> Les personnages qui restent dans les mémoires sont généralement soumis à une soif inextinguible, à une passion que rien ne peut éteindre.
Beaucoup plus difficile est l’exercice consistant à ancrer un personnage aux antipodes de la passion : il faut être le grand Joseph Conrad pour accoucher de Bartleby le scribe dont la fameuse phrase intraduisible en français « I prefer not » (rendue toutefois par « Je préférerais ne pas ») est la clé d’une des plus fascinantes histoires de résistance passive de la littérature mondiale.
Nous ne sommes pas Conrad.
Donc, ce que nous cherchons à créer, ce sont des êtres fictifs, certes, mais aux attributs humains, aux caractéristiques connues. Des personnages qui vont évoluer, se déchirer, se recomposer. Mais bien des pièges sont tendus sur la route de l’écriture.
Se baser uniquement sur notre vécu quand on n’est ni Karen Blixen, ni Jack Kerouac, ni Sylvain Tesson, ni…un explorateur, ni un bandit international, est une mauvaise idée.
Si nous nous basons sur notre propre vécu pour tailler des motivations à nos personnages, il est prudent de s’assurer que notre parcours possède une sacrée dimension. Autrement, le soufflé risque de retomber au bout de quelques pages.
On devine, dès les premières pages, que le personnage ne lâchera rien (par exemple), où qu’il sera toujours du côté des « gentils », des « justes ». On comprend que le personnage a un problème, et que l’histoire ne se terminera que lorsqu’il aura résolu ce problème.
Le caractère unidimensionnel est ce qui rend le personnage prévisible.
Le lecteur pourrait continuer l’histoire à la place de l’auteur.
Les personnages qui lui ressemblent sont les pires ennemis de l’auteur, et pour de nombreuses raisons, la principale étant que l’auteur devient captif de son personnage, lequel est captif de l’auteur.
C’est un secret de Polichinelle : le personnage naît à l’instant où il échappe à l’auteur. Créer des personnages aux antipodes de ce que nous sommes permet de libérer notre imaginaire.
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Ou, elle changea de job et fut comblée, ils divorcèrent et elle retrouva sa liberté. Même si, de nos jours, le roman est fortement influencé par les théories du développement personnel, il ne peut pas s’en faire le porte-parole.
Les belles fins sont celles qui remuent le lecteur, le font vaciller, rarement celles qui disent : fin du voyage, tout le monde descend. Ou encore : CQFD, cher lecteur.
Un être humain est défini par ses motivations qui définissent ses actes. Mais l’être humain est-il mû par ses besoins ou ses désirs ? That is the question.
Si nous voulons que nos personnages embarquent nos lecteurs, réfléchissons à ce qui les anime, à ce qui les motive.
Faisons en sorte que nos personnages « brûlent » pour quelque chose (comme le Capitaine Achab), ou pour quelqu’un (comme Humbert Humbert), ou pour un lieu (comme Scarlett O’Hara), ou pour un imaginaire (comme Emma Bovary), ou pour une valeur (comme Roxane, ou Langlois).
Allons à l’essentiel, simplifions et admettons qu’il y a trois formes de motivation
- La motivation extrinsèque à régulation externe : une force extérieure force le personnage à agir. (Je paie de suite ma contravention pour éviter une surtaxe)
- La motivation extrinsèque à régulation introjectée : C’est une pression intérieure qui pousse le personnage à agir (J’invite mes voisins pour leur faire plaisir)
- La motivation extrinsèque à régulation identifiée : L’action et sa mise en œuvre font sens pour le personnage. (J’invite mes voisins, car je voudrais favoriser une meilleure communication entre les gens du même immeuble et, pourquoi pas, créer une association)
J’éloigne ma future belle-mère de mon père, parce que cette dernière veut nous imposer sa façon de concevoir l’existence. J’éloigne l’intruse pour que mon père continue à être heureux. En éloignant l’intruse, je protège notre façon de vivre et notre « famille ».
C’est ainsi que Françoise Sagan a conçu les motivations de Cécile, l’héroïne de « Bonjour Tristesse » et nous savons que les machinations de la jeune fille vont se solder par le suicide de l’intruse.
Si le besoin est vital, le désir est de l’ordre de l’aspiration. Certains personnages sont tout entiers tournés vers l’un ou l’autre.
Scarlett O’Hara a besoin de Tara pour survivre et vivre.
Emma Bovary s’égare dans ses désirs. Le capitaine Achab, protagoniste du roman Moby Dick a transformé ses désirs en besoin absolu, en obsession.
Chez Langlois, dans un Roi sans divertissement, le besoin initial de compréhension et de justice se meut en désir d’absolu.
Et ce personnage que nous sommes en train de créer, où en est-il ?
- 1) La motivation doit être inflexible (même si le personnage est soumis à d’indispensables moments de renoncement ou de doutes) :
- 2) La motivation doit être complexe de manière à refléter la complexité du vivant.
- 3) Une motivation complexe a plus de chance de rencontrer un modèle universel.
- 4) Il peut être bon de jongler entre besoins et désirs car cela permet créer de la dynamique et du conflit.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Être totalement perdu dans la vie est une bonne motivation !
Merci pour cet article qui m'a permis de me recentrer sur les motivations de mes personnages... Et de sortir d'une impasse.