Nos dernières productions nous conduisent à partir d’histoires singulières à nous plonger au cœur de problèmes de violences conjugales. Pour autant, nos écrits ne s’apparentent en rien à de savants traités de sociologie ! Ces drames prennent corps dans une réalité brute de décoffrage, sous la forme d’un solide polar pour « Le Diable était aux anges », et d’un roman social, quasi-naturaliste, pour « Les Gens de rien… ou de si peu ». Mais tout d’abord, un peu d’histoire...
Au Moyen-Âge, dans le Saint Empire Germanique, certains litiges se réglaient en duel, le « duel judiciaire ». Si les ecclésiastiques étaient exemptés d’une telle procédure, le port de la robe n’était pas une qualité suffisante pour bénéficier de cette libéralité puisqu’elle n’était pas accordée aux femmes. D’où l’extension du principe du duel au divorce, le divorce par combat[1]. « Vous ne vous entendez plus, eh bien battez-vous maintenant ! » disait la loi.
Pour être moyenâgeux, les maîtres d’armes n’en avaient pas moins remarqué que l’homme était généralement avantagé en taille et en force, sans compter qu’il avait souvent reçu une éducation et un entraînement au combat. Afin de rendre l'affrontement plus équitable, quelques aménagements étaient censés favoriser la femme dans la bataille (cf. illustration).
[1] Violence in Medieval Society, Richard W. Kaeuper, The Boydell Press (2000)
Le divorce par combat au Moyen-Âge
La femme était armée d'un tissu renfermant des pierres qui lui servait de massue. Elle se mouvait librement alors que l'homme, disposant d'un simple gourdin en bois, se tenait au fond d’un trou circulaire dont émergeait le haut de son corps.
© Wiktenauer / Bayerische Staatsbibliothek / CC BY-NC-SA 4.0 Talhoffer Fechtbuch
Le vainqueur de l’engagement était considéré comme choisi par Dieu. Les autorités ecclésiastiques parlaient d’une procédure ordalique. Puisque c’est Dieu qui avait désigné le vainqueur et que Dieu est infaillible, c’est que le perdant était nécessairement coupable. S’il n’était pas mort au combat, son sort n’en était pas moins scellé. S’il s’agissait du mari, il était extrait de son trou et exécuté sur la place de la ville. Si c’était la femme, elle était à son tour placée dans le trou et enterrée vivante.
À la Renaissance, l’Église a fini par obtenir l’interdiction des duels judiciaires. Elle a cru régler le problème du divorce en le bannissant, l’indissolubilité du sacrement du mariage ayant été prononcée en 1563 ! Réintégrant la sphère privée, la violence conjugale est de nouveau appelée de nos jours devant les tribunaux, civils cette fois. On constate avec effroi qu’elle gangrène tous les milieux.
Ce thème se retrouve naturellement dans la fiction. Dans nos histoires singulières, ces drames prennent corps dans une réalité brute de décoffrage, sous la forme d’un solide polar d’un côté et d’un roman social, quasi-naturaliste, de l’autre.
Dans le « Diable était aux anges », un flic en disponibilité, Corrida, est amené à porter secours à sa voisine qu’il ne connaît pas, Karolina, victime d’un différend bruyant et violent avec une brute féroce, Bosko, qui pourrait être son compagnon. Dès les premières pages, l’auteur nous plonge au cœur de la violence faîte aux femmes. Corrida neutralise Bosko et tombe raide dingue de Karolina. L’idylle est à peine engagée que Karolina disparaît, probablement enlevée par Bosko. Celui-ci est un vrai danger, membre d’un réseau de proxénètes, en affaire avec des puissants. Le lecteur est embarqué à la suite de Corrida qui n’a plus qu’un but, retrouver et libérer la Belle.
On se passionne pour l’intrigue, sans s’apercevoir que le narrateur est en train de nous plonger au cœur d’un drame intime. Pourquoi le flic est-il en disponibilité, en quoi ses rapports avec sa sœur et plus généralement son histoire familiale sont-ils reliés à l’intrigue ? Nulle bifurcation dans le scénario, mais d’une histoire de mœurs et de flics, on se retrouve plongé dans l'horreur de la violence au quotidien, car c'est bien ici d'horreur dont il s'agit.
