orlando ? Oscar Wilde nous aurait-il fait le présent du « Portrait de Dorian Gray » ?
Les auteurs qui jugent important de doter leurs personnages d’une vie riche ont tout intérêt à s’interroger sur le parcours que ce dernier va suivre à l’intérieur de leur intrigue.
Les personnages littéraires inoubliables sont ceux que nous avons vu lutter contre eux-mêmes ; ceux qui se sont débattus, ceux qui ont souffert et qui ont dû faire des deuils, qu’il s’agisse d’une part de leur passé, ou d’une part d’eux-mêmes : valeurs inadaptées, croyances inefficaces ou hors cadre, comportements et habitudes chéries.
Le personnage est comme une pâte à modeler, et ce que recherche le lecteur ce sont ses différents stades de transformation entre le personnage au début de l’histoire et le même personnage à la fin de l’histoire.
Le Père Goriot commence comme un homme généreux et aimant, mais après avoir été exploité et abandonné par ses enfants, il se laisse dépérir et meurt dans la solitude et la misère ;
Jean-Baptiste Clamence (La chute) commence comme un avocat réussi et arrogant, mais après un incident tragique, il devient rongé par la culpabilité et le désespoir, se transformant en un homme torturé en quête de rédemption ;
Thérèse Raquin commence comme une jeune femme passive et résignée, mais après avoir été impliquée dans une relation adultère et un meurtre, elle devient une figure tourmentée par la culpabilité et la folie.
Katniss Everdeen (Hunger games) commence comme une adolescente réservée et pragmatique, mais elle devient rapidement une figure de rébellion et de leadership dans sa lutte contre le régime oppressif du Capitole.
Que s’est-il passé entre deux ? Quoi, comment, à quel rythme. Voici les questions auxquelles répond l’axe narratif
« Au début était le mensonge ». Généralement inconscient, il s’agit d’une histoire que le personnage se raconte sur lui, les autres, la vie ; une idée fausse qui l’enferme dans un mode d’existence.
Le but de l’arc narratif est de permettre au personnage de prendre conscience de ce « mensonge », lequel est en principe un écho de son passé pour poser de nouveaux choix existentiels.
Mensonge – Prise de conscience du mensonge grâce à des épreuves Apprentissage – Rédemption – Fin heureuse.
Le personnage dépasse le stade du « mensonge », mais la vérité qu’il découvre est pire encore que ce qu’il avait connu, et le détruit moralement ou émotionnellement
Le personnage est déjà conscience du « mensonge », l’intrigue va lui permettre de fouiller sa représentation, à travers des épreuves, comme le doute, la tentation, ou des attaques personnelles.
1. Prendre du recul pour éviter le copié-collé auteur-personnage,
2. Trouver une harmonie entre intrigue et arc narratif,
3. Soigner tout particulièrement les éléments charnières (passage entre deux émotions, deux réflexions, deux actions) de manière à avoir un ensemble riche et cohérent non seulement en fonction de la nature de l’histoire mais aussi de son volume.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci pour cette contribution précieuse à la compréhension de l'art de raconter des histoires.
Super-article, merci. Et on pourrait ajouter le roman d'apprentissage, dans lequel l'intrigue évolue et grandit en même temps que le personnage. C'est cool, non ? Cela dit, oui, il y a des coups de théâtre, des rebondissements, des mauvaises passes, etc., la vie n'est pas un fleuve tranquille !
Très intéressant. merci