Interview
Le 06 nov 2023

Suite de la Collection grammaire sur mBS : Les adjectifs de couleur

Pour un auteur inexpérimenté (ou atteint d'anémie ou de chlorose), l'accord des adjectifs de couleur peut paraître aléatoire. Il n'en est rien. Cet accord est régi par des règles précises (encore que souvent incompréhensibles – mais n'est-ce pas là que réside une grande part de leur charme ?). Petit tour, donc, de celles-ci, afin que bien des textes ne soient plus pareils à des garnements barbouillés de peinture ou à des Apaches sur le sentier de la guerre.
Collection grammaire sur mBS : Les adjectifs de couleur

"Elon a lu your latest article on pleonasms, et il en est très impressionné, m'annonce M. monBestSeller, le Génie du crime du roman à six pence. (*)  –  Allons bon ! fais-je, même si je n'en ai rien à bricoler. – Et figurez-vous qu'il adorerait vous enlever un peu de cervelle. "This armorican guy has too much", m'a-t-il confié, avant de sauter dans sa méga-fusée. – C'est très gentil à lui ; j'en suis fort touché ; mais je ne suis pas sûr que Bredig serait bien aise de me voir pisser par l'oreille. (**) Soyez sympa et dites bien à votre Mr Musk que je ne suis pas tenté par le transhumanisme, que je me contente parfaitement d'être ce que je suis et que ça me suffit amplement pour bricoler ces fabuleux articles qui déchaînent l'enthousiasme effréné des usagers de mBS, de même que pour chasser l'étrille à marée basse et la gueuse à marée haute. – What a pity ! Enfin, vous aurez eu votre chance. Don't come whining to me later. – Pardon ? Quoi qu'est-ce ? – Ne venez pas ensuite pleurnicher. –  N'ayez aucune crainte, mister Ghostas, je ne suis pas une Zonzon."

 

(*) Pour on ne sait quelle obscure raison (peut-être l'influence muskienne), M. Monbestseller vient de sombrer, ces derniers jours, dans une scabreuse anglomanie. De l'avis de Bredig, c'est plutôt dû à une indigestion de bulots ou à un problème de prostate. Quant à Joey Florence, par moi contactée, elle se dit bien certaine que M. Monbestseller fait une crise d'acétone, « et de toute façon, ajoute-t-elle, ce sbire illustre à lui seul le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

(**) Cf. Pléonasmes à la mode de Bretagne

 

Neurosciences, neuropsychologie et puces des sables

C'est alors, à la seconde près, que m'est venue l'idée de consacrer mon nouvel article aux adjectifs de couleur. (Saura-t-on jamais comment marche l'esprit humain ? Comment il saute, telle la puce des sables [Talitrus saltator], d'une idée à une autre en dehors de toute logique apparente et sans l’autorisation de son propriétaire ? D'après ce que j'en sais, c'est-à-dire pas grand-chose [de fait, je n'ai lu qu'un seul article sur le sujet dans Le Bulletin des mareyeurs de Plougastel], même les neurosciences capitulent, piteuses, devant cette énigme. "Tout ce qu'on peut dire, conclut le Pr Brandebouc dans le papier dont duquel de quoi je viens de causer, c'est que la neuropsychologie ne nous rendra pas les fins de mois plus faciles." C'est d'un pessimisme affreux, mais, comme me le fait remarquer Bredig, qui connaît bien les scientifiques puisqu'elle est actionnaire d'une firme internationale qui les fournit en rats de laboratoire, tous ces énergumènes s'abîment immanquablement dans la sombreur mentale la plus sévère, dès lors qu'ils cessent de s'amuser à inventer la bombe atomique.  Enfin, voilà qui est dit et qui ne laisse que peu d'espoir de comprendre un jour pourquoi Paulho le Véto (*) confond régulièrement "vie après la mort" et "insémination artificielle".

 

(*) Paulho le Véto est ce membre de mBS qui ne sait pas grand-chose du style, mais qui est incollable sur les prodiges karmiques. On dit même qu'il les connaîtrait aussi bien, sinon mieux, que le cul des vaches qu'il ausculte. C'est dire que le karma est comme son voisin de palier.

