
Anna a entrevu un flash bref, mais intense. Il a ouvert sa boîte de Pandore. Alors, elle a refermé. Vite vite vite, elle a enterré. De quelques heures à presque une année. Elle s’était déjà imaginée devenir potière. De manière abstraite, elle lorgnait sagement sur ses îles lointaines. Puis elle s’est inscrite à cette formation de gestion d’entreprise artisanale. « Par hasard ». Et elle y a rencontré Alex, en une semblable coïncidence erronée. Il venait de tout quitter pour faire des couteaux. En itinérance.
Elle ne parvenait plus à suivre les cours, les conférences, happée par son bronzage ; la ligne de son cou, de profil ; ses avant-bras fins, veinés. Et son regard, qui la cherchait aussi. Elle était plus qu’attirée : littéralement absorbée. Noyée dans les songes de leurs extases et de leurs voyages. Immergée sous ses châteaux en Espagne, où flottait la marotte de vendre ses créations aux côtés du coutelier.
Ils se sont embrassés la veille de partir, l’espace d’un univers, le temps d’un amour fou. Elle scella difficilement cette malle trop pleine. De l’éther passe depuis, en un sanglot discret qu’elle essaye d’ignorer.
Elle est rentrée « à la maison » comme un vertige. Comme un dégoût. Auprès de son mari. Elle a repris le travail le lendemain, après avoir déposé leurs petites à l’école - elle est gestionnaire de paie. Elle s’est aussitôt jetée dans ses habitudes, avec l’illusion d’effacer les promesses et les désirs brûlants. Sauf que les baisers volés ne s’évanouirent jamais. Anna ressentait moins sa souffrance que ce mensonge, dont elle appréhendait parfois qu’il hurle malgré elle - parce qu’il la transperçait et lui collait à la peau. Cette triche, tout un spectre des apparences à maintenir...
Elle n’avait aucun plan, ni sur la comète ni de court terme. Elle espérait vaguement un retour en arrière, tout en psalmodiant le petit mot qu’Alex lui avait glissé dans la main - avec son numéro de téléphone.
« Je t’attendrai le temps qu’il faudra. »
Elle avait fermé le coffre sur une porte ouverte, une espérance qu’elle ne savait pas nommer, lorsqu’elle se mit à rêver qu’on lui parlait de l’étudiante en graphisme de Nike, qui avait réalisé leur logo quasiment gratuitement. Anna avait imprimé cette légende urbaine, symbole de l’exploitation des stagiaires, à une époque de bouche-à-oreille.
Le rêve revenait, oppressant et désagréable. Il la lancinait et l’irritait - distraitement, l’attristait. Il lui courait après ! Naturellement, elle recherchait sa profondeur, une signification. Elle songea d’abord à un boomerang (cet oiseau). Une coche dans l’existence et dans le vent. Une certaine vision de l’affranchissement.
Il s’agissait en fait d’une aile de Niké, déesse de la Victoire.
Elle découvrit sur Internet un mythe plus exhaustif. La graphiste, qui avait gagné seulement 34 dollars pour la réalisation du célèbre Swoosh de la marque, reçut sa récompense dix ans plus tard : des actions à la valeur de l’or.
Malgré toutes les informations glanées, Anna restait incapable de déchiffrer ces visites nocturnes, de décoder ce dialogue onirique. Elle en gardait le secret, une gêne et une culpabilité.
Il est quatre heures. Anna se réveille en sueur ; elle a l’impression que son cœur se cogne aux murs. Par-dessus ses battements affolés et violents, elle réussit à étreindre une voix. Une onde invisible dans le lourd silence. Luc dort. Elle ignore pourquoi elle retient son souffle. Elle commence à entendre distinctement des mots, qui composent des phrases… Elle les transcrit rapidement sur son téléphone, planquée sous les draps. Un discours désordonné. En bataille. Tellement court ! Elle laisse ensuite ses yeux vagabonder dans le noir. Obnubilée et immobile. Éperdue. Repensant sans cesse à Carolyn Davidson. Un vrai cauchemar !
- « T’as une mine de déterrée. »
Nous sommes samedi, elle répond qu’elle va traîner un peu au lit « pour une fois ».
