Sans syntaxe, peut on découvrir un bon roman ? Certains doutent L'autre snobisme, c'est adopter une position inverse, avec pour l'expliquer les arguments qui conviennent parce qu'il faut bien justifier qu'on crache sur l'imparfait du subjonctif ou qu'on flanque de la ponctuation au hasard. Dans l'un ou l'autre cas, pour reprendre les termes de Lamish, on astique son ego. "La syntaxe est, à l'origine, la branche de la linguistique qui étudie la façon dont les mots se combinent pour former des phrases ou des énoncés dans une langue", me braille Wikipedia. Au fond, je ne me suis jamais posé la question de savoir si en écrivant je lui présentais mes respects ou si je la paillassonnais sans m'en rendre compte. J'en ai acquis une certaine maîtrise mais par habitudes de lecture d'abord (ni Zola ni Beauvoir ni... je trouvais ça imbouffable), et si on commence à me questionner sur les règles je sèche. Elles ont des noms rigolos et un mode de fonctionnement qu'on pourra m'expliquer autant de fois qu'on voudra, je ne retiens rien. J'applique donc ce que j'ai appris en grignotant des bouquins, pas forcément ce que l'élite préfère, mais comme moi je veux et peux le dire. Chacun sa syntaxe, plus ou moins commune avec celle des autres, en général plus que moins malgré les apparences. Après tout, est-ce qu'on a dix-mille façons de respirer? C'est une question de nuances.
Et pour l'orthographe ?
Et pour l'orthographe? On peut avoir une syntaxe parfaite selon les normes germanopratines et se planter en écrivant "masturbassion" ou "j'enfonssai mon doi dans la prize". Plein d'auteurs réputés truffent leurs brouillons d'horreurs capables de tuer plus que sûrement un académicien. Il faut bien que les correcteurs vivent, non? N'empêche, je préfère qu'on écrive "enculer" plutôt qu'"anculer", des fois que le second mot existe et signifie quelque chose d'assez différent pour rendre ma phrase absurde. L'orthographe, ça ne sert pas qu'à faire joli, mais aussi à faciliter la comprenette. Sauf dans bien des cas où l'homonymie vient vous faire péter une durite alors que vous tentez de comprendre une page difficile de Musso. Oublions ça.
Et le vocabulaire alors ?
Et le vocabulaire alors? Plus que la syntaxe et le reste, il marque par les choix opérés un snobisme teinté de mépris pour les incultes (c'est valable pour l'argot, quand on le privilégie pour faire frémir d'horreur le bourgeois qui ne retrouve pas "keuf" dans son Littré). On peut choisir de cuisiner des cucurbitacées délicates au lieu de faire cuire des courgettes, alors qu'au goût ce sera tout pareil (même si on verse une dose de pipéracées - merde, je voulais dire de poivre - pour rehausser la fadeur du plat). Tous ces ingrédients, quand on touille bien, ça donne un style, ou si on mélange mal ça donne un laxatif puissant.
Le style, c'est le seul truc auquel je fais attention,
Le style, c'est le seul truc auquel je fais attention, à savoir que je m'exprime comme je le sens le mieux (pas vendable? rien à secouer), sans chercher à attraper les formules qui plaisent, mais à ma façon et autant que possible en restant compréhensible pour autrui (avec toutefois un dédain certain pour les récurrentes recommandations de "fluidifier" alors que j'estime juste de syncoper, et de ne pas faire de phrases trop longues, trop courtes, trop elliptiques, trop encombrées: si ma mélodie vous convient pas, retournez lire Nothomb, et zut!).
Si on a quelque chose à dire/raconter, autant le faire le mieux possible
Pour conclure mon argumentaire hasardeux sinon bancal, si on a quelque chose à dire/raconter, autant le faire le mieux possible - de la façon la plus adaptée - avec les meilleurs outils, histoire de ne pas balancer un diamant mal taillé mais une gemme qui pète le feu sous chaque angle. Sans se la jouer précieux (donc ridicule) en forçant sur le respect [1] ou l'irrespect [2] de la langue parce qu'on viendrait de la bonne société culturée des périmètres urbains à loyer immodéré [a] ou des confins que les premiers imaginent crasseux de la Seine-Saint-Denis [b] (jeu: relier correctement par paire 1, 2, a et b). D'abord parce que ça se voit, et qu'on ne voit vite que ça.
