Le Festival d’Angoulême, un acteur économique et social de poids
Depuis 1974, le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême est le principal festival de bande dessinée francophone et a lieu en France, dans la ville d’Angoulême tous les ans en janvier sauf cette année, COVID oblige, où il a été repoussé en mars.
Il associe expositions, débats, rencontres et séances de dédicace, les principaux auteurs francophones étant présents. Certains auteurs étrangers traduits en français y assistent régulièrement (Carlos Trillo jusqu’à sa mort en 2011, Jamie Hewlet, Paco Roca, Art Spiegelman, Robert Crumb, Bernet et Abuli, etc.) De nombreux prix y sont décernés, dont le grand prix de la ville d’Angoulême, qui récompense un auteur pour l’ensemble de son œuvre, et le Fauve d’or, récompensant un album paru l’année précédente. Plus de 200 000 personnes y affluent à chaque édition et son impact économique dans le monde de la publication est considérable.
Cette année, le grand prix a été attribué à l’autrice Québécoise Julie Doucet, pour l’ensemble de son œuvre. Elle est la créatrice de la «ligne crade» par opposition à la «ligne claire» de l’école belge. Ses récits sont marqués par un féminisme revendiqué.
Il est à noter que, par un hasard du calendrier, il y a tout juste 40 ans que le Grand Prix fut remis à une féministe de talent, pionnière du genre : Claire Brétécher.
Il y a une multitude de styles et de genres en BD
Les écrivains, les réalisateurs et les auteurs de bandes dessinées ont chacun leur propre code stylistique, leur « patte ». La graphiation renvoie à l’identité graphique de chaque dessinateur, mais aussi à sa fonction poétique. Cependant, bien que le texte puisse dominer l’image, ou que l’image prenne le pas sur le texte, les personnages doivent être facilement identifiables, posséder leur propre personnalité, leur gamme d’expressions afin qu’on puisse immédiatement les retrouver au fur et à mesure du récit. Le nombre, la forme et la disposition des cases (on dit aussi « vignettes ») donnent le rythme et l’intensité de l’histoire.
L’utilisation de la couleur ou du noir et blanc joue aussi beaucoup sur le climat et la narration du récit.
La couleur est souvent un indicateur d’état des potentialités esthétiques et narratologiques.
Un visage qui bleuit ou qui verdit nous indique le malaise, la nausée, la maladie. Le rouge qui monte aux joues d’un personnage nous suggère la colère, la folie, l’étouffement, la honte.
Ces couleurs mêlées aux mimiques ne nous laissent aucun doute sur les désordres affectifs et émotifs de ces personnages et remplacent ainsi très efficacement des descriptions.
Une ponctuation spécifique et novatrice : le propre de la Bande dessinée
Pour intensifier la force des dialogues, les auteurs de BD ont recours à des procédés normalement inusités ou impossibles dans la création littéraire : des descriptions assurées moins par le texte que par l’image ; absence de subtilité dans l’usage de la langue, surenchère d’onomatopées et de signes de ponctuation à valeur expressive (points d’exclamation, d’interrogation, parfois le mélange des deux, etc.), utilisation du gras, voire du très gras, pour souligner la force vocale des dialogues, changement graphique des caractères, modification des phylactères, emploi de symboles et de pictogrammes.
Le langage de la BD est effectivement différent de celui utilisé dans la littérature classique, mais il est au moins aussi riche et sa capacité en narratologie lui est bien souvent supérieure.
Le texte et l’image se renforcent mutuellement, œuvrent de concert. Dans cette perspective, l’emploi d’une graphie spécifique, le choix d’une police et/ou les diverses distorsions appliquées au texte deviennent autant de lieux de jonction entre le dessin et la linguistique, lieux auxquels la littérature n’accède que par effraction. Une telle approche, à première vue rigide, présente de multiples avantages. Non seulement elle définit avec rigueur le concept de graphiation, et ce faisant le rend mobilisable dans des cas concrets d’analyse, mais en plus elle embrasse un large éventail de créations, des albums muets à ceux volontiers plus bavards, en passant par tous les cas de répartition équilibrée entre texte et image.
La bande dessinée puise dans les ressources de sa mixité et de son langage pour mieux cultiver l’ambigu et donne congé à la littérature pure et dure.
Imprégné et débarrassé de son modèle écrit traditionnel, le neuvième art peut enfin, gagner ses lettres de noblesse.
