Roald Dahl, ce fut d’abord pour moi un auteur de livres pour enfants au nom im- pronon-çable (ce n’est pas de sa faute : il était norvégien britannique). Et je dois avouer tout de suite que je n’aurais jamais eu l’idée de lire des histoires aussi terrifiantes à mes enfants si je n’étais pas tombée sous le charme de son illustrateur fétiche Quentin Blake (parfaitement britannique : élégance et excentricité en équilibre. Et tout aussi imprononçable selon moi).
Il faut donc que je vous parle quelques instants de l’incroyable poésie des dessins de Quentin Blake, de ses adorables gribouillis délicatement aquarellés : des enfants vulnérables, des petits vieux tremblottants et timides qui tombent amoureux de leur voisine(1), avec plein de détails charmants et très anglais cachés dans les recoins. Seule la douceur des illustrations de Quentin Blake peut nous faire supporter l’inquiétante folie de Willy Wonka(2), la voracité de l’´enorme crocodile(3), la sournoiserie des sorcières chauves aux dents violettes(4), la cruauté de la directrice d’école de Matilda et surtout celle, impardonnable, de ses parents(5).
Dans ses livres pour enfants, Roald Dahl dépeint un monde violent, peuple d’adultes pour la plupart grossiers, sales et cruels qui terrorisent les enfants. Bien sûr, ceux-ci finissent par s’en sortir parce qu’ils sont plus malins que leurs tortionnaires. Pour le grand plaisir des jeunes lecteurs, évidemment.
L’enfance selon Roald Dahl n’a rien d’un paradis perdu, c’est un enfer carcéral dont les clés sont détenues par des adultes pervers ... exactement l’idée que je me fais d’un pensionnat anglais de l’entre-deux-guerres.
Justement, c’est là que Roald Dahl a passé son enfance(6) et il en a gardé la haine de la tyrannie et le goût de la vengeance qui se déguste froide en rondelles sur des toasts à l’heure du thé, comme dans ses nouvelles pour adultes.
Vous gardez l’humour féroce et vous remplacez la douceur de l’aquarelle par le vitriol. Ne vous bousculez pas, il y en aura pour tout le monde ! Le mâle arrogant et dominateur se fera prendre à ses propres pièges, que ce soit le don Juan collectionneur(7,8) ou l’´epoux en mal de distraction(9). Les policiers bêtas et présomptueux ne retrouveront jamais l’arme qui a tué leur collègue(10) et pour cause ! Les pr´etentieux(11), les tricheurs(12), les épouses dominatrices(13), recevront leur coup de scalpel. C’est toute une société qui est autopsiée, du médiocre employé à l’aristocrate hautain, en passant par le bourgeois arriviste. Les maîtres d’hôtels stylés et les vieilles bonnes fidèles se rangent bien entendu du côté des opprimés. Personne n’est épargné.
C’est drôle, c’est méchant, c’est anglais. J’adore !
>> Un amour de tortue (mon chouchou du rayon enfant. Un vieux monsieur aime une vieille dame qui aime sa tortue...)
>> Charlie et la chocolaterie (un classique adapt´e au cin´ema par Tim Burton avec un Johnny Depp grandiose)
>> l’´enorme crocodile (idéal pour des petits)
>> Sacrées sorcières (parfait pour les plus grands, avec ce qu’il faut de suspens)
>> Matilda (Personnellement, ca me terrorise mais mes filles ont adoré. Vous pouvez voir le film si vous aimez Danny de Vito)
>> Cou (la connivence entre le Lord et son fidèle maître d’hôtel vaut le détour)
>> Moi boy (l’histoire de son enfance par Roald Dahl. Pas joyeux-joyeux, je vous aurai pr´evenus)
>> L’invité (pour public averti, comme on dit. Ju-bi-la-toire !)
>> Chienne (de la même veine, d’ailleurs on y trouve déjà l’oncle Oswald)
>> La grande entourloupe (mon préféré pour les adultes, je ne peux pas en dire plus, désoléee)
>> Le coup de gigot (desperate housewife)
>> Le connaisseur (on a tellement envie de lui envoyer son verre à la figure)
>> Plouf (un tricheur moins arrogant, mais tricheur tout de même, tant pis pour lui)
Et d’autres encore, parfois moins méchantes, mais beaucoup plus folles... Alors à vous de jouer : complétez la liste et laissez vos commentaires.
Il faut bien admettre que, s'il y a quelque chose qui caractérise et semble unir tous ces auteurs dont on connaît le nom, qui sont plus ou moins célèbres mais qui, toutefois, marquent la postérité, c'est qu'ils ont vécu mille vies en une. C'est encore le cas de Roald Dahl, génie de la composition, peut-être plus connu pour les réjouissantes histoires qu'il a écrites à l'intention du jeune public que pour les autres engagements qu'il a tenus mais dont le parcours aura été marqué par aventures, drames et tragédies. Ou comment extraire le meilleur du pire...