Même si les éditeurs, souvent, préféreront une certaine combinaison qui présente mieux même avec une pauvreté de contenu, il en est d'autres qui, dotés de gonades adéquates, parieront d'abord sur le fond. Sauf que fond et forme vont de pair et que si on soigne l'un l'autre se porte toujours mieux.
Voilà dans cette avant-dernière phrase l'essence de ce que j'avais à exprimer (et point besoin n'était de tartiner pour en arriver là, mais chacun son plaisir).
JC Heckers
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Voilà qui est admirablement dit, Jean-Christophe ! Et vous qui passez par ici sans avoir encore découvert sa prose, courez-y ! J'ai découvert cet auteur en 2012 et je ne me lasserai jamais de le recommander, autant pour son style que pour son perfectionnisme quoi qu'il en dise, la qualité de ses histoires et son humour délectable.
Quel régal cet article ! ... Et, en parlant de régal, mon avis est un peu le même en cuisine : je privilégie les saveurs qui exaltent le palais, plutôt que le dressage raffiné qui trompe l'oeil !!!...
J'acquiesce, en marmonnant: «Style: manière de combiner une syntaxe (donc une façon d'organiser ses phrases) avec un vocabulaire, de sorte qu'on en reconnaît assez vite la musique spécifique. Peut subir des variations en fonction de l'effet recherché, autour d'éléments eux invariants, délibérés ou non (plutôt non, c'est comme une façon de marcher, on l'acquiert mais ne la choisit pas, même si on façonne son allure ensuite). Grammaire: à respecter, si possible sans défaillir, selon la syntaxe utilisée. Sauf dans les cas où il convient de violer ou oublier certaines règles (pour obtenir un effet, nécessaire et pas ornemental). Orthographe: sert à éliminer bien des confusions homophoniques ou homographiques. Créer une oeuvre ne nécessite pas une syntaxe irréprochable, une grammaire bien respectée, ou une orthographe sans failles. Mais il faudra ensuite revoir tout ça, afin que le sens (explicite autant qu'implicite) soit dévoilé au mieux. Réécrire, et à chaque reprise avoir plus d'exigences, en polissant, retaillant, déplaçant quand il le faut. Et si vocabulaire et syntaxe offrent de la souplesse (sinon, point d'éventail de styles possible), en dernier lieu on se heurtera toujours à la grammaire qui s'impose, et l'orthographe qui ne peut être contournée. Ce qui fait que pour certains, le temps des corrections et révisions est pénible. (Il est vrai que j'estime que ça représente au moins les deux-tiers du travail; mais dois-je avouer que j'aime ça?)» [Sur ce, concentrons-nous sur le réveillon.]
Les phrases longues? Je ne me soigne plus. Surtout depuis qu'une critique émérite ("sic" de trente mètres de haut) avait suffoqué devant une phrase de quarante-quatre mots. Ce que je trouve encore court.
Bravo. Moi qui ai le problème de faire des phrases à rallonge (mais je me corrige) je vais essayer de faire court. Oui, moi aussi je préfère privilégier le style à l'orthographe ou à la syntaxe. Après, reste le problème du style qui plait, choque ou déplaît, mais là c'est une question de choix, de goût. Enfin, je pense. CC
Quand je dis "idées", je dis hélas bel et bien "idées sur" ou idées politiques, philosophiques, des choses comme ça. Une histoire se bâtit avec des idées, mais j'éviterais de la bâtir sur des Idées, qui appellent argumentation plutôt que narration. Un peu pareil pour "témoigner", auquel je prête trop volontiers un sens qui confine à l'autobiographique ou au documentaire, avec une conscience certaine de ce qu'on fait. Je préfère alors dire que dans tel texte résonnent les échos d'une humeur, ou d'une perception socio-géopolitique du monde, ou de convictions métaphysiques, convaincu que l'écrivain devrait pouvoir passer outre et dans ses fictions aller jusqu'à présenter ce qui pourrait être sa propre antithèse. Nonobstant que l'effort sera alors rude. Un vécu déteint forcément sur l'écrit, les idées vont et viennent pour faire avancer (parfois reculer) la fiction: tout à fait d'accord. Mais la fiction a-t-elle pour but de faire passer un message, je n'en suis pas convaincu. Je la charge, autant que mes capacités le peuvent, de poser des questions (le délicieux "Et si?" de la SF) pour apporter alors une des réponses possibles, et une réponse qui ne saurait pas être définitive mais, dans le cas idéal, générer d'autres questions ou inciter à considérer les choses sous un angle différent. Un roman ou une nouvelle, d'ailleurs, ne démontre (à mon avis) jamais rien, c'est pourquoi écrire des fictions à message ne m'intéresse pas trop, de même que pondre des pages où consciemment j'aborderais des pans de mon existence ou de mes convictions. Quant au reste, un style assumé dans sa manière de s'écarter des "normes" vaut parce qu'on saurait écrire autrement (plus classiquement) mais qu'on a choisi de jouer autrement avec les mots (parce que ça convient mieux à l'auteur). Les règles ne devraient être contournées que si on les maîtrise, on ne repousse pas des limites à partir de rien. Dans le doute, s'abstenir. Et je m'abstiens, pour le coup, fermement.