 

Le genre, le nombre et l'Angleterre

Bref, les adjectifs de couleur. Dans un monde idéal, tous les adjectifs de couleur s’accorderaient sans barguigner en genre et en nombre avec le nom ou le pronom qu'ils qualifient. Or, il n'en est rien. Pour peu qu'on se sorte la tête du cul, selon l'expression élégante qu'a accoutumé d'utiliser mon camarade Yvon Kerbreizh, poète-proctologue à Rosporden, on s’aperçoit sans grandes difficultés qu'il existe des exceptions qui rendent les fameux adjectifs d'un maniement peu aisé. Et l'on se dit, in petto, qu'on aurait été sans doute mieux inspiré de naître à l'étranger, par exemple en Angleterre, où les adjectifs, qu'ils soient ou non de couleur, se foutent de s’accorder en genre et en nombre avec quoi que ce soit. (**) Ils vivent leur vie, tranquilles, peinards ; rien jamais ne les trouble ; encore moins la grammaire.

Résumons-nous : les adjectifs de couleur (que j'appellerai désormais a.c. pour simplifier) s'accordent, sauf quand ils ne s'accordent pas. (Ça paraît un énoncé grammatical des plus raisonnables et tout à fait assimilable par le commun des mortels et toute sa parenté.) Dans ce dernier cas on parle d'exceptions, et c'est exactement là que ça commence à être, sinon totalement désopilant, au moins quelque peu distrayant. Car, ne nous y trompons pas, ce sont les exceptions se cachant derrière la plupart des règles de grammaire qui font toute la beauté de la langue française. Et tout cas son intérêt et, osons le mot, son agrément. Car, avouons-le, sans toutes ces exceptions (et parfois même les exceptions aux exceptions), on s'ennuierait ferme à rédiger des sottises en tirant la langue (c'est l'effort) au-dessus de son clavier.

 

(*) Cela explique peut-être la nouvelle anglomanie de monsieur, pardon, de mister monBestSeller. En effet, ce dernier est l'auteur méconnu d'un pamphlet dirigé contre les adjectifs de couleur (L'Arc-en-ciel du foutage de gueule), dans lequel on peut lire : "Nous prennent tous pour des tiroirs-caisses, ces petits salopiauds". On ne sait pas très bien ce qu'il entend par tiroirs-caisses (cash drawers dans la langue de Shakespeare), mais on subodore nettement la péjorativité du propos.

 

Vol au-dessus d'un nid d'exceptions

Bon, avançons sans nous disperser. Les a.c. s'accordent en genre et en nombre, pense le vulgum pecus qui n'a jamais mis le nez chez le marchand de couleurs. "Hé ! Ho ! le tancé-je. Et qu'est-ce que vous faites des exceptions ? Des papillotes ? Des guirlandes de Noël ou des chipolatas ?" Le vulgum pecus, penaud, s'excuse et, avec une modestie exemplaire qui ferait honneur à Ambrosine Canule si elle connaissait seulement cette vertu, s'enquiert de ce qu'elles sont, ces fameuses exceptions. Or donc, allons-y donc. 

Première exception : châtain qui, lui, ne s'accorde qu'en nombre. Ainsi peut-on écrire "des cheveux châtains" et non "des chevelures châtaines" ; ce sera "des chevelures châtains". Pourquoi ? Parce que (cette explication devra vous suffire ; je ne suis pas non plus ici pour inventer des justifications, là où ne règne que l'arbitraire le plus constipatoire (*)).

