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Du 03 aoû 2018
au 03 oct 2019

Maël Laclare - 4 ème Prix Concours "La Première fois"

Maël Laclare -  https://www.monbestseller.com/membre/maellclr

Mon premier voyage en train

 

            « Mon frère, David, a disparu il y a déjà trois jours. Il a été contraint de prendre un train lundi et depuis, plus aucune nouvelle. Il faut dire que par les temps qui courent, le courrier n’arrive jamais bien rapidement : il est ouvert au bureau de poste avant qu’on le lise et délivré selon le bon vouloir des autorités. Des hommes patrouillent nuit et jour dans chaque rue de la ville. J’habite une petite commune près de Lille. J’y serais d’ailleurs toujours si je n’avais pas dû partir !

 

            Hier, j’ai reçu une lettre dont j’ignore l’origine. Sur l’enveloppe, un sceau ayant la forme d’un aigle. À l’intérieur, je trouve un billet semblable à celui que mon frère avait reçu. Pas de destination spécifiée ; j’ai compris immédiatement que ce n’était pas une invitation mais une obligation. Quelques jours plus tôt, lorsqu’il avait reçu la sienne, il avait refusé d’y aller. J’imagine que c’est pour cela que des patrouilleurs sont venus cette nuit-là. Je ne l’ai pas revu depuis. Cela fait plusieurs mois que les civils ont vent de disparitions d’hommes et de femmes lorsque la ville est endormie.

 

            Ne sachant où l’on voulait m’emmener, j’ai pris le temps d’y réfléchir. Je n’arrivais pas à imaginer la destination : cela me faisait très peur pourtant, je me sentais si seule ici. La seule personne qui me tenait compagnie est partie il y a trois jours. Je souhaitais tant la rejoindre… Depuis deux ans maintenant, la ville n’est plus sûre, le pays n’est plus sûr, plus rien n’est sûr. Je me disais que si j’arrivais à le retrouver, je me sentirais peut-être mieux.

 

            Après maintes réflexions, je me suis décidée à partir : la peur des violences que mon refus engendrerait me paralysait… J’étais effrayée à l’idée de quitter pour la première fois ma maison, ma ville, peut-être même mon pays mais je n’avais pas le choix. En arrivant sur le quai, l’angoisse m’envahissait. Toutefois, je ne souhaitais penser qu’à mon frère et à ce premier voyage en chemin de fer. J’en avais tant rêvé : me laisser bercer par le bruit lancinant du roulement sur les rails, voir le paysage défiler à travers les fenêtres, laisser vagabonder mon imagination puis m’endormir paisiblement jusqu’à l’arrivée. Je pensais aussi aux multiples rencontres possibles, aux échanges avec les autres voyageurs partageant pour quelques heures un petit espace douillet.

 

            L’entrée du train en gare me sortit de mes pensées. Depuis le quai, il paraissait flambant neuf et très confortable mais la vérité était toutautre. On nous a fait monter dans un wagon avant de nous transférer dans le suivant quelques minutes plus tard.

 

            J’écris cette page une journée après le départ. J’ai beaucoup de mal à me concentrer car nous sommes au moins cinquante, non cent, dans cet espace pourvu uniquementque de petites ouvertures grillagées et hors d’atteinte. Nous sommes assis sur de la paille et plus le temps passe, plus l’odeur devient insupportable. La chaleur humaine que nous dégageons vient s’ajouter au soleil qui cogne sur le wagon en cette torride journée d’août. J’ai beaucoup entendu parler de superbes voyages en train. Les gens s’en vont et reviennent heureux, détendus pourtant, moi, je me sens très mal. Je me sens seule au milieu des autres femmes. Certaines arrivent de Belgique et nous racontent qu’elles ont, là-bas aussi, vécu de terribles moments. Lorsque j’étais encore en ville, je n’avais aucune idée de ce qui se passait de l’autre côté de la frontière, si proche de chez moi.

 

            Voilà maintenant trois jours que nous roulons. Ce n’est pas le premier voyage en train auquel je m’attendais. L’air devient irrespirable. Ce matin, une mère et son bébé se sont écroulés. Elle s’est relevée hébétée : son enfant ne respirait plus. Nous ne nous arrêtons pas, nous ne mangeons presque pas. Je ne pouvais m’attendre à un si terrible destin. Je me doutais, bien entendu, que ce voyage ne serait pas une visite touristique mais les conditions dans lesquelles nous sommes actuellement sont insoutenables. Heureusement, on nous a laissé nos vêtements et ce que nous avions sur nous. Sans cela, je n’aurais pas cette feuille de papier sur laquelle j’écris, ni le petit crayon de bois que je garde toujours avec moi. Jamais je n’aurais imaginé vivre des horreurs pareilles. Actuellement, j’espère uniquement pouvoir retrouver mon frère vivant. J’ai entendu tellement de rumeurs sur ces trajets et leur aboutissement ! J’ai toujours voulu rejeter ces histoires, pour me rassurer et me dire que David était encore en bonne santé. Pourtant, maintenant que j’y suis, je commence à me poser des questions.

