Interview
Le 12 déc 2024

Ecrire des romans Est-ce bien raisonnable ? Par Daniel Clément

L'écriture est un acte héroïque dans un monde où les romans s'accumulent plus vite qu'on ne peut les lire, où les auteurs risquent de dépasser les lecteurs en nombre. Pourquoi, alors, persiste-t-on à écrire ? L'auteur Daniel Clément, aidé en cela par Philip Roth, Houellebecq, Proust, et Amélie Nothomb explore cette étrange question avec lucidité, humour et une pointe de mélancolie.
Est-ce raisonnable d'écrire des romans ? par Daniel Clément pour monBestSeller

Le poids des mots, le choc des doutes

Pourquoi écrire ? est le titre d’un recueil de textes, articles, interviews de Philip Roth, selon moi l’un des plus grands écrivains contemporains. "Le testament littéraire de Philip Roth" selon l’Obs comme l’annonce le bandeau qui entoure l’édition en livre de poche. Que cela soit clair, mon propos dans cet article n’est pas de commenter, décrire ou paraphraser cet ouvrage, c’est à peine si je m’y référerai pour répondre à cette question que je me pose régulièrement – notamment dans mes périodes de découragement – et que je présume certains d’entre vous – écrivains en herbe ou confirmés, graphomanes, écrivaillons de tout poil, auteurs reconnus ou confinés à l’anonymat le plus profond, édités, auto-édités, figures incontournables de l’excellent monBestSeller, célébrés sur les plateaux télé ou fêtés dans le cercle familial – certains d’entre vous donc ont pu se poser au moment de se mettre à l’ouvrage.

Car enfin, c’est vrai ça ! pourquoi écrire ? mais pour qui y s’prend ? et à quoi bon ? tout a été dit et de quelle manière ! j’aime bien cette déclaration de Houellebecq sous forme de vanne, quoi que... : "La tâche (d’un romancier) évidemment, est humainement presque impossible, et le résultat presque toujours décevant. Un sale métier."

Y a-t-il encore des lecteurs ?

Et puis les livres, les romans, le papier, c’est complètement dépassé, comme l’a dit Philip Roth dans vingt ans il y aura moins de lecteurs de romans – on parle de littérature, entendons-nous - qu’il n’y a aujourd’hui de personnes qui lisent Virgile dans le texte. Faut être un peu maso ou particulièrement désœuvré pour s’attaquer à l’écriture d’un roman. Vous me direz cela fait déjà deux bonnes raisons et en creusant un peu on peut en trouver d’autres.

Ne pas négliger le côté cool de l’écrivain, son image sociale est encore très positive auprès du grand public, on peut en effet envier celui ou celle qui choisit de s’extraire du schéma traditionnel du monde du travail pour s’installer à son bureau dans sa jolie maison à la campagne avec vue sur une forêt majestueuse ou sur un lac immense et paisible, pour peu que le succès soit au rendez-vous et là c’est le jackpot ! Sans aller jusque là il suffit de voir le regard des gens qui découvrent que vous écrivez des bouquins pour vérifier que votre « vocation » vous place – momentanément mais c’est toujours ça de pris – sur un doux piédestal. Que ceux qui n’ont pas connu ce petit shot narcissique me jettent la première pierre...

On écrit pour créer des mondes, même minuscules

Il y a aussi ceux qui ont quelque chose à dire, une histoire, une expérience qu’ils ne peuvent garder pour eux. Besoin irrépressible, parfois salutaire de coucher des mots sur le papier, de donner forme – exutoire, catharsis, maïeutique - ça existe, ça fonctionne. À ne pas confondre avec la volonté de défendre une thèse, une position, on s’éloigne là de la vocation originelle du roman. Toujours  Roth : "L’un des ressorts qui me font continuer à écrire des œuvres d’imagination est une méfiance grandissante à l’égard de toute « position », y compris les miennes", ou Proust : "Une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix".

Roman d’invention ou autofiction, peu importe, écrire une histoire, c’est donner vie à des personnages, faire sortir d’une terre imaginaire des lieux, des paysages, c’est créer un monde, comme quand on était môme, qu’on se faisait tour à tour chevalier, tunique bleue, vengeur masqué. Si l’on évite l’écueil régressif cela a parfois du bon de retomber en enfance. L’écriture d’un roman a ce pouvoir avec deux dimensions supplémentaires de taille qui en font tout le sel.

L’auteur face à ses lecteurs invisibles

La première est que le romancier à la différence du gamin avec ses soldats de plomb se pose en permanence la question "Que pense ce personnage ?" ; entrer dans sa tête, faire corps avec lui, dévoiler l’âpreté du combat intérieur qu’il se livre à lui-même, voici le job du romancier, sa raison d’être. La seconde est que le romancier s’attache à ce que son livre soit communicable, qu’il soit reçu pour ce qu’il est intrinsèquement, que le sérieux qu’il a mis à écrire son livre touche ses lecteurs, encore une fois pas pour un thème prédéfini mais pour sa nature même. A posteriori une fois le livre écrit, publié et lu, une fois reçus avec bonheur et fierté des commentaires profonds et sensibles de proches ou de parfaits inconnus, la question de « Pourquoi écrire ? » ne se pose plus, elle a trouvé tout son sens. Même si parmi ces happy few on ne dénombre aucun éditeur, dans ce cas se rappeler que ce sont avant tout des commerçants, des publicistes qui se disent – je cite encore mon cher Philip Roth – à la différence du romancier qui se dit "Que pensent les gens" : "Que vont penser les gens ?".

