Ici, chacun fait ce que bon lui semble. Lorsque l’on souhaite s’occuper à quelque chose, on le fait, en demandant conseil aux Grands. Les Grands, c’est ceux qui nous montrent certaines choses bien utiles, et qui nous surpassent par leur taille. Lorsqu’ils ne savent pas, ils répondent toujours la même chose : « Attention. ». J’ai l’impression qu’ils ne savent pas grand-chose, les pauvres. Moi, je passe mon temps à observer ce qui m’entoure. Les constructions, la pluie, le soleil, le feu, et la vapeur qui cuit les aliments, me fascinent. Je ne sais pas comment ils ont fait apparaître cela. Comme si c’était déjà ici avant.
Un jour où je m’essayai à une nouvelle construction qui me permettrait de traverser la petite rivière serpentant en contrebas du village, un grand est venu me trouver.
Petit.
Oui ?
Pourquoi t’obstines-tu à traverser ici ?
Je veux savoir ce qui se trouve de l’autre côté. N’y a-t-il pas d’autres personnes comme nous, après ?
Attention.
Et, passe-t-on de Petit à Grand, et sage, en un seul jour de notre vie ?
Non. L’être humain grandit, et cela ne se fait pas en un seul jour.
Alors ?
Tu ne pourrais pas comprendre, c’était avant.
C’est quoi avant ? N’y a-t-il pas quelque chose pour exprimer le fait que le soleil se lève toujours du même côté en se couchant à l’opposé, tant de fois déjà depuis que je suis né.
Tu observes beaucoup. Si quelque chose te manque, inventes-le.
J’appellerai cela…je ne sais pas…comment crée-t-on les nouveaux mots ?
Appelle des Petits, réfléchissez. Offre à tous ceux qui t’entourent la capacité de s’exprimer. Mais sache qu’aucune personne dans ce village ne voit ce qui t’entoure de la même manière que toi. Quand tu auras compris cela, tu auras tout compris, avant que je m’en aille.
T’en iras-tu ?
Nous nous en-irons tous bientôt, les grands.
Il s’en retourna avec les autres. En partant, j’aperçu un semblable, qui paraissait avoir vécu plus de lever de soleil que moi. Je le remarquai car il était un peu plus grand, mais pas autant que les Grands. Je ne l’avais jamais vu.
S’il t’empêche de sortir, c’est tout simplement que tu ne le peux pas.
Si je pose ce morceau d’arbre ici, je le pourrai.
Moi je suis sorti. Je ne te le conseille pas. Dehors, ce n’est plus comme avant. Les chefs d’états n’existent plus, les autoroutes s’effondrent, Internet est mort, les propriétés privées et l’argent sont des histoires anciennes. La société n’existe pas, chacun vit où il souhaite, comme il le souhaite. L’essentiel n’existe plus, dorénavant.
Ici, chacun vit où il veut comme il le souhaite, aussi. Et les autoroutes, et Internet, et les chefs, sont des mots que tu as inventés ? Ce n’est pas facile, j’ai essayé tout à l’heure.
C’est à cela que tu sers ici, à inventer. Quand vous aurez réinventé tout ce qui vous sera utile, on recréera la société en favorisant votre modèle. Vous n’êtes pas les seuls, j’en dénombre un par pays, des villages comme le tiens.
Je ne comprends pas, à la manière dont tu t’exprimes. Ce mot, essentiel, je peux l’utiliser ?
Oui ?
Quand le soleil se couchera le soir, après avoir parcouru toute la surface qui nous surplombe, et en ayant éclairé sur son passage mon beau village, ce sera pour moi l’essentiel.
Continue comme cela, mon grand.
Valentin Breton
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