 

            Par prudence, je vais laisser cette lettre dans le wagon, entre deux lattes de plancher. J’ai bien peur de ne plus jamais revoir quiconque. Ça y est, le train ralentit. Quatre jours de voyage, nous sommes épuisés. Plusieurs d’entre nous sont morts. Un officier, deux éclairs brodés sur le col de la veste, se rapproche. Il crie quelque chose en allemand : “Schnell, Schnell, wir sind in Polen”. Je crois que Polen veut dire Pologne. Vite, je dois cacher cette lettre. Adieu.

                                                                                                                     19/08/1942 »

 

            Missive retrouvée dans un wagon à bestiaux utilisé pour les déportations vers l’est organisées par le mouvement nazi, abandonné aux abords du centre de mise à mort Auschwitz-Birkenau en 1947.

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Il fallait bien que je tombe sur un écrit comme celui-là. Maël, tu nous fais cadeau d' un ''déplaisir ''. Tu ne peux pas gagner ce concours, je ne le veux pas. Tu es mises par devant et c' est juste. Parce que ça vient de vérités et de ce que ça fait mal. Cela fait mal parce que cela '' est '' et' est véritable - ça fait toujours mal comme une première fois quand ça fait mal - Là, tu frôles et tu touches de plein et de tout '' la première fois '' d' une manière à laquelle je ne suis pas préparée. Ta manière. J' évite toujours le malsain, je n' en ai plus le besoin, il ralenti la vie de devant. Il est à la mémoire au '' moment '' de la mémoire. Je sais aussi que ton récit n' est pas à ne pas dire,...je me sens abusé...............C'est écrit pour l' idée, c' est écrit, simple, tellement simple que ça garde et ça fortifie l' idée. Il n' y a pas à courir après les verbes ou les adjectifs, à galber la phrase. La lecture se fait, l' idée s' allonge, reste, gonfle. Je ne sais pas si ton texte est une miséricorde ou une accusation. Je pense que je me sentirais mieux si tu mouilles le col de ton maillot, si tu explicites toi-même ce récit, m' enlever cette impression d' être giflé et clarifier tes sentiments sur le tapis d' ici. Si cela est fait avec l' intention de rappeler, de choquer ou un prétexte, une occasion pour toi ou quelqu'un d' autre d' avancer quelque mots de miséricordes ( peut-être qu' il s' agit de quelqu' un de ta famille) J' en aurais bien à dire si cela sert à enlever du blanc et du silence mais il en est plus ton rôle que le mien ou celui d' autres personnes...............Je vais quand même te dire comment je conçois la chose, c' est tout aussi funeste que cela l' a été, la moins pire à gérer et à vivre. Je me dis et j' y crois ( quand je le pense, j' y crois ) que je prends cette partie enlevée ( la vie ) pour moi, que c' est la mienne et que c' est à moi de la vivre pour eux, que je vive leurs vies et la mienne pour le temps le plus longtemps possible qui n' est que le mien. C'est ce que je fais de moins, c' est ce que je ne peux faire de plus. Je valorise ma vie, je la gagne aussi pour eux et il n' y a pas à me perdre à je-ne-sais-où, je-ne sais-quoi. Ma conviction. Etre seul et pas seul de tous...............Après une lecture facile, avec une pente sentie, une pente devinée, les jurés savaient..., tout le monde sait.... du froid dans l' échine, de la salive qui ne se fait plus, quels mots pour dire quoi ? Ton sujet pousse et déborde '' la première fois '', est-ce qu' il entraîne un peu plus que de normal ? Est-ce délibéré, est-ce tricher moralement ? Cela t' enfermes? Tu viens et tu as réussi a pousser le rocher de sortie de ta caverne. Tu en portes les épines et les boutons, il te faut expulser ? C' est fait ! Je ne sais rien de tout cela, je suis éteins de lumières, je ne tiens pas les tenants, je n' en connais pas les engrais. Quatrième, tu as dépassé la dernière des cinq nommées. Les jurés ont fait leurs boulots, une place en prime, une place d' honneur de mieux que des cinq reconnues. Je suis d' accord avec eux. Mais ça fait mal, ça fait de l' univers en moins de l' univers, ce sont des sons, des cris qui se cognent qu' on entendra jamais, dans les images et les mots de l' Histoire............Je te souhaite de meilleures suites à tes idées et à tes sentiments, ce qu' il te va de bien vivre.

Publié le 10 Octobre 2019