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Le 25 juin 2024

L’édition nourrit-elle son homme ? Par Marie Chotek

"Je sais que la littérature ne nourrit pas son homme. Par bonheur, je n'ai pas très faim", déclarait Jules Renard. Combien d’écrivains français vivent-ils de leur plume, déjà ? Deux mille, paraît-il… encore que tout dépend ce qu’on appelle « vivre ». Marie Chotek nous présente un auteur, lequel, bien qu’édité chez Gallimard, est à la cherche des petits boulots. Demandez à votre plombier si par hasard, il n’aurait pas reçu le Flore, ou le Renaudot.
Tribunes monBestSeller : L’édition nourrit-elle son homme ?

Franck Courtes a eu la belle vie. Il a vécu (plutôt grassement) de son métier-passion, la photographie. Il a ainsi réalisé de nombreux clichés de stars, rock et cinéma, d’hommes et de femmes politiques, il a foulé tapis rouges et moquettes de suites dans des hôtels chics. Et puis peu à peu, la lassitude s’est saisie de lui.

Déjà d’un point de vue technique, le passage à l’ère numérique ne lui a pas fait plaisir, c’est peu de le dire. Et puis, à force de répétition de ce métier, dans un univers où les gens ne sont quand même pas toujours agréables (c’est peu de le dire), Franck Courtes s’est senti plus que lassé, dégoûté. Et surtout, surtout une nouvelle passion s’est saisie de lui : l’écriture !

 

Quand l’écriture saisit son homme (ou sa femme) : naissance d’une passion "quel qu’en soit le prix"

Alors Franck Courtes a tout bazardé. De ce que l’on comprend, sa famille y est passée aussi dans ce grand bazardage, sa femme, outrée, partant vivre seule à l’étranger, avec leurs deux ados, pour occuper un poste à responsabilités, loin de cet ex-mari qui semblait avoir fait vœu de pauvreté en même temps qu’il nouait avec sa nouvelle passion.

Franck Courtes vit désormais dans un studio prêté par sa mère, et pour vivre, au sens premier du terme, il s’est fait manœuvre, métier fourre-tout où de fait, il est surtout homme à tout faire. En adhérant à une plateforme qui, franchement, flirte plus qu’outrageusement avec l’esclavagisme, il court de job en job (et de radins à radins). Il peut vider des gravats à des étages haut perchés sans ascenseur, casser des murs durant des heures, monter des quantités de meubles aux notices délicieusement barbares ou encore dépoter des arbustes récalcitrants, quasi à mains nues, sur une terrasse de l’île Saint-Louis, Paris 4ème (palme absolue du radinisme à son propriétaire !).

Car, constate-t-il, "Le succès d’estime, le plus fréquent de tous, ne suffit pas à faire vivre un auteur. Nos bas de laine ne s’emplissent que d’espoir".

 

L’écriture nourrit… l’esprit !

Le matin est consacré à l’écriture. « Comme une séance de sport, l’effet euphorisant de trois pages écrites le matin suffit pour éloigner les soucis et qu’aucune dureté, aucune humiliation n’attente entièrement au moral pour le reste de la journée ».

Je suis certaine qu’un grand nombre ici se reconnait d’emblée dans ces quelques mots. Car pour beaucoup sur ce site, l’écriture n’est pas un passe-temps, une gentille occupation mais bien une passion, une vocation, sinon une nécessité. Il n’y a qu’à se reporter aux derniers articles parus, les auteur.es de monBestseller.com n’écrivent pas pour passer le temps mais bien parce que cela les fait vivre, vibrer, voler, en un mot ardemment exister.

Il se trouve que moi aussi, j’ai organisé ma vie autour d’un travail alimentaire à la sauce Uber et des heures d’écriture, même si je me tue quand même moins à la tâche que Monsieur Courtes, il faut être honnête. Et moi aussi, je peine dans certains lieux et milieux à faire comprendre aux gens que ce que je fais est aussi important qu’un « vrai » métier, surtout quand parfois, moi-même j’en doute. J’ai en tête la phrase d’une autrice à plein temps, récemment interviewée ici, Sophie Hérault, tellement agacée par cette phrase « Et à part ça, vous faites quoi ? ». Et moi aussi, je me décourage, puis me réencourage, et moi aussi, je me dis que je ne veux pas, finalement, faire fondamentalement autre chose que cela : écrire.

 

Vie d’artiste… la galère !

