Interview
Le 22 avr 2024

La littérature jeunesse : ces livres d’enfance qui nous font et nous fondent

La littérature jeunesse est désormais une affaire sérieuse, aussi sérieuse que la littérature pour adultes avec ses prix et ses rentrées littéraires. Il n’y qu’à se rendre à sa Mecque annuelle, à Montreuil, pour en avoir la preuve irréfutable. Suzie Morgenstern, cette grande dame de la littérature jeunesse, le dit bien : "J’écris pour tout le monde !".

De l’importance de lire dans l’enfance

Comme vous qui venez sur ce site, j’en suis sûre, je lisais déjà beaucoup enfant, et mes lectures d’enfance me semblent tout aussi importantes que mes lectures de jeune adulte puis d’adulte désormais bien mûre.

Je suis sûre aussi que tout comme moi, lire, enfant, vous a permis de tromper l’ennui, par exemple l’ennui de longues journées de vacances où on ne sait plus quoi faire (copains, copines en vacances, télé interdite, pluie torrentielle, etc).

Lire, pour vous aussi, a été un plaisir, avant tout. Cela n’a jamais été cette corvée tel que cela semble être devenu pour un assez grand nombre d’enfants actuellement (je dis bien un assez grand nombre, je sais bien qu’il reste des enfants lecteurs même si je n’en ai pas, là, sous la main).

Lire a été, surtout, votre première évasion et aussi, votre première rencontre avec un autre qui n’existait pas, un autre semblable à vous, au moins un peu, ou un autre au contraire différent, parce que d’un autre sexe, d’une autre culture, d’une autre époque... Une expérience unique, ses défenseurs le soutiennent, qui ne coûte pas bien cher et ne demande pas de posséder des qualités personnelles inouïes. Comme voler dans les airs à l’instar de Nils, le petit gardien d’oies sauvages, ou devenir propriétaire d’une chocolaterie grâce à son singulier talent (Charlie et la chocolaterie, de Ronald Dahl).   

 

Découvrir d’autres cultures

Si je réfléchis aux livres qui m’ont le plus marquée, enfant, je me rends compte qu’ils étaient souvent écrits par des auteurs étrangers, à ma culture à moi, française (je préfère préciser, certains lecteurs, ici, ne sont peut-être pas Français !). Je ne pense pas avoir été plus ouverte à l’ailleurs, plus curieuse qu’un autre enfant, mais il se trouve que les éditions Nathan proposaient à l’époque une collection, La bibliothèque internationale, qui permettaient de découvrir des auteurs de tout pays.

 

Découvrir le Japon

Ainsi Tomiko Inui, Le secret du verre bleu. Le Japon, à mon époque, n’était pas à la mode comme il l’est devenu maintenant. Ce roman m’a néanmoins happée, parce que se passant dans un pays très lointain, dont j’ai forcément perçu l’exotisme. Il m’a surtout emportée parce qu’il se centre autour d’une enfant à la santé fragile, grandissant dans l’avant-guerre, puis la guerre 1939-1945, et chargée d’une mission, prendre soin d’une famille, un couple de parents et leurs deux enfants, tous de la taille d’un pouce. Ce qui frappe, c’est la sensibilité de Yuri, cette petite fille, timide et apeurée, mais qui tient bon, finalement, dans la tourmente de la guerre et jamais n’abandonne sa mission, y compris face à certains adultes réprobateurs. C’est aussi toutes ses pensées à elle qu’on partage, parfois gaies, souvent tristes, inquiètes, solitaires... celle d’une fillette plongée dans la guerre.

Je suppose que c’est ainsi que nait aussi l’empathie chez un enfant, par le contact avec un être de papier et pas uniquement avec les êtres de chair de son quotidien. Pleurer avec un personnage de livre, enfant, on ne le sait pas encore, mais c’est être capable de ressentir cela ensuite pour un paquet d’autres êtres, vivants ceux-là. Il y a sûrement des personnes capables de verser des torrents de larmes sur un personnage d’un livre, et inaptes à pleurer sur les souffrances de leur voisin mais je gage qu’il s’agit généralement d’adultes. L’enfant, lui, ne scinde pas autant les deux univers (je laisse les pédopsychiatres me contredirent).

