Auteur
Du 03 juin 2018
au 03 oct 2019

Nelly Baron-Mauroux - 3 ème PRIX Concours "La Première fois"

Nelly Baron Mauroux - La leçon

La leçon

Mais essaie, essaie encore ! Un peu de courage,voyons, Rome ne s’est pas faite en un jour, ni Paris d’ailleurs. Puisque nous y sommes, à Paris justement. Cela fait maintenant deux mois que tu t’exerces, tu devrais y arriver. Si tu m’écoutais aussi, si tu suivais mon exemple. Non, mademoiselle sait faire toute seule, veut apprendre toute seule. À quoi je sers alors, tu peux me le dire ?

----

T’as les genoux écorchés, les mains en sang, le dos en compote ? C’est le prix à payer, je t’avais avertie, ma grande. Oublie un peu tes bobos et en avant ! Je vais te montrer une nouvelle fois la technique à adopter, tout d’abord là, sur ce joli petit muret en pierres naturelles. Ensuite, nouvel essai.

J’en ai marre, mais marre. Elle me fatigue, la Mary, avec ses belles théories, son affectation, ses promesses. J’en ai plus qu’assez. Je n’y arriverai jamais, quoi qu’elle en dise. Quelle idée aussi de l’approcher, de lui demander comme une faveur ses précieux conseils. C’était juste une lubie, à oublier au plus vite. Malheureusement, plus moyen de renoncer. Je lui ai promis de ne pas abandonner, juré craché. Alors,elle ne me lâche plus depuis deux mois. J’en ai vraiment ma claque, je vais me tirer d’ici vite fait…

Tu m’écoutes ou tu rêvasses encore ? Il ne faut pas te laisser distraire, il faut détailler chacun de mes mouvements afin de les reproduire à l’identique. Bon, on y va, grimpe à côté de moi. Un, deux… nigaude, tu as encore oublié le parapluie ! Combien de fois dois-je te le répéter : le parapluie est obligatoire. Je te l’ai choisi avec soin, adapté à ton poids, ta taille, ta silhouette. Tu vois bien qu’il diffère du mien. Son diamètre aussi est d’une grande importance et surtout l’ouverture automatique. Quant au tissu, caresse-moi un peu la finesse de sa texture, la solidité de la toile (je te révélerai sa provenance une fois l’exercice réussi), l’imprégnation contre la pluie. Indispensable, si tu veux l’utiliser tout au long de l’année, sous nos climats froids et venteux en hiver. Ah, j’oubliais la couleur, elle correspond à la date de naissance de l’utilisateur. Un peu comme un horoscope multicolore. Pour toi, c’est du rose. Oui, même si ça te paraît enfantin, ce sera du rose pour toi. Le mien est, hélas, noir.

Allons, une dernière fois et tu vas réussir, je t’observe depuis assez longtemps pour reconnaître ton talent et tes aptitudes. Répète en même temps que moi :

Plie les genoux, un peu plus bas, extension, balance ton parapluie – plus haut, bras bien tendu, extension et saut en hauteur. Simultanément – synchrone,j’ai dit – appuie sur l’ouverture du parapluie, lève la tête et élance-toi. Voilà, c’est parfait. Bravo, cette fois, on y va « pour de bon ».

Pour de bon, pour de bon, comme elle y va, j’ai la trouille, moi ! C’est bien joli de s’exercer sur la terre ferme mais de là à m’élancer pour de vrai… J’ai juste envie de prendre les jambes à mon cou.

Cette fois-ci habillées selon la tradition, l’une à côté de l’autre, nous nous préparons soigneusement. Longue jupe, noire pour elle, rose pour moi, blouse blanche à longues manches boutonnées jusqu’au cou pour toutes les deux, bas noirs pour elle, roses pour moi (quelle horreur !), souliers vernis à lacets noirs pour toutes les deux. Sans oublier l’affreux chapeau à larges bords, toujours noir pour elle et rose pour moi. Noué sous le menton avec un grand ruban. Nous portons aussi toutes les deux des gants blancs. Le parapluie réglementaire à la main, nous avons l’air de deux drôles d’oiseaux perchés sur ce muret surplombant la capitale.

Je ferme les yeux, je compte, je connais tous les mouvements par cœur.

Un, deux, trois, je m’élance. D’un saut souple,je décolle, le parapluie s’ouvre et je m’envole !

C’est la première fois que je quitte la terre. Je flotte dans le ciel, bras tendu, parapluie ouvert, libre, aérienne, gracieuse, telle une mouette agile évoluant dans le bleu azur du ciel. Mon cœur bat à tout rompre : j’ai réussi, je sais le faire, je vole ! Quelle sensation extraordinaire ! Peu à peu, je m’enhardis, suivant l’exemple de ma professeure. On monte, on descend, on tourne sur nous-mêmes. Mon joli parapluie rose tourbillonne dans le vent et m’entraîne dans une spirale de patineuse. Nous effectuons des pirouettes, imitons les oiseaux, montons, descendons. J’adore la sensation de vitesse, l’apesanteur, la fluidité. Je sens l’air frôler mon corps, des frissons me parcourent. Je n’ai plus envie de descendre rejoindre la terre, mais il faut bien s’y résoudre. Main dans la main, nous atterrissons toutes deux en douceur sur la petite pelouse jouxtant notre « rampe de départ ».

Mes yeux sont humides. Quelle première fois extraordinaire ! Je me tourne vers ma voisine :

Merci, Mary Poppins

À propos, je demande d’une petite voix innocente, alors en quoi est fait le tissu des parapluies.

Je me doutais bien que tu n’oublierais pas de me poser la question. Sache que très peu de personnes sont au courant : nous utilisons des ailes de fées. Elles nous permettent de les prélever délicatement lorsque leur vie a pris fin. En contrepartie, nous – les sorcières – les protégeons et les rendons invisibles.

Alors, t’es… une sorcière !

Un petit sifflement… il n’y a plus personne à mon côté.

Vous avez un livre dans votre tiroir ?

Publier gratuitement votre livre

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…

.....Une petite histoire amusante et cocasse, si cela approche la réalité, une dérision ? Une fiction bien inspirée, une fabulation originale et bien attachée................Cette histoire n' est pas le merveilleux que j' affectionne. Je pense que c' est le côté dialogue, les échanges parlés des personnages qui donne le '' La '' pour les jurés et qui a primé sur ce concours. Il fallait s' exprimer par personnages interposés, une conversation, un débat d' idées, par cette entremise pour placer une '' première fois ''. Il fallait qu' elle soit plus déduite que découlée par nature inconnue, avoir l' idée et la peser, la mesurer par ses deux extrêmes et revenir jusqu' au milieu. La confondre par un dialogue pour la rendre intelligible, comparer ses valeurs, mettre en évidence ses différences et ses contradictions, éclairer ses nuances et arriver à une réponse, à une raison, une seule et indiscutable.( à ce jeu là, Chiara a été un oiseau de proie ) Toi aussi tu as fais cela avec un sujet plus léger. Tu as eus la bonne inspiration, la juste intervention, le bon débat et cela t' amènes chez les meilleurs. Au goût de la mode intellectuelle d' aujourd' hui même une '' première fois '' ne peut pas être une histoire narrative, proue passive, elle doit se construire, s' explicitée, être confondable, ré-étalonnée. Je suis enchanté de découvrir les magies de tes imaginations, elles gratifient et font l' émulation des petits bonheurs de vivre, un verre de joies de plus à boire.

Publié le 15 Octobre 2019

Une bouffée de fraicheur et de poésie ...

Publié le 07 Octobre 2019