Je venais de parcourir la rue de Rivoli dont la perspective avait été enlaidie par une multitude de champignons en plastique fluo quand, après avoir longé les grilles du jardin des Tuileries qu’une fête foraine masquait au regard des promeneurs, je découvris l’Arc de Triomphe emballé par Christo.
C’en était trop. Je battis en retraite en passant malencontreusement devant le hideux bouquet de Jeff Koons, puis par la place Vendôme où le souvenir du plug anal géant exposé par Paul McCarthy m’avait dissuadé, à l’époque, de m’asseoir sur l’art contemporain.
Je croyais être au bout de mon calvaire quand, à la une d’un journal, je découvris que l’on venait d’ériger à Bercy un monument dédié à Johnny Hallyday représentant une Harley-Davidson sodomisée par un manche de guitare. Pour ne pas froisser les écologistes, précisait l’article, on avait eu la délicatesse de supprimer le moteur de l’engin. L’honneur était sauf et les personnalités, qui posaient avec fierté devant ce monument, apparaissaient curieusement satisfaites d’avoir imposé ce nouvel affront à une capitale qui n’en demandait pas tant.
Je résolus de me réfugier à Saint-Germain-des-Prés où, me semblait-il, quelques souvenirs d’un Paris que j’avais chéri subsistaient encore. C’était sans compter avec la tour Montparnasse qui avait surgi dans le prolongement de la rue des Saints-Pères, plantée comme un pieu satanique dans ce qui fut jadis le rendez-vous des artistes.
Décidément, le Paris que j’aimais, contrairement à sa devise «Fluctuat nec mergitur», était bel et bien en train de sombrer sous les assauts répétés du mauvais goût de femmes et d’hommes qui avaient eu la prétention d’y laisser leur empreinte.
J’étais désemparé quand elle m’apparut aux abords de l’hôtel de la Louisiane qui avait abrité Hemingway, Saint Exupéry, Henry Miller et bien d’autres encore amoureux d’un Paris à jamais disparu. Ce n’était pas la première fois que je la croisais, mais la réputation qu’on lui attribuait m’avait détourné d’elle. Certes, elle était attirante, mais on la disait passéiste, solitaire, voire encline à la morbidité destructrice que l’on prêtait volontiers aux vieux cons aigris. Pourtant, lorsqu’elle me prit la main, après les épreuves que je venais de subir, je n’eus le cœur de lui résister.
Nous avions emprunté la rue Dauphine toute proche, et à la hauteur de l’ancien Tabou, elle m’avait retenu.
— Écoute ! m’avait-elle dit, un étrange sourire aux lèvres.
Du sous-sol montait l’inimitable son de la trompette de Boris Vian mêlé à des éclats de rires féminins.
— Non, tu ne rêves pas, le passé est toujours vivant, et si tu oses m’aimer, je t’apprendrais à le ressusciter.
Nous nous étions alors dirigés vers le Pont-Neuf et avions dévalé les escaliers qui menaient au square du Vert-Galant, ce qui me parut de bon augure. Par bonheur, il n’abritait pas encore de salle de shoot et nous nous installâmes sur un banc face à la Seine.
Je décidais d’ignorer les tags qui, comme une lèpre contagieuse, envahissaient la ville, ne respectant rien, pas même les boîtes des bouquinistes qui nous faisaient face, pour regarder le visage de ma nouvelle compagne.
Ses yeux de chat m’avaient évoqué Juliette Gréco, et j’étais sur le point de lui demander son prénom quand elle me devança.
— Je m’appelle nostalgie et je suis le dernier rempart au désespoir des hommes comme toi qui ne croient plus en l’avenir.
J’avais tenté de l’enlacer, mais mes bras n’avaient rencontré que le vide.
— Ne t’inquiète pas, m’avait-elle encore dit avant de disparaître, si tu veux me retrouver il te suffira de penser à moi et je viendrai te rejoindre où que tu sois.
Elle a tenu parole, et il me semble que, depuis que nous nous fréquentons, le quotidien me soit devenu plus doux. Alors, si comme moi vous avez la chance de la rencontrer, ne faites pas l’erreur de la repousser, une seconde vie ne se refuse pas.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@lamish
Merci d’avoir commenté ce petit texte qui aborde par le biais la critique d’un certain art contemporain, pour le moins discutable, dont vous donnez quelques exemples.
Oser critiquer ces « œuvres » aujourd’hui, vous classe immédiatement comme « inculte-réactionnaire » dans le meilleur des cas. Il en va ainsi de la bien-pensance d’une société qui, à défaut d’être cultivée, fait semblant de l’être.
Je vous souhaite une bonne journée.
Amicalement,
Jean-Bernard
@Boris Phillips
Je ne suis pas un défenseur acharné de la nostalgie sous toutes ses formes, mais dans le cas présent, j’ai trouvé qu’elle pouvait faire l’objet d’une rencontre originale pour illustrer le thème proposé.
