Abdou est un homme insignifiant. Personne ne remarque sa présence, ni son absence d’ailleurs. Le type d’homme dont on serait bien en peine de tirer un portrait-robot qui permettrait de le confondre si Abdou était un criminel. Ce qu’il n’est pas, bien au contraire. Car Abdou, malgré son air de rien, aime ses prochains. Puisque personne ne se tourne vers lui, il a choisi de se tourner vers les autres. Il aurait pu être psychologue, il n’a jamais obtenu son diplôme. Alors il a eu l’idée de créer un magasin spécial, accueillant, pour les petits à choyer, et les grands déglingués par la vie. La période de Noël étant propice pour sa petite entreprise, il a déblayé, rénové, meublé un local et la boutique a ouvert le premier jour de l’avent, il y a plus d’un an.
Comme chaque jour depuis l’ouverture, Abdou ouvre la porte du magasin :
« Les Doudous d’Abdou »
En cette période de fêtes, la boutique ne désemplit pas. La petite pièce, à l’entrée, est encombrée de nounours, de lapins, de monstres rigolos, en peluche ou en tissu tout mou tout doux. C’est pour les petits. Ou pour les grands nostalgiques qui veulent retrouver leurs sensations d’enfants. Rien de bien original, ni de très compliqué à satisfaire. Abdou leur redonne sur commande un air usé, avachi, une odeur d’enfance, selon les descriptions nostalgiques qu’on lui en fait.
Mais ce qui fait l’intérêt et la spécificité du magasin d’Abdou, c’est ce qu’il se passe dans l’arrière-boutique, où se trouvent son atelier et son bureau. Là, il donne rendez-vous aux âmes en peine, aux frustrés, aux colériques, aux hyperactifs, aux trop-autoritaires, aux froussards, aux va-t-en-guerre, aux désorientés, aux noyés dans un verre d’eau, aux brûlés du boulot, pour écouter leurs malheurs ou leurs besoins de tendresse, enfoncé dans son grand fauteuil à oreilles, son air insignifiant libérant toute la place pour les confidences.
Et Abdou, même pas diplômé en psychologie, est devenu un expert en écoute attentive. Aucun trait de son visage ne frémit, il accueille les colères, les pleurs, les regrets, les rires, les désirs de vengeance ou de repentance. Puis il laisse parler son cœur et son intuition et propose à ses clients l’objet qui pourra leur servir de doudou quand la vie les bouscule.
Les clients viennent de loin pour profiter de ses services. Pour les commandes de Noël, Abdou a fabriqué une clé USB qui imite les bruits des grillons pour un informaticien corse en burn-out, un bracelet de petites bulles de verre remplies de lucioles pour un écrivain en panne d’inspiration après son divorce, une boule en poils de chats pour un colonel de l’armée, terrorisé à l’idée de devoir envoyer ses hommes au combat, un distributeur de cartes postales écornées pour Mr Paterne, dont le fils est parti sans laisser d’adresse, un diffuseur de parfum de madeleine trempé dans un bol de lait pour Paul Létourneau, anorexique.
Avec ses créations, Abdou s’applique à les ramener vers le bord du verre d’eau où ils s’étaient noyés.
Abdou à la fin de sa journée se lève de son fauteuil. Il noue autour de son cou son écharpe en laine. Il observe son reflet dans le miroir situé juste à côté du portemanteau. Il ne se trouve plus si insignifiant. Ses rides se sont creusées, elles s’animent, elles creusent leur chemin, elles transportent ces myriades de mots qui se sont déposés là, lorsqu’il écoute attentivement ses clients dans son fauteuil à oreilles.
A côté de son miroir, il a punaisé le dessin de lui qu’a réalisé Paul, de mémoire, pour le remercier.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Bonnes fêtes de fin d’année @parthemise33 , et merci pour ce nom de « masseurs d’âmes » que je trouve très soyeux et agréable à porter pour Abdou. Je le garde dans un coin pour m’en resservir, un jour, ….
@Valérie Pison La véritable noblesse est celle du cœur. Moralité, un homme ordinaire devient un homme extraordinaire grâce à son grand cœur. Merci Bisous Merci pour ce partage et joyeux Noël à vous et Abdou, votre « masseur d’âmes »
Merci à tous pour vos mots doudous que je serre tendrement. Passez de très bonnes fêtes de fin d’année.
Valérie
@Valerie Pison. Très beau portrait, tout en douceur, d'un homme, en apparence insignifiant, qui redonne du sens et de l'amour aux écorchés de la vie se confiant à lui dans son arrière-boutique. Merci pour cette nouvelle réconfortante comme un chaud doudou.
@Valerie Pison
Merci pour cette si jolie nouvelle toute en poésie, délicatesse et en espoir. Un beau cadeau de Noel, vraiment. Merci
@Valérie Pison Très jolie nouvelle originale et dépaysante. Émouvante et teintée de candeur aussi. Quant à votre plume experte, douce et féminine, elle est encore une indéniable valeur ajoutée.
Je ne sais pas pourquoi m'est revenu à vous lire la réplique de la passagère malade à Hector (Hector et la recherche du bonheur), lorsqu'ils se quittent : "Écouter, c'est aimer". Peut-être parce que c'est ce qui veut qu'Abdou se sente moins insignifiant, et donc plus heureux...
Merci, chère Valérie ! Je vous souhaite de très agréables fêtes de fin d'année,
Michèle
Une très jolie nouvelle ! Une écriture fluide et lumineuse , qui sent le miel et la cannelle : une douceur à lire. Merci.
@Valérie Pison
Très beau texte qui nous entraine dans une histoire merveilleuse et qui nous abandonne dans les lignes de la fin.
Comme ça, le lecteur peut imaginer la fin qu'il veut.
Mais moi je préfère que ce soit l'auteur qui nous propose une fin.
Très belle histoire quand même !
Bravo !
FF