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Du 13 mai 2024
au 13 mai 2024

Personnages de roman : quand l’action devient l’héroïne du récit

Et si les personnages de fiction n’étaient, en définitive que secondaires. Si Aristote avait raison. Si l’action, la praxis, était l’alfa et l’oméga de la fiction littéraire. Il faudrait alors convenir que les personnages ne sont utiles qu’à partir du moment où ils servent l’action. Voyons cela cela
Quand l'action prend le pas sur les personnages, c'est de personnages dont on parleQuand l'action prend le pas sur les personnages, c'est de personnages dont on parle

Dernier volet de notre exploration des personnages. Bien sûr,on aurait pu en dire beaucoup plus, car le sujet est « infini ». Rappelons que c’est l’ami Norin Antall qui nous a inspiré l’ouverture de ce passionnant dossier et ses différents thèmes. C’est donc lui qui (de manière implicite !) est chargé de conclure ce travail, ou, pour reprendre une terminologie plus antallienne : de plier les gaules.

>> Comment se définit l’action selon Aristote ?

Dans la poétique d'Aristote, "l'action" (praxis en grec) occupe une place centrale. Pour Aristote, l'action est la caractéristique fondamentale de toute œuvre dramatique, les personnages ne sont que les instruments de la dramaturgie
Pour Aristote, l'action désigne l'intrigue ou la trame de l'œuvre dramatique. C'est l'enchaînement des événements qui constitue le cœur de la pièce.

Il affirme que :
- L'intrigue doit être structurée de manière à former un ensemble harmonieux, sans éléments superflus ou incohérents,
- L'action doit être progressive, elle doit avancer de manière à susciter l'intérêt et l'émotion du spectateur,
- Elle doit comporter un développement, une évolution des événements et des personnages au fil de la pièce.

Aristote valorise les intrigues complexes, où les différents éléments s'imbriquent de façon intelligente et où les rebondissements sont nombreux, sans pour autant perdre de vue la cohérence d'ensemble.
L'action doit avoir une finalité, c'est-à-dire qu'elle doit conduire à un dénouement qui donne un sens à l'ensemble de l'œuvre. Ce dénouement peut être heureux ou malheureux, mais il doit être nécessaire et plausible compte tenu des événements précédents.
En résumé, pour Aristote, l'action est essentielle pour susciter l'intérêt et l'émotion du spectateur.

De nos jours,
Voici la praxis en action chez Olivier Norek (incipit de Surface)

>> Introduire son personnage in media res

- Je veux pas prendre une balle perdue, putain ! s'écria le chauffeur. Arrachez-lui son flingue !
Feu rouge grillé. La berline qui surgit à leur droite ne réussit pas à freiner complètement et leur arracha une partie de l'aile dans un crissement de pneus désespéré.
Ils forcèrent sur les doigts de plus belle. Tirant, écartant. En vain. La main s'était contractée en une crampe autour de la crosse du pistolet. Le doigt, enroulé autour de la détente, menaçait à chaque virage ou cahots de balancer une cartouche de 9 mm au hasard de sa trajectoire.

- Impossible, c'est de la pierre !
Derrière le volant, le chauffeur regardait par intermittence le trafic routier devant lui et la scène de chaos qui se jouait dans son dos. Évitez un accident. Évitez de se faire trouer la peau.

- Elle est tétanisée. Déboîtez-lui le pouce ! 
Le premier se saisit du canon du pistolet pour le maintenir stable, le deuxième tira le pouce en arrière, de toutes ses forces jusqu'à le luxer. Enfin, l'arme fut au sol dans un choc métallique.

Pour information : Noémie Chastain, capitaine de police, vient de se faire arracher la moitié du visage par un tir à bout portant. Sur la banquette arrière du véhicule qui l’évacue à tombeau ouvert, ses collègues s’acharnent à lui faire lâcher son arme car l’index tétanisé autour de la détente menace à chaque soubresaut de balancer une balle au hasard.

>> Le personnage responsable ou victime de l’action

L’action reine, vue par Stephen King. Greg Stillson, candidat à la Maison-Blanche, est un fou criminel. Quand il sera élu, ce sera l'Apocalypse. Un seul homme le sait : John Smith.

Comment rendre le lecteur proche d’un semblable personnage, comment aller au cœur du problème sans y passer des pages d’arguments psychologiques ? Peut-être en mettant le personnage en action dans un contexte qui nous serait presque familier…

Il détestait ces chiens de ferme qui, en l'absence de leur maître, paradent tels d’arrogants petits César. Le chien rampait, prêt à lui sauter à la gorge. Dans une étable, une vache se mit à meugler. Le vent agita les blés de l'été. Lorsque le chien bondit, le sourire disparut de la face de Greg pour laisser place un méchant rictus. Le représentant de commerce pressa sur la bombe. Un nuage d'ammoniac fusa, noya la gueule du chien dont les aboiements se transformèrent en jappement de douleur […]
- Sale bête, cracha Greg, furieux.
Et à nouveau il frappa le chien, assez fort cette fois pour l'envoyer bouler dans la poussière. Vaincu, la bête, les yeux pleins d'eau, la gueule douloureuse, les côtes brisées, voulu s'échapper à l'homme. Mais Greg Stillson le poursuivit, haletant, frappant et frappant encore la malheureuse bête gémissante, sanguinolente, incapable à présent d'éviter les coups.
- Je vais t'apprendre, moi, à mordre, chien de merde ! Personne ne peut me mordre, personne, t'entends ! Le chien ne bougeait plus. […]
Il ferma les yeux un instant, le souffle court. La sueur ruisselait sur son visage telles des larmes.

 

On sait, désormais, ce que l’auteur veut que nous pensions de son personnage.
Comme dit Norin Antall :

« La mise en action immédiate du protagoniste permet au lecteur de comprendre une partie de son caractère en un temps record. Plus besoin d’explications indigestes. L’action induit un comportement, lequel est sous-tendu par des objectifs qui seront atteints par le prisme d’une personnalité unique. L’intrigue avance en même temps que le protagoniste se dessine. Double avantage.

Présenter votre personnage par le truchement de ses actes, son vocabulaire ou sa gestuelle contribue à le dépeindre d’une manière inédite. Un vivier d’informations conséquent, dans lequel l’auteur peut puiser à l’infini. Aristote serait fier.

Trois techniques pour faire de l’action votre principal protagoniste

1. Pensez dès le début à l’action comme moteur premier de votre intrigue,

2. Démarrez sur les chapeau-de-roue avec une scène marquante ou mystérieuse qui ne laisse aucun répit au lecteur.

3. Faites en sorte que la mise en action immédiate du protagoniste permette au lecteur de comprendre l’essentiel de son caractère en un temps record.

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Oui je suis toujours surpris de voir la pertinence des analyses de la Poétique.
Mais l'action vient bien après la catharsis dans la structure essentielle de la tragédie.

Publié le 15 Mai 2024

Bravo pour cet excellent article. Tout est dit!

Publié le 14 Mai 2024