« Crans-Montana » est le quatrième livre de Monica Sabolo et l’un des romans remarqués de la rentrée littéraire. Il figure d’ailleurs dans la première sélection des Prix Interallié et Décembre. Dans ce livre publié aux éditions JC Lattès, l’auteur s’arrête sur une station de ski : Crans-Montana en Suisse, sur une époque trouble : celle des années 60-80 et sur trois filles : Charlie, Chris et Claudia qui fascinent les garçons de la station. Monica Sabolo nous parle de son livre et du travail d’écrivain.
Qui sont ces familles présentes à Crans-Montana ?
Ce sont des familles privilégiées suisses, parisiennes et italiennes qui se retrouvent pour les vacances. Elles viennent d’un milieu social très conventionnel où l’apparence est essentielle. À cette époque, l’émotion occupe peu de place dans les rapports familiaux. Et puis les parents ont vécu la guerre, des drames indicibles, certains ont commis des fautes. Ils n’ont plus envie de parler de ce passé. Ils veulent effacer cette période et que leurs enfants aient une vie différente.
On a l’impression que ces enfants, comme les parents, sont déconnectés de leur vie.
Ne pas évoquer les questions fondamentales de l’existence, ne pas regarder le passé en face, empêche les enfants d’être en prise avec ce qu’ils sont. Eux-mêmes ne posent aucune question à leurs parents afin de ne pas les mettre en danger. Ils sentent bien qu’un territoire trouble existe mais ils se tiennent à distance de ce passé et donc à distance d’eux-mêmes. Ils finissent pas devenir des fantômes...
Vous décrivez bien le passage de l’enfance à l’adolescence, notamment la transformation du corps. Ce passage est-il forcément douloureux ?
La sortie de l’enfance et le passage à l’adolescence, à l’âge adulte est toujours bouleversante. Ce n’est pas forcément une souffrance. Ici, elle est due à ce que je perçois de cette époque. Le silence règne dans les familles, aucune transmission n’est possible. Les mères semblent être de marbre. Elles sont désincarnées, ne parlent de rien avec leurs enfants. Tout est corseté. Et en même temps, il existe une grande liberté. À l’époque, les petites filles posent pour des photos érotiques avec la bénédiction de leurs mères… Dans le roman, les trois filles peuvent sortir, coucher. Mais elles ne sont pas prêtes, elles n’ont aucun cadre et se retrouvent dans une grande violence.
Vous évoquez, en effet, le viol et des premières expériences sexuelles traumatisantes
Les deux jeunes filles abusées ne peuvent malheureusement pas lutter. Les autres expériences vécues par les adolescentes se produisent car elles ne sont pas conscientes de leur valeur. Ces filles n’ont pas été regardées avec amour, n’ont pas été accompagnées. Elles ne savent pas ce qu’elles ressentent et ne se sentent pas autorisées à s’exprimer.
Tous vos personnages passent à côté de leur vie. Qu’aurait-il fallu pour qu’ils soient heureux ?
J’écris à un moment dans le livre « Tu n’as pas de passé, tu n’as pas d’avenir ». Transporter à l’intérieur de soi des secrets qu’on ignore empêche de vivre. Ce sont des liens invisibles et insaisissables dont on n’a même pas conscience. Pour s’autoriser à avoir du courage, il faut déjà penser qu’on a une existence propre et qu’on peut influer sur sa vie. Ce n’est pas si simple.
Comment êtes-vous venue à l’écriture ? Et comment écrivez-vous ?
J’ai toujours écrit. Quand j’avais entre 7 et 10 ans, j’écrivais des poèmes, des fables. Je réalisais des illustrations. L’écriture est mon mode d’expression et d’évasion.
J’ai pris des pauses, quelques mois sabbatiques, pour écrire mes livres. Dans la journée, j’ai besoin d’avoir de longues plages libres devant moi pour écrire. Si je commence à travailler à 9 h et que je sais que je dois aller chez Monoprix à midi, c’est fichu ! J’ai écrit ce livre en dix mois. Dans un premier temps, j’ai rencontré des personnes qui m’ont parlé de cette époque. Cela a nourri mon imaginaire.
« Crans-Montana » est votre quatrième livre. Comment avez-vous contacté les éditeurs ?
J’ai envoyé mon premier manuscrit par la poste à plusieurs maisons d’édition. J’ai reçu beaucoup de réponses négatives. Je suis même allée chez Flammarion avec mon texte sous le bras, bien décidée à rencontrer l’éditeur. Je le déconseille vivement, il ne m’a pas reçue. Mais oui, on peut encore envoyer aujourd’hui des manuscrits par la poste.
Quels conseils donneriez-vous aux auteurs de monBestSeller ?
Les premières semaines sont les plus difficiles. On doit se confronter à sa propre médiocrité. Il ne faut pas lâcher. Même si ce qu’on écrit n’est pas bien, il faut continuer. Un jour, une petite étincelle surgit. Pour moi, l’auteur est obligé de passer par une certaine souffrance.
Devenir écrivain a t-il changé votre vie ?
Cela a changé mon rythme de vie. Quand j’écris, je plonge dans un monde sous-marin, je mène une vie secrète, aquatique, silencieuse qui me convient bien. J’aime aussi ne dépendre d’aucune hiérarchie et l’idée de me battre contre moi-même pour réaliser quelque chose toute seule. J’apprécie aussi le côté artisanal de l’écriture, ne travailler qu’avec ses crayons ou son ordinateur.
Avez-vous un rituel ?
Avant de commencer à écrire, je lis quelques pages d’un auteur que j’aime. J’ai besoin de trouver une certaine musicalité, un rythme. Je vois aussi dans ces pages un écrivain qui a cru. Plonger dans l’œuvre d’un auteur me remet dans une certaine réalité. J’aime bien lire les journaux intimes qui évoquent l’écriture, le processus créatif. Il y a un mécanisme de création, un travail…
Que pensez-vous d’une plateforme comme monBestSeller ?
J’aime beaucoup l’idée d’un rapport direct entre le lecteur et l’auteur. Le principe d’échanger autour d’un texte est très intéressant. On le fait très peu.
Seriez-vous prête à déposer une nouvelle sur le site monBestSeller ?
Oui pourquoi pas. Mais il faudrait déjà que j’écrive des nouvelles. Et j’ai du mal à travailler sur commande…
Propos recueillis par Clémence Roux de Luze pour monBestSeller
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