C'est au Pays de Galles, à Llandaff très exactement, tandis que sonnent les fracas de la Première Guerre Mondiale, que voit le jour le petit Roald. Un 13 septembre, en 1916. Ses parents viennent de Norvège, de l'autre côté de la Mer du Nord. Roald est âgé de seulement trois ans lorsque deux tragédies frappent coup sur coup sa famille : sa sœur aînée et son père décèdent tous deux à quelques semaines d'intervalle. Plutôt que de conduire Roald et ses autres enfants en Norvège, la mère du futur écrivain prend la décision de demeurer au Pays de Galles. Il semble que les membres de sa famille ont considéré les écoles de la région comme aptes à former l'élite de demain et ce sont ces établissements que le jeune Roald fréquentera ; cependant, il ne conservera pas de son séjour au sein de ces internats le souvenir brillant que leur réputation aurait laissé espérer. Roald Dahl est volontaire et indépendant. Doué pour les arts et notamment pour la photographie, il profite largement des vacances qu'il passe en Norvège où il connaît de belles parties en compagnie de sa fratrie – la mère laissant les enfants s'aventurer dans les natures sauvages, dépouillées et féeriques du nord de l'Europe. Reliefs encaissés, fjords resplendissants – explorés à bord d'un bateau – et îles égrainées n'ont bientôt plus de secrets pour le jeune aventurier.
Cette tendance à l'exploration solitaire, à l'héroïsme en quelque sorte se confirmera quelques années plus tard. Alors que Roald Dahl montre d'exceptionnelles aptitudes physiques – il est réputé pour exceller dans la pratique de certains sports, tel le rugby – il prend la décision, à dix-sept ans seulement, de s'engager au sein d'une compagnie pétrolière. Trois ans plus tard, il s'exile en Afrique et gagne la Tanzanie. Cependant, l'on est déjà en 1940 et l'Europe, puis le monde, une nouvelle fois, basculent dans l'horreur. Ce qui avait été le spectre de la toute petite enfance de Roald devient le combat de sa jeunesse florissante : la Seconde Guerre Mondiale est partout aux portes ; impossible de l'ignorer. C'est en Afrique que Roald Dahl va prendre ses responsabilités, enrôlé dans l'armée en Tanzanie et au Kenya. Devenu pilote de chasse, c'est en Égypte que l'action se tiendra pour lui et sous ces latitudes brûlantes, une nouvelle épreuve l'attend. En 1940, induit en erreur à l'occasion d'un vol, le carburant vint à lui manquer et il fut forcé de se poser de toute urgence sur un terrain accidenté. L'appareil s'abîma et prit feu. Roald est gravement blessé, aveugle, souffrant de brûlures aggravées, il connaît une longue période d'hospitalisation sur l'autre bord de la Méditerranée, à Alexandrie, faits qu'il relatera plus tard dans sa nouvelle A Piece of Cake.
Toutefois, toujours aussi volontaire et résistant, il finit par se remettre, tant et si bien qu'en dépit des lésions dont il a souffert, l'on n'hésite pas à le déclarer apte au vol. Dans le combat, Roald Dahl se montrera aussi efficace qu'héroïque. Plusieurs victoires seront portées à son crédit. Pourtant, l'accident a laissé des traces. Le jeune homme souffre de violents maux de tête et perd souvent connaissance. Ainsi que prend fin sa « vocation » de pilote de chasse.
À cette époque débute une autre vie pour Roald Dahl. On le dépêche aux États-Unis où il aura la surprise de découvrir que la vie quotidienne se déroule tout à fait différemment de ce qui se passe dans le même temps de l'autre côté de l'Atlantique. On le charge de la mission de convaincre les Américains d'intervenir dans le conflit. Dans ce contexte, littérature, écriture et situations réelles marquées par la dureté des temps actuels vont étrangement se mêler dans l'existence de Roald dont la véritable vocation va mûrir en l'espace de quelques mois. Plusieurs rencontres notamment ont une influence sur son destin : celle de l'espion William Stephenson, sous les ordres duquel il est amené à travailler pour le compte du fameux MI6, celle des écrivains C.S. Forester – qui l'incite à écrire – et Ian Fleming, un espion britannique qui deviendra rien moins... que l'auteur de la réputée série des James Bond. Ainsi, le jeune homme en vient tout d'abord à publier ses récits de guerre dans les pages de certains magazines réputés. C'est en 1942 qu'il commence à composer des récits de fiction et cette même année, il fait la connaissance de Walt Disney avec qui il pense un moment à s'associer pour mener à bien un projet qui ne verra pas le jour. Au mois d'août 1942, enfin, à l'aube de ses vingt-six ans, Roald Dahl publie son premier récit : A Piece of Cake. Au fil de ces pages il évoque le fameux accident d'avion souffert à peine quelques années plus tôt. En 1953, nouveau tournant, nouveau défi : Roald Dahl se marie. Il avait fait la rencontre de l'actrice américaine Patricia Neal – il faut dire que certaines de ses nouvelles ont été transposées à la télévision par Alfred Hitchcock lui-même – et elle va devenir sa femme.