L’écriture dirige donc sa vie, à Franck Courtes, sa vie qui frôle parfois le dénuement car à son âge (56 ans je crois), il est difficile de trouver des petits jobs qui rapportent, et ce, sans y perdre (trop) de temps ni la santé.

Il a même pu s’écrire : je donnerais cher pour ne pas être un artiste ! Qui parmi nous, qui a organisé sa vie autour de l’écriture ou une autre forme de création, ne s’est pas dit cela aussi, au moins une fois, les jours ou les nuits de doute ?

Sa nouvelle vie, vouée à l’écriture et à la pauvreté (« ma sœur oppose à mon sort la vraie pauvreté, celle des gens de la rue en Inde, des mendiants de Mexico qui, eux, n’ont pas eu le choix »), lui vaut plus que de l’incompréhension, du mépris même de son entourage, et une indéniable sensation, plus ou moins assumée, de déclassement social.

 

La soif de reconnaissance

Mais la passion demeure... "Les écrivains sont inaccessibles au découragement (...) Ils rampent par légions entières sur les chemins du succès, à plat ventre bien souvent, vers l’horizon incertain de la réussite, ensorcelés par le son frémissant des lauriers, comme les limaces par l’odeur des salades".

Nous voilà passés ici à une autre étape : l’auteur publié qui escompte le succès. Ce qui n’est pas forcément le cas chez tous les auteur.es de monBestseller.com. Qu’il s’agisse de publication à compte d’éditeur ou de recherche frénétique de succès, nous ne courrons pas tous forcément après cette chose-là, le succès après publication estampillée véritable éditeur.

Tant mieux, d’une certaine façon, si seul le goût d’écrire et d’être lu au moins par son entourage est ce qui nous anime en premier lieu. Car "Achever un texte ne veut pas dire être publié, être publié ne veut pas dire être lu, être lu ne veut pas dire être aimé, être aimé ne veut pas dire avoir du succès, avoir du succès n’augure aucune fortune".

Du moins, Franck Courtes existe-t-il indubitablement comme auteur puisqu’il a déjà publié six livres chez Gallimard, le premier étant paru en 2013, et qu’il passe à la radio (à la télé aussi, je crois bien).

 

Les écrivains : prêts à tout supporter pour vivre leur passion

Car c’est ici que je tempérerais, un chouillat, mon empathie pour Franck Courtes. C’est que lui, au contraire d’une cohorte d’autres écrivains, est publié et publié dans la Blanche de Gallimard, ce qui n’est quand même pas rien. Dans un ancien emploi, j’ai fréquenté administrativement des auteurs qui cherchaient à toute force à être publiés et qui brûlaient exactement de la même passion que Franck Courtes pour l’écriture.

Sauf que pour eux, la porte des éditeurs restait obstinément fermée. Ils avaient tout également des jobs sans intérêt, ingrats, voire extrêmement pénibles sauf qu’eux n’avaient aucune reconnaissance artistique en matière de compensation. Et pourtant eux, tout comme Franck Courtes, brûlaient, pour leur malheur souvent, de la même âme vibrante d’auteur.

Le fait d’avoir du talent ou non n'avait finalement rien à y voir, ils étaient nés auteur.es. C’était un peu comme la double peine.

 

Message à l’éditeur de Franck Courtes : "Cher monsieur Gallimard…"

De ce récit, je dirais qu’il faut absolument en retenir l’humour, j’ai même pu éclater de rire parfois au détour d’une phrase, grâce au ton gentiment désabusé de Franck Courtes et à son art très précis de la description. J’ai pleinement goûté la satisfaction de retrouver chez cet auteur, les mêmes sensations et opinions sur l’écriture comme tout ce que cela fait que d’organiser existentiellement (oui, j’ose !), sa vie autour de celle-ci, que l’on soit donc talentueux ou pas.

Beaucoup de renoncements, de frustrations d’ordre social (je résume), mais le plaisir, la joie profonde de manipuler les mots et de construire des histoires.

Il ne reste plus qu’à espérer que l’éditeur de Monsieur Courtes, Gallimard, pas le plus petit de la Place, se soit dûment précipité depuis, pour lui augmenter ses droits d’auteur tout en lui versant un confortable à-valoir afin de lui offrir quelques mois, voire quelques années (le monsieur est frugal) de répit dans l’infernal enchaînement de ses jobs de misère.

Ce serait là la moindre des choses.