Si je peux compléter... J'estime qu'en littérature, le beau n'est pas forcément l'ami du bien, parfois même au contraire. Si la narration (a fortiori le narrateur choisi) exige de faire dans le moche, avec interdiction absolue d'utiliser tout subjonctif ou tout terme savant, on n'y coupera pas. Il faudra sans doute taper sur son style pour le plier aux impératifs, et bien entendu ne pas "écrire à la manière de" pour la mauvaise raison que l'essentiel des personnages est constitué de petits marquis du XVIIIe siècle tombés plus bas que le plus bas des roturiers. Ou pour la pire raison, chercher à plaire consensuellement à un public. S'il veut de la pâtée pour chiens, est-ce bien raisonnable de lui en fournir? Fichtre, écrivons même pour un seul lecteur potentiel (et idéal) s'il le faut, et de la manière la plus adéquate et pertinente, sans penser qu'on va rater du même coup les Editions de Minuit ou le top100 Amazon. Pour ce qui est de la notion de littérature, pour moi c'est un art(isanat) visant à raconter des histoires à l'écrit. Vraies ou fausses (en fait, jamais vraies, mais faussées à coup sûr). Avec ou sans message (pour ça, il y a la poste, ou bien les pamphlets), avec ou sans idées profondes (je trouve idiot de raconter une histoire pour exprimer une idée, en revanche on n'empêchera pas une idée de venir se coller à l'histoire). Personnellement je n'ai rien à témoigner, et a priori rien à dire, mais des histoires qui me viennent, germent, poussent comme elles peuvent, et que je finis par transplanter en espérant qu'elles survivent au changement de pot. Peut-être qu'elles disent quelque chose, expriment une vision du monde. Bon, un peu, forcément. Même s'il s'agit de SF (ou alors d'autant plus, selon l'opinion qu'on a sur la question de ce genre). De fait, la conception de la différence entre écriture et littérature est chez moi ténue: c'est avant dans le degré de fiction, puis de structuration et d'expression de celle-ci, que tout va se jouer. Un historien à l'écriture magnifique ne fera donc pas de la littérature, Marc Lévy si (tant pis si ça en défrise). Et pas besoin non plus de se couler dans les formes traditionnelles du roman chapitré, ou de la nouvelle (à chute, précise-t-on souvent, ce qui a le don de m'agacer), si on veut constituer son tas de pages autrement on fait ce qu'on veut tant que ça tient la route et que pour finir ça ne mérite pas juste d'allumer un feu. La littérature consiste à traduire une imagination fertile en mots (fertiles aussi), pas à construire des Temples du Roman, du Sonnet, et du Drame qui brûle les planches. Bon, il vaut mieux que l'imagination connaisse un peu la vraie vie, sans doute. Même si, bien entendu, certains éditeurs réfugiés dans certain arrondissement de Paris ignorent avec superbe l'existence d'un univers au-delà du périphérique et seraient incapables d'apprécier la crédibilité des mésaventures de Roberto le cafard d'Aubervilliers dans une plantation de cannabis. D'ailleurs les éditeurs comptent pour des prunes (qui prennent les auteurs pour des poires). Enfin bon, j'ai transcrit à peu près tout ce que j'avais à baver sur le sujet, il est temps d'arrêter.