L’intrigue de « Les gens de rien… ou de si peu » est plus linéaire, même si elle est narrée comme une suite de tranches de vie sur plusieurs années, avec des ellipses. Nina et Pierre, les héros du roman, vont faire connaissance de manière rocambolesque. Deux mois plus tard, ils se marient. Pierre est un grand taiseux. Nina, jeune fille hypersensible, vit ses passions dans des rêves exaltés. Dans la réalité, elle en est réduite à faire des ménages, jusqu’à la naissance de leur fils. De renoncement en renoncement, Nina vit de plus en plus mal l'usure du quotidien, l'ennui. Le couple, bringuebalant, n’en finit pas de se déchirer. Jusqu’au drame.
« Quand l’avocat de Nina entama sa plaidoirie [...] chacun s’était forgé son intime conviction. […] Car tous étaient frappés par le spectacle qu’ils avaient sous les yeux. [...] une femme, un petit bout de femme que les circonstances tragiques avaient amenée dans ce box, une femme que le destin avait abandonné sur le bord de la route, une femme à qui depuis deux ans déjà on avait arraché son enfant, son seul trait de lumière, une pauvre femme qui n’aspirait qu’à la vie et qu’un crétin avait cru bon de cloîtrer entre quatre murs, une femme que le même crétin s’était permis de frapper, après avoir enfilé pour un soir ses habits de salaud et de lâche. La frapper jusqu’à la détruire. »
« Comme pour mes deux autres romans, en commençant à écrire les « Gens », je ne savais pas où l’intrigue allait me mener. » Comment et pourquoi cette histoire d’amour romantique qui va lentement dériver jusqu’à conduire au drame final, s’est-elle imposée sous la plume du narrateur ? C’est à la fois le mystère de l’écriture et en même temps, hélas, la triste réalité des faits divers quotidiens. Au moins, triste consolation, ces faits sont-ils aujourd’hui vigoureusement dénoncés ! Nous partons, il est vrai, de si loin. Mais sommes-nous vraiment sortis du Moyen-Âge ?
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci Ricardo et Michel pour cette tribune.
Un grand sujet...
Je me permets un petit mot privé à @Marie Berchoud : vois-tu, ce dont tu me parlais hier (en relation avec le bûcher), c'est le sujet d'une nouvelle. Peut-être une manière pour toi de "régler" la "question". Et tu pourrais dédicacer ta nouvelle à notre duo d'auteur.
A tous, bonnes fêtes !
@marie berchoud
J'admire votre optimisme, sans vouloir faire d'auto-promotion ni pousser à la consommation, le roman que j'ai proposé à MBS ; 'Le diable était aux anges' se fonde sur un constat moins 'bienveillant' mais qui pourrait vous plaire.
@Salvador Ricardo : une gageure, non, mais un espoir et... si ça la manière douce et humaine ne marche pas, ni le dialogue avec le retour sur soi, alors on peut passer aux sanctions plus rudes.. Il est vrai que faire évoluer, human iser est mieux, mais parfois les poids et entraves du passé sont trop puissants.
@marie berchoud
merci pour votre commentaire, l'approche historique ( habilement concoctée par Michel Laurent) permet d'aborder le sujet de façon moins viscérale. On aurait pu espérer qu'au fil des siècles les relations entre humains s'améliorent alors qu'elles ne font que s'exacerber.
Est-ce une gageure paradoxale que de vouloir résoudre le phénomène de la violence en douceur?
Merci pour cette chronique alliée à l'Histoire, ce qui incite à la découverte, cher auteur, et je crois bien que vous avez raison, il subsiste dans les couples et plus largement les relations amoureuses une large part d'archaïsme. Le mieux, alors, est... d'en être conscient, et le moment (bien) venu, d'évoquer tout ça.