Tribune assez longue dans sa description, même si oui, comparer une bande dessinée a Lascaux n'est qu'une évidence dans sa forme représentative du sujet.
Ceci dit, un petit rappel d'un ensemble de BD qui fait plaisir a revoir.
Pif Gadget,n'en ai qu'un parmi tant d'autres.
Merci pour cet article écrit par un passionné.
@Boschet : Question à la marge de la bande dessinée, pouvant être considérée pourquoi pas, hors sujet : est-ce que les livres d'artistes peuvent eux-aussi être considérés comme des bandes dessinées ? A mon sens, ce sont des livres illustrés, qui n'ont rien à voir avec la BD, mais qu'en pensez-vous ?
Merci pour toutes ces précisions.
Bonjour, merci pour votre tribune, bien que je doive avouer que votre dernière phrase me laisse quelque peu perplexe… Vous écrivez : « En fait, reconnaître que la BD est littéraire, revient à accorder aux bédéastes le statut d’auteur à part entière, ce qui n’est que justice. » Mais n’y aurait-il pas, de votre part, confusion entre les notions d’« auteur » et d’« écrivain » ? La qualité « littéraire » ou non d’une B.D. n’est pas nécessaire pour conférer aux bédéistes le statut d’auteur… Si l’utilisation générale du mot « auteur » pour qualifier un « écrivain » peut porter à confusion, un auteur de BD, qu’il soit scénariste ou graphiste-dessinateur, n’en est pas moins un « artiste-auteur » comme l’est aussi un « écrivain ». (Ce n’est d'ailleurs pas par hasard que de nombreux noms de la BD ont fondé ou adhéré à la Ligue des Auteurs Professionnels…) Par ailleurs l’acte d’écrire, qui fait de l’« écrivant » l’« auteur » de son texte (dans le sens de producteur et de propriétaire intellectuel), ne signifie pas non plus qu’il s’agit d’un « écrivain » dans une autre perception du terme, tout aussi répandue (« grand-t-écrivain »)…
Bravo pour cet article qui aère les sujets traditionnels. Un spécialiste visiblement ou un amoureux.
Pour être maman et mamie de bédéphiles/bédéistes, la BD je connais, mais la deuxième question, digne d'un sujet du Bac, m'interpelle. Je ne sais pas, moi, mais si je veux " lire " une BD, je ne vais pas la trouver chez mon poissonnier et je me rends dans une " librairie " ou à la " bibliothèque ". J'ai apprécié cette tribune dédiée au 9ᵉ art, notamment le lien vers l'allégorie de la caverne de Platon.
@Lamish ter
@Lucas Belmont
Bien sûr qu'idéalement, ne rien classifier est idéal... mettre dans des boites, sur des étagères etc...Mais la question n'est pas là, la question c'est le commerce du livre pour les éditeurs, les libraires, les grandes surfaces culturelles !. Comment guider les acheteurs, comment vendre les livres, comment conseiller, comment convaincre, comment donner envie ?... "
Inclassable" n'a jamais été un argument de vente... Sauf pour ceux qui mettent les livres au pilon
@Lucas Belmont
Si (et juste pour jouer) comme le Larousse le mentionne l'artiste est :
- Une personne qui exerce professionnellement un des beaux-arts
- Que La discipline des beaux-arts comprend en général ces cinq catégories : design, architecture, stylisme, sculpture ou peinture.
Seul le bédéaste pourrait prétendre au statut d'artiste via la peinture et éventuellement le design
Votre article a bien éclairé ma lanterne sur une question que je ne m'étais jamais posé… J'ai toujours pensé la BD comme une performance littéraire et artistique.
Merci pour cet article très complet qui explore tous les aspects de la Bande dessinée. Je suis d'accord pour conférer aux bédéastes le statut d'auteur et d'artiste. Mais les genres littéraires exigent et répertorient des normes académiques qui me semblent centrées quasi exclusivement sur l'écrit, et sa maitrise, même quand les ruptures sont organisées. Pourrait-on qualifier un écrivain d'artiste ? Et un bédéaste d'écrivain ?
Délicat. C'est peut-être là qu'il reste un clivage.
@PHDV
Vous avez raison, nous ne disposons pas aujourd'hui des outils techniques pour une reproduction décente. Mais c'est une question que nous devons nous poser.
@PHDV, la culture cher PHDV, la culture... Et faire venir un public large et nouveau pour qu'il découvre le site et lise vos livres. Car pourquoi les amateurs de BD ne s'intéresseraient pas aux autres formes d'écrits ?