Titre clin d’œil, titre à rallonge, titre beau comme un vers — souvent tiré d’ailleurs d’un poème —, "Les merveilleux nuages", "Bonjour tristesse", "Un peu de soleil dans l’eau froide" (vous aurez reconnu l’auteure), ou de la Bible : "A l’est d’Eden", "Me voici", "Ô Nation sans pudeur", "Leurs enfants après eux", "Le soleil se lève aussi", "Pâtures de vent", etc., etc.
Lorsque l’on n’écrit pas pour plaire, mais pour exprimer ce qui est insupportable à l’intérieur, la brutalité des mots devient une nécessité
Choisir des titres brutaux, c’est faire le choix de la vérité nue, sans artifice ni concession. Ces titres ne cherchent pas à séduire ou à plaire. Ils sont des cris, des déchirements de l’âme, des appels à regarder en face la réalité dans toute sa cruauté. Ils reflètent une écriture viscérale, une écriture qui vient des entrailles, où les mots ne sont pas choisis pour leur beauté, mais pour leur vérité brute.
Le choix de titres crus est une manière de refuser de cacher ou d’embellir la réalité. C’est un acte de résistance contre le silence, une façon de mettre en lumière des vérités que l’on préfère souvent ignorer.
La question première est sans doute et encore une fois : "Pourquoi écrit-on ?", et il est vrai que de nos jours la réponse est souvent "On écrit pour être lus". Si l’on pousse plus loin le cochonnet, on peut même entendre certains murmures : pour être aimé, pour gagner de l’argent, pour être quelqu’un…
Il est vrai aussi que dans ce cas, il vaut mieux titrer dans le sens du poil !
Ou alors, segmenter son marché : faire dans la provocation. Mal parler pour attirer l’attention. Balancer du lourd pour réveiller un lectorat qui ronronnerait de Prix en Prix, de rentrée littéraire en rentrée littéraire, au milieu du mainstream.
Tout cela est vrai, mais tout cela n’est pas notre sujet du jour.
Pour Nick Flynn, nous balancer son titre, ce n’est pas une question de choquer pour choquer, mais plutôt de traduire une réalité intérieure et extérieure qui est elle-même brutale.
Flynn ne nous offre pas un vernis poétique pour adoucir la réalité. Au contraire, il nous force à regarder la souffrance, la pauvreté, et le désespoir en face.
L’écriture de Flynn est un cri venu des profondeurs de son être, un cri qui ne peut être retenu. C’est une écriture de l’urgence, celle qui s’impose à l’auteur comme une nécessité vitale. Ce cri est la seule réponse à la douleur et au chaos de son existence. Il n’y a pas de place pour la beauté classique ou pour les formes poétiques traditionnelles. Ce qu’il cherche, c’est l’authenticité et la pureté de l’expression.
La brutalité des mots, alors, devient une forme de poésie en soi. C’est une poésie qui naît non pas d’une intention de créer de la beauté, mais d’une nécessité de dire, de se libérer, de survivre. La poésie, dans ce cas, émerge non pas des mots eux-mêmes, mais de l’acte d’écrire, de l’acte de transformer le désespoir en quelque chose de tangible.
(titre original : Another Bullshit Night in Suck City)
Dans un titre comme « Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie », la poésie émerge de l’oxymore implicite entre la crudité du langage et la profondeur des émotions qu’il exprime. Flynn ne cherche pas la poésie dans les mots, mais dans ce qu’ils révèlent. La « nuit de merde » devient poétique non pas à cause de sa description, mais parce qu’elle est universelle — qui n’a pas connu une telle nuit, une nuit où tout semble perdu ?
La poésie émerge ici de l’humanité, de la capacité de Flynn à transformer une expérience universellement déprimante en quelque chose de plus grand que lui-même. C’est dans cette humanité partagée, dans cette capacité à parler de ce qui est souvent tu, que réside la poésie. La beauté de la poésie de Flynn réside dans son honnêteté déchirante, dans sa capacité à transformer des moments de désespoir en quelque chose de profondément humain et universel.
En fin de compte, c’est l’acte de dévoiler l’invisible, de donner une voix à l’indicible, qui fait que la poésie émerge des mots les plus bruts. La poésie, chez Flynn, ne se trouve pas dans les mots eux-mêmes, mais dans le courage de les dire. C’est cette sincérité sans filtre qui touche, qui frappe, qui bouleverse, et qui, paradoxalement, crée de la beauté là où on s’y attend le moins.