Deuxième exception : les a.c. tirés d'un nom, qui ne s'accordent ni en genre ni en nombre. Il peut s'agir de noms de fleurs et d'arbres (acajou, ébène, fuchsia, indigo, paille, pastel, pervenche, etc.), de fruits (abricot, cerise, citron, kaki, marron, noisette, olive, orange, etc.), de métaux ou de minéraux (argent, brique, bronze, grenat, ocre, or, turquoise, vermillon, etc.), d'animaux (carmin ou cramoisi, chamois, corail, pie, saumon, etc.). Là encore, ne me demandez pas pourquoi ; je n'en sais rien et je doute que quiconque le sache ; hormis peut-être les grammairiens les plus atteints. Il faut toutefois noter que cette série d'exceptions comporte elle-même des exceptions (sinon, où serait le plaisir ?) ; ce sont rose, pourpre, mauve, fauve, écarlate et incarnat, lesquels s'accordent par conséquent comme n'importe quel adjectif qualificatif qui se respecte un peu. (**)

Troisième exception : quand les a.c. sont composés de deux mots pour qualifier une seule et même couleur (p.ex. : une Zonzon gris clair, une Catarina Viti vert pomme, une Ambrosine Canule bleu foncé, une Parthemise bleu pâle. (***)). Toutefois, si les deux mots considérés sont deux adjectifs de couleur simple, il faut les joindre par un trait d'union.

Pour finir, j'aimerais attirer votre attention (et votre méfiance) sur les a.c. unis par la conjonction de coordination et. Ils sont invariables s'ils qualifient une chose portant les deux couleurs à la fois (p.ex. : un bouquet de fleurs rouge et blanche – chaque fleur est rouge et blanche), mais ils s'accordent si certains des  éléments sont d'une couleur et les autres d'une autre (p.ex. : un bouquet de fleurs rouges et blanches – certaines fleurs sont rouges et les autres blanches).

 

(*) À noter que j'ai choisi cette épithète uniquement parce que je ne savais pas comment finir ma phrase. Au reste, je ne sais même pas si elle existe réellement ; il faudrait s'en référer au dictionnaire, mais le mien vient d'être déchiqueté par Quiberon, le dogue breton de notre voisine, Gwenola Lepainsec, laquelle est gardienne de menhirs aux alignements de Carnac (elle veille à ce que les touristes, surtout les Belges, n'en repartent pas avec un mégalithe volé au fond de leur poche).

(**) "Elle est pas belle, la vie ?" rigole Bredig, avant que j'aie eu le temps de l'assommer d'un bon coup de dolmen.

(***) "C'est qui ça, cette pimbêche ?" me demande Bredig, en éclusant un grand verre de lambig pour se redonner du cœur au ventre (elle rentre d'une pêche aux pétoncles, et il faut savoir que c'est un sport halieutique des plus éreintants : il faut en effet leur courir aux trousses tout au long du rivage afin de parvenir à les coincer au fond d'une ria, où on les cueille enfin aussi facilement que des cerises à l'étal du primeur). "Pas grand-chose, lui réponds-je ; juste une auteuresseuse quelque peu déjantée qui panouille sur la plate-forme et qui semble se donner comme gageure de caser le plus grand nombre de personnages possible dans le moins de paragraphes possibles, avec pour résultat que ses nouvelles ressemblent à des basses-cours prises de panique ou à une cour des miracles frappée de la danse de Saint-Guy. En réalité, je ne sais même pas si elle aimerait ta soupe au varech et ta ratatouille de goémon ; je ne sais pas plus s'il serait suffisant qu'Elon Musk lui greffe une cervelle. – Dis donc, l'artiste, se moque alors Bredig, t'as pas l'impression qu'il y aura bientôt plus de notes que de texte véritable, dans tes balivernes ?" Sacrée Bredig ! Celle-là, le jour qu'on lui ajoutera un cerveau, c'est sûr qu'elle deviendra une critique féroce ! En attendant, je l'expédie à la cuisine, car je n'ai pas le sentiment que les pétoncles vont se cuisiner tous seuls.

 

Parvenu ici, il est temps de conclure

Les règles d'accord des a. c. sont une jungle. Il n'est pas sûr qu'un Pygmée y retrouverait sa progéniture. Non plus qu'un okapi. Voire un tapir. Et le meilleur conseil qu'on puisse refiler gratos à un auteur inexpérimenté est de soigneusement les éviter. ("On peut très bien vivre sans écrire que le cadavre de sa grand-mère était blanc cassé", approuve Bredig, qui n'est pas femme à s'embarrasser de sentimentalisme.) Il s'en portera bien ; en tout cas, pas plus mal que s'il les employait en les accordant à tort et à travers. Car, quoi qu'on dise, c'est une grande faute que de les maltraiter. Qui peut vous valoir le piquet. Le pilori, les oubliettes ou la déchéance de nationalité.