 

L’attrait de l’imaginaire

Il y avait de l’imaginaire, dans ce récit, Le verre bleu (la famille des petits hommes), comme il y avait aussi du réalisme (la guerre). Lire enfant, un mélange des deux, est souvent classique, et l’enfant, justement, adore ça ! Ainsi, avec Tom et le jardin de minuit de Philippa Pearce. Il y a du réalisme, un enfant est envoyé dans de la famille pour les vacances, il s’ennuie (il n’a qu’à lire !) et de l’imaginaire, puisque chaque soir, aux 12 coups de minuit, il pousse la porte de la courette sombre de l’immeuble pour se retrouver dans un magnifique jardin où il va faire la connaissance une petite fille d’une autre époque. Bien sûr, ce qui m’a marquée, moi, enfant, c’était le fait que rien qu’en poussant la porte d’une courette d’immeuble, Tom se retrouvait chaque nuit dans un univers féérique. C’était faire entrer cette idée que derrière l’ordinaire du quotidien, pouvait se cacher du merveilleux (cela aurait pu être aussi du terrifiant). Ce qui était fort, aussi, c’est qu’à la lecture de ce récit, on ne pensait aucunement au fait que ce garçon était peut-être justement en train de rêver. La description du jardin aussi était très envoûtante, il y avait quelque chose de paradisiaque où, cependant, au fil des pages, une menace allait grandissant. La clé, enfin, de cette étrange phénomène était vraiment subtile, on sortait d’un fantastique pour entrer dans un autre, ce n’était pas facile à comprendre et les libraires recommandaient doctement que les enfants aient atteint un certain âge pour être à même de s’en saisir.

 

Un sentiment de liberté

Avec Rasmus et le vagabond de la Suédoise Astrid Lingren, la maman de Fifi Brindacier, on retrouve un enfant timide à l’instar de Yuri, un brin peureux, pas plus talentueux que la moyenne, qui plus est orphelin, thématique récurrente des lectures d’enfance (rappelez-vous « Sans famille »... enfin pour les plus âgés). S’enfuyant de son orphelinat, il rencontre un vagabond, Oscar-du-Paradis avec qui il va parcourir la campagne suédoise dans cet été scandinave où le soleil semble ne jamais se coucher. La force de ce récit est de nouer à la fois une intrigue policière à laquelle ils vont être mêlés, et la naissance progressive d’un lien père-fils, l’émotion étant là, mais tempérée par le suspense et l’humour de ce vagabond gentiment anti-système.

Oscar-du-Paradis était un personnage très rafraichissant pour qui est élevé comme la plupart des enfants dans l’idée de respecter toutes les règles et de bien travailler pour s’insérer dans la société une fois adulte. Il émanait de ce roman, un véritable sentiment de liberté et de joie, à les voir ainsi battre la campagne et entonner des chansons du registre populaire suédois aux terrasses des cafés pour gagner quelques sous. Je ne sais pas ce qu’il en est resté aux autres petits lecteurs, mais je suppose qu’à moi, il a donné une vision plus nuancée de ce qu’était être un adulte "réussi" : oui, Oscar-du-Paradis est une sorte de SDF et non, il ne se réduit pas à cette seule dimension ! Il est riche de lui-même et de ce qu’il sait donner aux autres, et son royaume sur Terre est aux dimensions de cette campagne suédoise qu’il sillonne...

 

L’histoire dans la grande Histoire

Plus grande, au collège, j’ai lu Du soleil sur la joue, de Maryline Sachs, le récit écrit à la première personne, d’une petite fille juive sous l’occupation allemande en France. Dans les années 70 et 80, on lisait beaucoup de récits autour de la seconde guerre mondiale et de la Shoah, qui était appréhendée au travers le quotidien d’enfants juifs : Un sac de billes de Joseph Joffo, Mon ami Frédéric de Hans Peter Richter, par exemple. Si Du soleil sur la joue m’a marquée, c’est parce qu’il s’agit du récit, raconté par une fillette, Nicole, impertinente, insolente même, seule survivante de sa famille, emmenée par les Allemands (le récit commence par la fin, dans le pensionnat de son école qui a accepté de la recueillir). On sait donc que la fin sera terriblement triste et c’est d’autant plus poignant de lire ce récit de vie, d’une famille « normale », avec ses disputes, ses jalousies, ses conflits, s’acheminant sans le savoir vers sa disparition. Je suppose que ce genre de lecture où l’on pleure quand même beaucoup (c’était malgré tout un livre sacrément triste en dépit de la vie et de l’humour qui le traversent) aident à appréhender la grande Histoire, et se prémunir de préjugés racistes (antisémites là) mais ceci est sans doute un peu utopiste de ma part... je sais.

