Pourquoi écrire ? est le titre d’un recueil de textes, articles, interviews de Philip Roth, selon moi l’un des plus grands écrivains contemporains. "Le testament littéraire de Philip Roth" selon l’Obs comme l’annonce le bandeau qui entoure l’édition en livre de poche. Que cela soit clair, mon propos dans cet article n’est pas de commenter, décrire ou paraphraser cet ouvrage, c’est à peine si je m’y référerai pour répondre à cette question que je me pose régulièrement – notamment dans mes périodes de découragement – et que je présume certains d’entre vous – écrivains en herbe ou confirmés, graphomanes, écrivaillons de tout poil, auteurs reconnus ou confinés à l’anonymat le plus profond, édités, auto-édités, figures incontournables de l’excellent monBestSeller, célébrés sur les plateaux télé ou fêtés dans le cercle familial – certains d’entre vous donc ont pu se poser au moment de se mettre à l’ouvrage.
Car enfin, c’est vrai ça ! pourquoi écrire ? mais pour qui y s’prend ? et à quoi bon ? tout a été dit et de quelle manière ! j’aime bien cette déclaration de Houellebecq sous forme de vanne, quoi que... : "La tâche (d’un romancier) évidemment, est humainement presque impossible, et le résultat presque toujours décevant. Un sale métier."
Et puis les livres, les romans, le papier, c’est complètement dépassé, comme l’a dit Philip Roth dans vingt ans il y aura moins de lecteurs de romans – on parle de littérature, entendons-nous - qu’il n’y a aujourd’hui de personnes qui lisent Virgile dans le texte. Faut être un peu maso ou particulièrement désœuvré pour s’attaquer à l’écriture d’un roman. Vous me direz cela fait déjà deux bonnes raisons et en creusant un peu on peut en trouver d’autres.
Ne pas négliger le côté cool de l’écrivain, son image sociale est encore très positive auprès du grand public, on peut en effet envier celui ou celle qui choisit de s’extraire du schéma traditionnel du monde du travail pour s’installer à son bureau dans sa jolie maison à la campagne avec vue sur une forêt majestueuse ou sur un lac immense et paisible, pour peu que le succès soit au rendez-vous et là c’est le jackpot ! Sans aller jusque là il suffit de voir le regard des gens qui découvrent que vous écrivez des bouquins pour vérifier que votre « vocation » vous place – momentanément mais c’est toujours ça de pris – sur un doux piédestal. Que ceux qui n’ont pas connu ce petit shot narcissique me jettent la première pierre...
Il y a aussi ceux qui ont quelque chose à dire, une histoire, une expérience qu’ils ne peuvent garder pour eux. Besoin irrépressible, parfois salutaire de coucher des mots sur le papier, de donner forme – exutoire, catharsis, maïeutique - ça existe, ça fonctionne. À ne pas confondre avec la volonté de défendre une thèse, une position, on s’éloigne là de la vocation originelle du roman. Toujours Roth : "L’un des ressorts qui me font continuer à écrire des œuvres d’imagination est une méfiance grandissante à l’égard de toute « position », y compris les miennes", ou Proust : "Une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix".
Roman d’invention ou autofiction, peu importe, écrire une histoire, c’est donner vie à des personnages, faire sortir d’une terre imaginaire des lieux, des paysages, c’est créer un monde, comme quand on était môme, qu’on se faisait tour à tour chevalier, tunique bleue, vengeur masqué. Si l’on évite l’écueil régressif cela a parfois du bon de retomber en enfance. L’écriture d’un roman a ce pouvoir avec deux dimensions supplémentaires de taille qui en font tout le sel.
La première est que le romancier à la différence du gamin avec ses soldats de plomb se pose en permanence la question "Que pense ce personnage ?" ; entrer dans sa tête, faire corps avec lui, dévoiler l’âpreté du combat intérieur qu’il se livre à lui-même, voici le job du romancier, sa raison d’être. La seconde est que le romancier s’attache à ce que son livre soit communicable, qu’il soit reçu pour ce qu’il est intrinsèquement, que le sérieux qu’il a mis à écrire son livre touche ses lecteurs, encore une fois pas pour un thème prédéfini mais pour sa nature même. A posteriori une fois le livre écrit, publié et lu, une fois reçus avec bonheur et fierté des commentaires profonds et sensibles de proches ou de parfaits inconnus, la question de « Pourquoi écrire ? » ne se pose plus, elle a trouvé tout son sens. Même si parmi ces happy few on ne dénombre aucun éditeur, dans ce cas se rappeler que ce sont avant tout des commerçants, des publicistes qui se disent – je cite encore mon cher Philip Roth – à la différence du romancier qui se dit "Que pensent les gens" : "Que vont penser les gens ?".
Je terminerai en partageant un sentiment curieux qui m’envahit à chaque fois que je me lance dans l’écriture d’une histoire – je me demande si ce n’est pas Amélie Nothomb qui a aussi évoqué cela – à savoir que rien de fatal ne peut m’arriver tant que je n’ai pas fini mon bouquin. L’écriture du roman prime avant toute chose, le romancier au travail bénéficie d’une totale immunité contre les aléas de l’existence : work in progress, passez votre chemin !
Cet article a été rédigé par un auteur monBestSeller.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Bien sûr @Tomoe Gozen, je pensais au passage où apparaît le mot Virgile.
@Rachid Blanchet
Cher M. Blanchet Rachid, puis-je vous poser une question ? Oui ? Je peux y aller ? Tout de go ? Ah, vous êtes un seigneur ! Eh bien puisque j'ai votre permission, ma question est celle-ci : quelle rubrique commentez-vous exactement ? Parce que, dans celle-ci, et sauf si je m'abuse, il n'est aucunement question de la disparition de la littérature. Je vous remercie d'avance pour votre réponse, laquelle, j'en suis bien certaine, me sauvera de mon désarroi quasiment ontologique.
Je ne crois pas à la disparition de la littérature, parce que la littérature est un virus qui se transmet facilement. Il n'y a pas besoin d'être le prof du Cercle des poètes disparus pour entraîner les enfants ou les adolescents dans la lecture. Tout lecteur ayant été transformé par la lecture d'un livre (je me souviens toujours des premiers livres qui m'ont transformé, quand j'étais en classe de 6e, et de tous ceux qui ont suivi) est apte à transmettre ce virus : il y aura toujours cette petite étincelle dans sa voix et dans ses yeux, plus convaincante qu'une longue démonstration, quand il dira à un enfant : "lis ce bouquin. Je t'en dis pas plus. Tu comprendras". Un grand livre déposé entre les mains d'un enfant par un lecteur pour qui lire de la littérature a été /est /sera une question de vie ou de mort (de l'esprit) fera toujours son travail.
Étonnant que quelqu'un qui se dit auteur écrive aussi mal. Ah oui, c'est vrai, j'avais oublié : on est sur mBS...