 

Karadeg Lapérissoire

(conchyliculteur mondain)

Vous avez un livre dans votre tiroir ?

Publier gratuitement votre livre

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…

11 CommentairesAjouter un commentaire

Les lecteurs cramoisi et écarlates peinent à vous suivre, car leurs zygomatiques sont out of control !

Publié le 09 Novembre 2023

J'ai eu du mal à comprendre. Je m'en vais de ce pas recommencer cette lecture.

Publié le 08 Novembre 2023

@Salvador RICARDO
Ne vous alarmez pas devant les débordements insensés de Mme Florent. C'est simplement qu'elle est gravement azimutée. Mais ça lui passera avant que ça me reprenne.

Publié le 07 Novembre 2023

@Fanny Dumond3
Vous avez parfaitement raison d'agir ainsi. D'ailleurs, je fais la même chose pour choisir mes palourdes et mes coques. Et ça marche à merveille.

Publié le 07 Novembre 2023

@Catarina Viti
Je ne vous savais pas une poétesse de cette pointure ! J'en suis tout berlingotiné.

Publié le 07 Novembre 2023

@ZF
Tiens ! Samain est passé à la poubelle. C'est dommage, parce que je trouvais tout à fait charmant de vous inspirer un poème du poète. Vous, c'est plutôt Galodarsac que vous m'inspirez. Preuve que nous ne jouons pas dans la même cour et qu'en dépit de vos efforts, nous ne serons jamais camarades.

Publié le 07 Novembre 2023

Qui eut pu s'imaginer qu'un article innocent sur les couleurs puisse entrainer autant d'animosité!!! Et encore vous n'avez pas évoqué les cas douloureux sinon dramatiques des couleurs zinzolin(?) ou cuisse(s) de nymphe(s) émue(s)
Oliver Degris
Ps: A quand un article sur l'emploi des majuscules, c'est aussi un sujet qui vaut son pesant de cacahuètes de La République démocratique du Congo ou de la République centrafricaine...

Publié le 06 Novembre 2023

Ces histoires d'adjectifs de couleur sont tellement compliquées que je consulte la toile, lorsque rarement, il m'arrive d'en écrire. Et comme je ne veux pas m'encombrer l'esprit avec ces trucs que je ne retiens pas, en un clic, j'ai la réponse !!!

Publié le 06 Novembre 2023

@Zoé Machintruc
Pardonnez la rude franchise des hommes qui vivent au contact de la mer, mais si vous alliez vous faire replâtrer les ovaires ailleurs ?

Publié le 06 Novembre 2023

"Il y a un temps pour pleurer
et un temps pour rire,
un temps pour gémir
et un temps pour danser.
Il y a un temps pour lancer des pierres
et un temps pour les ramasser".
(Ecclésiaste 3, 1-12)
"Et il y a ceux qui ont une intelligence
et ceux qui en sont privés
Ceux qui ont des montres
et ceux qui se demandent quelle heure il est.
Ceux qui arrivent après la bataille
et quand la vaisselle est dite.
Bref, c'est d'ordinaire un grand boxon sous le ciel
Le seul bonheur, c'est de se réjouir et de profiter de la vie.
(Monthy Python moins cinq)

Publié le 06 Novembre 2023

A l'origine, la couleur carmin ( dont cramoisi est synonyme, et inversement) était obtenue par le meurtre et le broyage consécutif d'une cochenille. Cela est assurément effroyable, mais c'est pour cette raison qu'on retrouve généralement les deux mots dans la liste des exceptions qui vous préoccupe tant. J'espère que cette précision apaisera vos angoisses, ainsi que celles de vos érudits. Mais peut-être devriez-vous changer de salons mondains ; essayez donc ceux où l'on possède quelques rudiments de français ; vous verrez, je suis certain que ça vous distraira agréablement de votre rustique entourage ordinaire.

Publié le 06 Novembre 2023