L’appel, c’est du masculin. Par souci de parité, j’ai voulu rencontrer son féminin.
J’ai donc consulté celui qui se fait appeler « l’homme au phone ».
— Malheureux !, s’écria celui-ci en montrant une image représentant des outils de terrassement. Vous risquez d’en prendre une sur la gueule ! Mais la pioche des jeux de hasard pourrait vous servir.
Ouf ! Ce gourou est imaginaire, et sa consultation ne m’a pas coûté un rond.
Toutefois, je voulais faire un texte rigolo mais pan ! Un coup de vieux ! Une violente remontée de souvenirs d’enfance.
En 2021, l’air du temps me paraît irrespirable.
Son odeur de sérieux, vraiment suspecte, me rappelle celle de l’éther que j’ai respiré quand j’étais gamin avant d’être « opéré des végétations ». Un masque sur la tronche, relié à un tuyau. Et un rêve bizarre où j’entendais un motocycliste circulant sur une piste qui rétrécissait. Le bruit de la moto était probablement le son de mes propres hurlements. C’était en 1947 à Royan.
On craignait les épidémies (dues à la désorganisation qui a suivi le bombardement en 1945).
Et on avait installé un vaccinodrome dans la salle des fêtes de St-Palais-sur-mer.
Le masque et la vaccination obligatoire. Ça recommence en 2021.
Mais ce n’est pas tout. 1947, encore :
La femme de notre boucher était issue d’un milieu bourgeois et distingué.
L’épidémie de typhoïde a fauché sa fille de 3 ans.
Ce drame l’a minée et elle est décédée vers la soixantaine, suivie peu après par son mari, tandis que sa mère leur a survécu pendant plusieurs années.
Le souvenir de cette vieille dame, c’est pas bon pour le moral d’un octogénaire dont la belle-mère de 97 ans semble en pleine forme.
Alors que pour des vieux-à-avenir-limité (comme ma femme ou moi) la vie de tous les jours devient compliquée. Mais je dois dire que pour les jeunes ce n’est pas simple non plus.
L’air du temps nous paraît bougrement chargé (en particules fines, en dioxydes divers, en virus informatiques, en balivernes, etc.)
Survivrai-je à ma belle-mère dans une atmosphère aussi polluée ?
Et si tout cela n’avait aucune importance ? Il reste encore des belles choses dans la vie.
Par exemple la famille, les bons amis, les gens sympa, la musique qu’on aime, les souvenirs du passé (ils ne sont pas tous mauvais, loin de là), la bonne cuisine, les bons livres…
Et même des plaisirs minuscules près de chez soi.
Comme la jolie petite euphrasia qui pousse sur le trottoir au pied du mur de ma maison (« cette plante est bonne pour la vue », affirmait une jolie botaniste myope).
Et si tous ces menus plaisirs suffisaient pour nous faire oublier la somme d’emm… de la condition d’humains « civilisés »… avec quand même assez de fric pour pouvoir se payer des sorties botaniques, mais aussi un ordi (avec internet et un traitement de texte pour participer aux appels à texte proposés par mBS) ?
J’ai mal au dos. Et je suis devenu sourd à l’appel de la pelle.
Alors, celle-ci rouille dans l’abri de jardin.
Dommage. J’aurais aimé organiser la rencontre entre deux homophones aussi différents.
Toutefois, il m’arrive encore de ressentir un appel. Celui de la musique de danse.
Car la danse m’a fait passer des moments délicieux et donné l’opportunité de rencontres merveilleuses.
Je parle bien-sûr des danses de ma jeunesse, presque toujours à deux, ou l’homme invitait solennellement (ou non) une fille assise à une table (ou devant le bar d’un établissement douteux).
Un jeu de hasard en quelque sorte : La fille va-t-elle accepter ? La danse sera-t-elle agréable pour l’un comme pour l’autre ? Qu’adviendra-t-il ensuite ?
Un jour, le hasard a voulu que je bénéficie d’une bonne pioche au casino d’Arcachon.
Cinquante ans plus tard, celle que j’avais invitée à danser ce soir-là est toujours restée avec moi, et nous sommes donc plus heureux que la moyenne, malgré une communication difficile, des mots parfois assez durs et un avenir moins riant que nos meilleurs souvenirs du passé.
Nous dansons rarement, mais nous avons le bonheur d’avoir un enfant.
jbtanpi
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci @Lisa DJ pour votre commentaire sympa et poétique.
Félicitations @Boris Phillips d'avoir su vous retrouver dans cet univers hétéroclite.
Merci @Maureen Hann, je suis heureux de savoir que vous êtes sensible à l'évocation de mes souvenirs d'enfance.
Pour cet appel à l'écriture, j'avais envie de jouer avec les mots et les homophones (et d'égratigner au passage l'écriture inclusive et la culture woke) afin de pondre une nouvelle joyeusement surréaliste.
Toutefois, quand l'idée de départ a frappé à la porte de mon imagination, elle n'était pas seule.
Un peu comme une jolie fille qui fait de l'auto-stop sur le bord d'une route.
Cette idée était suivie de quelques autres moins sexy comme les soucis du quotidien, d'anciens souvenirs oubliés (et divers débris des désirs inconscients ou refoulés) qui ont surgi dans mon esprit comme des pop-up publicitaires sur un écran d'ordinateur ou des mecs balaises derrière l'auto-stoppeuse. Dans le plus parfait désordre...
Que faire de tout ça ? D'abord noter tout ce qui vient dès que je peux. Chez moi, ça se passe en général vers 5 heures du matin, et le défi est de ne pas réveiller ma femme (qui dort à-côté de moi) en allumant une lumière ou en me levant. Cruel dilemme que je résous généralement en minimisant la génialité des idées qui m'arrivent, et en estimant qu'elles sont têtues et reviendront plus tard... et que le mieux que j'ai à faire, c'est de me rendormir car on est bien au lit. Ou alors, si l'insomnie est tenace, réfléchir à un moyen mnémotechnique de retenir les idées les plus intéressantes.
C'est bien plus efficace que de compter les moutons (pour se rendormir), Toutefois les idées ne reviennent pas toujours quand je suis prêt à les noter.
Pour mes commentaires (ou mes réponses à des commentaires), je me méfie de mes réactions "à chaud" souvent maladroites (ou très sommaires). Alors, j'hésite à les poster tout de suite, et je n'échappe pas à la procrastination.
En tous cas, merci à vous trois d'avoir eu la patience de lire ce texte et la gentillesse de l'avoir commenté.
@jbtantpi,
Quel plaisir de lire cette histoire malgré la dure réalité de la vie, qui finira tous par nous rattraper un jour. Toutefois, comme un cri du cœur, ces souvenirs ressurgissent et font le constat d'une réalité bien présente. Ils ne nous laissent pas indifférent, merci pour cette tranche de vie.
Amicalement
Maureen
Félicitations pour ce récit court mais dense, @jbtanpi.
Certes, on peut s'y perdre un peu entre les homophonies, les nostalgies, les futurs improbables... comme tout était voulu sous votre plume alerte, l'ensemble est plus que plaisant..
Cordialement.
Philippe.
Très jolie nouvelle. Comme un vent triste qui balaie la nostalgie.