J’ai pioché ici parmi quelques-uns de tous ces livres lus durant l’enfance... il y en aurait tant d’autres ! J’aime à penser que ces lectures, déjà, préparent à lire et à aimer lire l’adulte que l’on devient (existe-t-il beaucoup d’enfants lecteurs devenus des adultes strictement non lecteurs ?). Nos lectures d’enfance nous façonnent forcément, elles nous montrent, comme aux adultes, aussi bien le merveilleux que le terrible, la tristesse que la joie, la laideur que la beauté. Elles suscitent notre empathie, nous ouvrent à l’ailleurs, nous préparent sans doute à penser que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air. Et surtout, elles ne nous prennent pas de haut, elles nous considèrent, si elles sont réussies, comme des lecteurs aussi valables que les adultes. En un mot comme en cent, elles nous enrichissent pour la vie !

 

Marie Chotek

https://www.monbestseller.com/manuscrit/20666-les-petites-amies

 

Cet article a été écrit par une auteure monBestSeller. Les articles sont une des manières les plus efficaces de faire connaître ses livres, son style, sa personnalité d’auteur. Une des meilleures invitations à la lecture.

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On a classé dans la littérature jeunesse des ouvrages qui n'étaient pas destinés aux enfants : Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll est un exemple. Ce livre doit être lu au second degré et l'auteur le destinait aux adultes. La frontière entre jeunesse et âge adulte n'est pas aussi délimitée que l'on pense car la jeunesse est un état d'esprit. Je trouve fort plaisant de me replonger dans les lectures de mon enfance et de repartir pour l'île au trésor ou de retrouver les petites filles modèles de la comtesse de Ségur. Quel plaisir de relire les aventures de Tintin ! J'ai dix ans, comme dit la chanson d'Alain Souchon. Et vous ? @Sylvie de Tauriac

Publié le 30 Avril 2024

Cet article qui nous rappelle l'importance de la littérature jeunesse est fondamentale.

@Marie CHOTEK merci à vous de nous avoir fait une piqûre de rappel essentielle !

Publié le 26 Avril 2024

Des livres pour la vie !

Publié le 25 Avril 2024

@Marie Berchoud : c'est tout ce qu'il en reste
https://www.monbestseller.com/membre/les-ecrivistes-tambouilleurs
et puis cet article qui en parlait un peu
https://www.monbestseller.com/actualites-litteraire/14765-recettes-dauteurs-participez-au-jeu
PS : désolée "d'emboucaner" votre page, Marie, et merci de nous donner l'occasion de faire un giretto dans notre cher passé !

Publié le 24 Avril 2024

@Catarina Viti: c'était quoi le projet TAMBOUILLE ???

Publié le 24 Avril 2024

Merci @Marie Chotek de nous rappeler à quel point les histoires de notre enfance nous façonnent. Il m'a fallu longtemps pour réaliser que ma vie avait été presque toute entière influencée et peut-être même dirigée par mon premier livre imagé : « Vif Éclair », l’histoire du petit renne qui rêvait de tirer le traîneau du père Noël... c'est vous dire !
Gaffe à ce qu'on met entre les oreilles de nos chers petits.

Publié le 24 Avril 2024

Avec plaisir, @Marie Berchoud, mais tu sais qu'il faut beaucoup de temps et d'énergie (et je ne pense pas en disposer avec l'organisation du Prix de la Nouvelle "Le Pont de l'Harmattan" dans ma sacoche).
Je n'ai plus en mémoire si tu avais participé au projet "tambouille" qui était très sympa. Si l'envie te prends, j'aimerais bien repartir sur un projet dans ce style. Quelque chose de ludique, mais pas en leader, impossible.

Publié le 24 Avril 2024

@Catarina Viti. Je me souviens, j'avais adoré ce projet !! On en refait un, il y a des idées dans l'air et le printemps n'apporte pas que des pollens (dont je me contrefous, d'ailleurs). Merci d'avoir ressorti le machin, j'avais même oublié !
Mais la lecture, ça prend des rides ? Hum... de rire, et de partage.

Publié le 23 Avril 2024

Il fut un temps que les moins de 4 ans (âge mBS) ne peuvent pas connaître.
15 auteurs s'étaient réunis autour d'un projet commun : faire partager leurs premiers émois de lecture.
Le machin s'appellait "Collectif 15" (comme il se doit),
Le titre "Premières lectures" (on ne s'était pas trop cassé la nénette),
mais la bricole nous avait donné une joie immense (un gros boulot aussi pour les deux zigues qui étaient à la moulinette).
Qui prendra la relève ?
https://www.monbestseller.com/manuscrit/12696-premieres-lectures

Publié le 23 Avril 2024