 

Marie Chotek

 

Cet article a été écrit par une auteure monBestSeller.
Les articles sont une des manières les plus efficaces de faire connaître ses livres, son style, sa personnalité d’auteur. Une des meilleures invitations à la lecture.
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Je trouve ça un peu mal venu de se plaindre de sa situation.
Il à été édité par Gallimard. Gallimard quand même. Ce n'est pas la petite maison d'édition du coin, ni une maison d'édition à compte d'auteur où il faut commencer par se rembourser soi-même. D'après vos dires, il n'a pas publié 1, mais 6 livres chez eux. Il n'en aurait pas publié autant si ses livres ne marchaient pas un minimum. Peut-être pas suffisamment à son goût.
Pour autant la maison d'éditions est-elle à blâmer ? J'en doute. J'en conviens, la part qui revient à l'auteur est ridicule. Néanmoins, je connais beaucoup d'auteurs qui vivent très confortablement sans pour autant vendre des centaines de milliers de livres. Comme dit, être édité ne veut pas dire être lu et ce n'est pas la faute de l'éditeur si le public n'est pas intéressé.

Publié le 10 Juillet 2024

@Michel LAURENT, oh ben dites, je me coucherai moins bête ce soir (mais tout aussi désespérée qu'hier). Où avais-je la tête? Nom de nom! Je vous rassure, le beau Steve MQ et le Sean sont de mon époque... en partie (Steve surtout). Oublions les montres, oublions le temps et vive la littérature!

Publié le 01 Juillet 2024

@Marie Chotek Je n’ai pas en tête le prix actualisé d’un sous-marin mais vous avez raison, 30 000 € pourrait être celui d’une automobile moyenne. Mais c’est aussi celui d’un modèle de montre si chère à M. Seguela, la fameuse Rolex submariner, celle qui ornait le poignet des iconiques Sean Connery et Steeve Mc Queen (pardon pour ces références antédiluviennes si éloignées de votre époque, d’autant que dans leur état actuel, ces anciennes gloires ont sans doute fait raccourcir un peu le bracelet...)

Publié le 01 Juillet 2024

Tout ça m'a l'air en effet de relever de la quête du saint Graal mais vous semblez, @Michel LAURENT, avoir de cette philosophie en vous qui rend heureux rien que du simple fait d'écrire. Et après tout, si ça ne permet ni de s'acheter une Rolex ni une Submariner (késaco? une voiture? un sous-marin?), cela vaut néanmoins de l'or... Bonne continuation!

Publié le 01 Juillet 2024

Achever un texte, c'est comme finir un puzzle de 5000 pièces où il manque une pièce – et bizarrement, cette pièce ressemble étrangement à votre talent. Vous pensiez que taper le point final équivalait à décrocher le Graal ? Que nenni*. Être publié ? Oui, bien sûr, juste après avoir escaladé l’Everest en tongs. Et même si, par un miracle cosmique, vous vous retrouvez imprimé entre les pages d’un livre, cela ne signifie pas que quelqu’un va lire votre prose torturée. Et admettons que quelqu’un la lise (peut-être votre vieille mère, si vous l’avez encore, et qu’elle n’a perdu ni la patience, ni la vue), cela ne veut pas dire qu’ils vont l’aimer. Parce qu'après tout, aimer un texte, c’est aussi rare que de trouver un taxi en pleine heure de pointe, du côté de la rue Buffon. Et si par chance, vous trouvez quelqu'un qui aime votre travail, il ne faut pas vous emballer : cela n'a jamais payé une facture d’électricité. En fin de compte, avoir du succès en tant qu’écrivain, c’est comme espérer que vos plantes d’intérieur arrosées une fois par an, se transforment un jour en forêt tropicale.

Moi aussi, j’ai rêvé de faire fortune avec mes écrits. Dans le but de m’acheter la Submariner dont je rêvais plus jeune, après avoir entendu M. Seguela affirmer que « si à 50 ans tu n’as pas une Rolex, c’est que tu as raté ta vie ». J’ai commencé à avoir des doutes quand un ami fortuné m’a informé qu’une montre à 30 000 € donnait la même heure qu’une autre à 30 €. Finalement, je n’ai pas de regret à ne pas avoir pas été édité chez Gallimard.

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* Attention, cette expression, qui viendrait du latin non illud (non cela), a perdu une part de son modernisme. Les bas-normands comme les bourguignons disposeraient de variantes régionales tout aussi désuètes.

Publié le 25 Juin 2024