Pendant 6 années de sa jeunesse instable, ponctuée de drame — dont le suicide de sa mère —, Nick a travaillé, à Boston, auprès des sans-abri. Au mitan de cette période, il se retrouve confronté à un usager qui n’est autre que son propre père. Un homme détruit par l’alcool et la vie. Si le fils finit par devenir le poète qu’on sait, le père, lui, passera des années à essayer d’écrire le grand "roman de l’Amérique". La rencontre entre les deux hommes va faire ressurgir passé et non-dits dans un indescriptible chaos.
Vous pouvez visiter le site de Nick
Vous pouvez aussi regarder le film "Monsieur Flynn" de Paul Weitz qui retrace la période où fut conçu "Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie".
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
À mes yeux, le choix du titre doit s'imposer comme une évidence. Que ce soit un enchainement de mots qui ne parlent qu'à nous, ou quelques lettres qui mises bout à bout nous paraissent faire sens, il doit être capable de donner du corps au ressenti de l'auteur. Ce n'est peut-être pas du marketing, mais c'est de la magie : ses lecteurs entendront un écho en posant les yeux dessus, et l'auteur ne se sera pas trahi. Gagnant-gagnant !
Dans la vraie vie, je pense que c’est une erreur de confondre titre et synopsis. Le titre, c’est la marque, le nom du produit. Il doit interpeler et donner la direction du synopsis. À quoi bon compliquer les choses simples…
@Philippe De Vos, j'ai suivi les flèches et suis arrivée sur le site de Nick où l'on peut avoir des textes en français et en VO. Ce que vous dites, je le partage entièrement, et il n'y a qu'à comparer le titre en français, des éditions Gallimard, au titre original. Le français est moins pratique pour mettre des coups de poing dans la gueule.
Salut @Catarina Viti
Trouver un titre qui colle à l'oeuvre, c'est à la portée de tous. Trouver un titre qui attire l'oeil, c'est assez simple aussi. Trouver un titre qui attire et colle, c'est un peu plus ardu. Trouver un titre qui attire, colle et vibre avec l'auteur, c'est complexe.
Bon ! ce que je relevais, c'était deux parties distinctes dans ce papier… et je n'en démords pas, nonobstant la qualité de l'oeuvre de Flynn que je n'ai pas remise en question.
J'irai regarder le film "Monsieur Flynn" pour avoir un aperçu de l'univers de cet écrivain poète.
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Pour les titres (dont ceux que vous citez), ils sont effectivement dans l'air du temps et me semblent convenus et fades. Je n'accroche pas à ces titres… "les gens heureux" etc. Mais ils font vendre, semble-t-il !
Philippe
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PS : je ne lis jamais de poésie traduite, ça me semble tellement incongru. Je ne maîtrise pas assez l'anglais pour comprendre toutes les subtilités de cette langue. Je pense que c'est pareil dans le sens inverse. Quand je vois que les Américains et les Japonais sont friands de Rimbaud, j'espère pour eux qu'ils le lisent en français… sinon ! je ne vois pas ! Les mots EXACTS, PESÉS, et leur musicalité comptent.
Salut @Philippe De Vos. Les titres à rallonge sont à la mode, Defoe était en avance.
N'importe qui peut écrire un titre à rallonge (y a qu'à voir) et sans intérêt majeur pour la création littéraire.
Celui de Flynn n'appartient pas à cette catégorie, car "Another Bullshit Night in Suck City" est déjà de la poésie, et, dans une société où il faut être "tendance", "wok(.)", "branché" pour vendre du livre [Les gens heureux etc./ Le jour où les lions etc./La petite fille qui avait avalé etc. ou encore Le développement historique du cœur etc., etc.], Flynn est quelqu'un d'autre. Il me semble que ce serait injure de parler de son titre sans parler de lui, de son oeuvre.
Qui aurait son courage ?
L'article parle de titres brutaux (c'est sans doute vrai du point de vue du lecteur, ou du promeneur de la FNAC), mais c'est surtout un titre courageux, du point de vue d'un auteur.
Ou désespéré ?
"Les plus désespérés sont les chants les plus beaux", non ?
C'est un papier sur les titres ou sur Nick Flynn ?
Si c'est sur Flynn, que vient faire ici la première partie ? Ecrire un Flynn et moi serait plus convaincant.
Si c'est sur les titres (plus amusant), le titre qui me laisse sur le derrière est celui qui est résumé sous celui de Robinson Crusoé dont le titre complet est :
"La Vie et les Aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York, marin, qui vécut vingt-huit ans sur une île inhabitée sur la côte de l’Amérique, près de l’embouchure du grand fleuve Orénoque, à la suite d’un naufrage où tous périrent à l’exception de lui-même, et comment il fut délivré d’une manière tout aussi étrange par des pirates. Écrit par lui-même".