Comme vous, je ne demande qu’à croire en des lendemains qui chantent, même si les perspectives qui se dessinent ne sont pas très réjouissantes.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de commenter ce petit texte qui n’a d’autre ambition que de distraire.
Bien à vous,
Alix Cordouan.
@KRYDECE
Je suis heureux que vous ayez apprécié mon texte qui, je le reconnais, pointe du doigt quelques points négatifs au détriment du charme de Paris toujours présent.
Quant à Juliette Gréco, je dois ce choix d’illustration à Christophe Lucius, que je salue au passage pour l’attention bienveillante qu’il porte aux auteurs de mBS.
Que vaut-il mieux, @Alix Cordouan, la nostalgie où l'on est certain de ne pas être déçu ou... essayer de se dire que l'avenir pourrait - peut-être - nous réserver de belles choses ?
Cordialement.
Boris Phillips.
Bonsoir @Alix Cordouan
je regrette de n'avoir pas assez insisté sur votre texte mais j'ai été emporté par ma réaction.Quand on connaît Paris, on a l'impression d'être physiquement derrière vous dans la rue en lisant votre texte. Il y a un avis subjectif comme tout avis, c'est que pour moi la nostalgie est plutôt triste. Bon dimanche parisien, bon choix d'avoir pris Juliette Gréco qui incarne bien votre propos.
@Jean-Louis Ermine
Je souhaite de tout cœur que vous ayez raison.
Merci pour votre commentaire optimiste.
Nostalgie, nostalgie, quand tu nous tiens ! Mais le futur a aussi de belles choses à nous offrir, si ne on se contente pas de le comparer avec le passé.
@KRYDECE
Le monde change, Paris aussi, et ce qui fut ne sera plus.
Il nous reste la nostalgie ou la possibilité de vivre à Dubaï pour oublier définitivement le baron Haussmann et les bistrots.
Je vous remercie de m’avoir fait part de vos impressions.
@Alix Cordouan
Bonjour. très joli texte même si triste, les beaux textes sont les plus tristes, il est fatal de ne pouvoir serrer le passé dans ses bras. Ce sont maintenant les ordures, les rongeurs et les emballages plastique qui pullulent. Je sui né à Paris dans un arrondissement qui crack, pardon qui craque. Nous ne pouvons plus reconnaître la ville de Julien L'apostat et de nos deux empereurs. Paris est martyrisée mais ne ne sera pas libérée comme au 25 Août 1944. Cela a peu d'importance car la ville à la mode sera bientôt Dubaï.
@Kailijinn
Je suis d’accord avec vous. Si ce n’était l’habitude, la tour Eiffel nous paraîtrait bien incongrue aux côtés des immeubles haussmanniens.
Vous l’aurez compris, il s’agit là d’un petit exercice où la nostalgie, qui nous guette au coin du chemin, se donne le beau rôle pour le plaisir de la caricature.
Je vous remercie d’avoir bien voulu y jouer votre partition en m’adressant vos remarques pertinentes accompagnées de quelques compliments.
@Alix Cordouan
Très belle et poétique promenade dans les rues de Paris, merci!
Un peu de nostalgie est agréable si l'on oublie pas que même les monuments les plus emblématiques, qui aujourd'hui nous semblent à leur place, ont été sources de nombreux débats à leur époque (cf. les critiques lors de la construction de la tour Eiffel). Alors, sans personnellement apprécier certaines des constructions que vous évoquez, il n'y a que le temps et les habitants qui pourront dire si une chose mérite de rester ou non.
@Lucas Belmont4
L’évolution de la vision des hommes, partagée entre la tentation confortable de l’immobilisme et une modernité inquiétante, a toujours été empreinte de questionnement. Ce petit texte, pour autant, ne veut pas présumer d’un inéluctable délitement de notre société, il n’est que le reflet, comme vous le dites avec beaucoup de talent, du "goût des jolies choses quand elles disparaissent".
Merci d’avoir pris le temps de me lire.
@Fabricio
Je suis heureux que vous ayez apprécié ce qui peut ressembler à de l’amertume mais qui, finalement, n’est que l’observation du temps qui passe avec lequel il faut bien se résoudre à composer.
J’espère que votre fille, dans quelques décennies, se louera d’une évolution qui nous échappe encore.
Le pire n’est pas obligatoire.
Merci pour votre commentaire.
@Ernesto Férié
Les histoires appartiennent à ceux qui les lisent. Entre la nostalgie et sa critique, vous avez adopté une troisième voie, celle de n’en rien faire, ce qui me convient tout autant.
Je vous remercie pour votre agréable commentaire.
Paris, je n'en connais pas grand chose, mais je l'aime pour ces rues de côté, en plus de ses classiques qui ne m'attire que pour le folklore comme la Tour-Eiffel qui est un incontournable aux souvenirs avec ma fille. Vous offrez-là une vision bien juste, autant que votre écriture. C'est admirable, adorable, plein de vérités. Et la chute est construite avec talent. J'admire.