- « Tu n’es pas malade au moins ? Prends le temps qu’il te faudra... Je m’occupe des filles. »
Luc l’embrasse sur le front et lui caresse les cheveux, avant de remettre la couette sur son épaule. Toute cette douceur fait horriblement mal à Anna. Ses sentiments ne sont pas morts, mais envolés. Disparus.
Inatteignables.
Elle recopie sur papier ce qu’elle a tapé n’importe comment cette nuit. Au rythme d’une chamade, elle devient la Champollion de son inconscient ou du Ciel – de son inconscience, peut-être. Perplexe face au texte, presque froide. En colère, déçue. Non !
Inconsolable.
Anna se fige devant des abysses, son néant... quand l’évidence d’une sorte de poème jaillit. Elle le réécrit, et elle comprend enfin que c’est maintenant qu’elle va devoir ouvrir l’écrin de sa nouvelle vie.
J e parcours un désert, lent et inassouvi
U ltime courant d’air, délaissé d’un sourire
S ur l’idylle de l’aube (altière) je respire
T remblante et amoureuse, apeurée mais ravie
D ’autres rêves charmants, m’attirent puis m’implorent
O bsèdent mon bleu ciel, sitôt prêts à éclore
I vre de mes désirs, bras et cœur grands ouverts
T out s’offre déjà là, au seuil des unis vers.
Vanessa Michel

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci @Phillechat 4. J’aime beaucoup lire vos petits grains de sel, semés çà et là sur la rubrique actualité. Courts et joyeux, comme certains de vos haïkus ;-)
Laurent, mes textes ne peuvent se comparer, mais je suis contente si celui-ci t'a plus parlé. Merci à toi @carpov
Michel, un grand merci pour cette remise du prix de la nouvelle qui-n'aura-pas-été-retenue-parmi-les-lauréates-du-concours. J'avais dans l'idée de proposer du rêve et de la poésie, mais flirter avec le danger donnerait presque à cette proposition des lettres de noblesse !
Merci à vous pour ce retour, à la fois souriant et en fanfare. Bonne soirée @Michel Laurent
Je comprends parfaitement votre avis @Sylvie de Tauriac, j'espère que le final vous a néanmoins fait apprécier l'incursion du français dans le slogan. Bien cordialement.
Bruno, je n'ai pas su dire s'il s'agissait d'une parodie ou d'une analyse ? C'est drôle, je me souvenais de plus de finesse quant à ta vision de la nouvelle de @Damian Jade.*
Peut-être que l’absence de gode-ceinture dans la mienne t’en a fait perdre un peu de vue le romantisme ? Hihihi… Bonne soirée @Tomache Diafoirus
P.S. : toutes mes héroïnes s’appelaient Anna quand j’étais ado, et leurs amoureux Melvil, prénom qui aurait trop tranché ici, je pense.
*Pour ceux qui n'auraient pas lu la nouvelle de Damian, « Just do It » qui avait déchaîné quelques passions, c'est ici : https://www.monbestseller.com/actualites-litteraire/23661-just-do-it
Bonne soirée !
La langue anglaise envahit trop notre univers. Je suis traductrice littéraire et le métissage des langues ne produira qu'un sabir sans élégance. Ce n'est pas du patriotisme linguistique, mais le droit à la différence. @Sylvie de Tauriac
Discours de remise de prix à Vanessa
Mesdames, Messieurs,
Ce texte ne se contente pas de raconter une histoire, il ouvre une brèche dans le réel, là où l’amour et la culpabilité se répondent. Vanessa a su transformer un slogan publicitaire en un voyage initiatique de l’âme. Sous sa plume, le célèbre « Just do it » devient une pulsation venue de l’inconscient.
Son héroïne, Anna, fouille ses zones d’ombre jusqu’à déterrer, au cœur de sa nuit, un poème qui nous offre une métamorphose. Le marketing devient poésie, et la faute victoire. C’est une œuvre subtile et presque dangereuse tant elle flirte avec le symbolique.
Alors, au nom du jury, nous vous disons, chère Vanessa, avec le sourire qu’impose votre talent : Just write it.
Je préfère de beaucoup ce texte au précédent @Vanessa Michel, il me parait plus humain et plus nuancé. Félicitations pour cette mise en avant méritée!
Hou là là !...
Un superbe poème final après une belle histoire : bravo !!