La nouvelle vie de l'auteur connaîtra des hauts aussi merveilleux qu'en seront terribles les bas : de 1955 à 1965, cinq enfants naîtront au couple mais son aînée lui sera enlevée des suites d'une encéphalite à l'âge de sept ans, son fils et troisième enfant connaîtra la douleur d'une longue et pénible maladie – suspendu entre la vie et la mort après un accident survenu dans sa plus tendre enfance, à New-York et Patricia, alors qu'elle attend leur cinquième enfant, sera frappée d'un anévrisme cérébral. C'est au dévouement de son mari qui prendra en charge ses soins et sa rééducation que la jeune femme devra de se remettre et notamment, de pouvoir reprendre sa carrière d'actrice.
En 1983, Roald Dahl et Patricia Neal choisissent de divorcer et l'écrivain épousera, un peu plus tard, Felicity Crosland. Cependant, sept ans seulement après cela, Roald décède des suites d'une affection sanguine, le 23 novembre 1990, à Oxford. Il est âgé de soixante-quatorze ans. Norvégien d'origine, Roald Dahl aura vécu au Pays de Galles, en Angleterre, en Tanzanie et au Kenya, en Égypte et en Grèce, aux États-Unis bien sûr. Toute sa vie, il semble avoir cherché son chez-lui et c'est, auteur de génie particulièrement prolifique, comme en témoigne l'héritage qu'il nous a laissé, au travers de l'écriture qu'il semble s'être le mieux réalisé, au plus près de ses aspirations, de ses convictions et de ses idéaux.
Roald Dahl a vu sa carrière d'auteur et de scénariste couronnée de plusieurs prix, notamment, en 1954 et en 1960, on lui décerne le prix Edgar-Allan Poe de la meilleure nouvelle pour Someone Like You et Landlady et, en 1983, le prix World Fantasy Grand Maître pour Fantastique Maître Renard.
Ceux qui le connaissent le savent : on doit à Roald Dahl – réputé être plutôt un nouvelliste qu'un romancier – le scenario du cinquième opus des aventures de James Bond, sorti en 1967 : On ne vit que deux fois.
Kiss,Kiss... un recueil de nouvelles publié en France en 1962.
Savoureux et indémodables, tous les romans et recueils de nouvelles composés par Roald Dahl à l'intention de la jeunesse seront cependant appréciés par tous les publics !
Élizabeth M. Aîné-Duroc.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci pour cet article sur un auteur que j'apprécie également et j'ai été consternée d'apprendre que ses livres seraient expurgés car les valeurs de l'auteur ne s'inscrivent pas dans la pensée unique actuelle. Où est la liberté d'expression ? Il est anormal de toucher à des ouvrages dont les auteurs ne sont plus parmi nous pour se défendre. J'écoute Sky news et je suis sidérée par l'intolérance de notre époque. @Sylvie de Tauriac
@lamish
Un très beau commentaire que vous nous faites là, chère Lamish ! Voir qu'une tendresse pour quelqu'un - pour un auteur en l'occurrence - peut transcender, par son témoignage, les attirances premières, que c'est beau ! J'ai été ravie que l'on me sollicite à nouveau pour animer la rubrique des Classiques et je suis très heureuse, moi aussi, de vous retrouver à cette occasion, fidèle au poste ! Et, en ayant l'opportunité, je ne peux m'empêcher de vous dire que je trouve votre nouvelle photo de profil tout simplement superbe.
Avec tous mes remerciements et mon amitié,
Élizabeth.
@anne-laure.julien
Ces articles sont un habile compromis qui donne envie de poursuivre la découverte de cet auteur ambigu, alternativement attachant et bizarroïde. Les pulsions d'un côté, la documentation de l'autre. Bravo.
@anne-laure.julien
Chère Anne-Laure, ce fut un vrai plaisir pour moi de me documenter au sujet de Roald Dahl que, grâce à vous et au sincère intérêt que vous lui portez, j'ai eu le bonheur de découvrir sous des aspects que j'étais loin de lui connaître. Une vie si pleine, si riche, tragique bien souvent... quel témoignage, qu'il est très difficile de résumer en si peu de temps et d'espace. Je dois avouer que votre texte, enlevé, enjoué et plein d'affection, m'avait mis l'eau à la bouche ! J'espère que votre amitié pour Roald Dahl contribuera, grâce à mBS, à le faire mieux (re)découvrir. Une petite anecdote que je souhaitais partager avec vous : le soir qui a précédé le jour où l'on m'a confié la rédaction de cette "biographie", j'avais visionné en famille, sans le savoir, le film "Matilda", que vous évoquez vous-même.
Merci donc à vous pour ce partage si agréable. Je vous souhaite une excellente continuation et encore tant de belles rencontres !
Cordialement,
Élizabeth.
Merci à Élizabeth M. Aîné-Duroc pour cette biographie très documentée.