Le privilège de l’écriture : une bulle contre le chaos

Je terminerai en partageant un sentiment curieux qui m’envahit à chaque fois que je me lance dans l’écriture d’une histoire – je me demande si ce n’est pas Amélie Nothomb qui a aussi évoqué cela – à savoir que rien de fatal ne peut m’arriver tant que je n’ai pas fini mon bouquin. L’écriture du roman prime avant toute chose, le romancier au travail bénéficie d’une totale immunité contre les aléas de l’existence : work in progress, passez votre chemin !

 

Daniel Clément

Cet article a été rédigé par un auteur monBestSeller.

 

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16 CommentairesAjouter un commentaire

@Denis Bichet
Merci beaucoup pour ce commentaire. Sur la place de la littérature dans le monde, c'est un crève-coeur mais vous avez mille fois raison, entre trop-plein et vide abyssal la littérature n'a plus droit de cité, elle a perdu la bataille, si je veux rester optimiste peut-être n'est-ce qu'UNE bataille mais je n'y crois guère ou du moins je ne serai plus de ce monde pour assister au retour triomphal de l'art et de la beauté. En attendant que cela ne nous empêche pas de lire les bons livres et de tenter d'en écrire d'autres ; comme un petit acte de résistance, un pied de nez à la bêtise ambiante.
Passez de bonnes fêtes.

Publié le 17 Décembre 2024

@Anna E.
non ce n'est pas étrange c'est exactement çà !!! Le monde est plus grand quand on se lance dans l'écriture.
passez de bonnes fêtes.

Publié le 17 Décembre 2024

@Dominique Duchenne @Michel Canal :
J'ai beaucoup apprécié votre échange qui étoffe et enrichit ce que j'ai tenté d'exprimer, notamment le moment où l'on entre dans la peau du personnage, où l'on s'attache à décrire ou imaginer (car si on ne l'a pas vécu ou entendu il faut imaginer comment cela a pu se passer, le but est d'être au plus près de l'état d'esprit à un instant T de celui que l'on met en scène) ce qu'il pense, comment il se sent dans une situation donnée. Sur le vide que l'on peut ressentir une fois le roman bouclé, il est pour moi largement compensé - et je rejoins là à 100% Michel Canal - par la sensation d'avoir agrandi son univers personnel, en ayant donné ou redonné vie à des personnages, des lieux, des moments. Comme une impression fugace d'avoir enrichi son monde intérieur... et quand en face de vous se présente un lecteur qui vous dit partager le même sentiment, Oh my God ! comme on dit à Montréal.
Bonne fête à vous deux.

Publié le 17 Décembre 2024

LE DROIT A L'INSOLENCE
Le drame de la littérature, c'est à la fois le trop-plein et le vide. Le trop-plein, parce que des milliers de livres sont publiés chaque année (100 000) dont la durée de vie, pour la plupart, n'excède pas quelques mois sur les rayons des libraires, guère plus que les périodiques. Sans compter, chiffre tabou, caché par les éditeurs, que 80% des livres édités : romans, essais, finit au pilon. Bonjour nos forêts… Quant aux livres réellement vendus (et lus ?), ils ne dépassent pas quelques centaines, voire quelques milliers d'exemplaires pour les auteurs qui ne sont pas "bancable". Une femme politique connue n'a vendu que dix exemplaires de sa biographie -il est vrai, mortelle à grimper au lustre-, qui tournait pourtant dans les médias.
Après le trop-plein, le vide. Parce que la vacuité envahit la pensée et, par ricochet, la littérature. Tout est interdit ou presque. On réécrit même les œuvres passées -quand on ne les exclut pas des librairies et des bibliothèques-, cf. Tintin, le Club des Cinq, Agatha Christie, Monfreid, Tesson... Gommer les aspects qui nuisent au politiquement correct, comme l'Inquisition déterrait les cadavres des hérétiques pour les purifier par le feu... Plus de gros, de pauvres, d'idiots, de femmes imparfaites, de minorités, de cas sosses, de goitres, de bègues... Un monde sirupeux et monolithique, dans lequel toute divergence d'opinion est criminalisée. Sortir des chemins battus condamne l'auteur à la peine d'infamie, à la relégation, comme autrefois cagots et pestiférés... Aux deux extrêmes, sont autorisés : le "feel good" pour faire pleurer Margot et le "gore" qui s'emploie à dépecer femmes et enfants. L'essentiel étant de confronter sa souffrance avec celle d'un auteur complaisant qui fournit soupe et dose de morphine. Il existe bien sûr des lecteurs heureux de se confronter aux opinions divergentes, mais l'ignorance grandissante qui envahit lycées et universités (ce n'est pas moi qui le dis, c'est PISA), vide la littérature de sa substance, de son droit à l'insolence. Hugo, Zola, Maupassant, Alain-Fournier, Giono, Céline, Aragon, (Marcel) Aymé, Camus, Pagnol, Bobin… Réveillez-vous, ils sont devenus fous...

Publié le 16 Décembre 2024

@daniel clément
Pourquoi écrire? Pourquoi décider un jour de tout arrêter - ou presque - pour écrire un roman? Je n'ai pas de réponse... Tout ce que je peux dire, c'est qu'une fois plongée dans l'écriture, le monde qui m'entoure gagne en couleurs, en contraste, en visibilité. Etrange, non?

Publié le 15 Décembre 2024

@Dominique DUCHENNE, vous avez très bien décrit ce qu'un auteur peut ressentir : « créer des personnages est un exercice très agréable. Il permet à l’auteur de s’évader de sa prison intérieure, pour entrer dans la tête des ses protagonistes... ».
Mais il ne ressent pas obligatoirement un vide et une certaine nostalgie de devoir quitter ce monde où il a trouvé le bonheur. La jouissance qu'il peut éprouver dans l’écriture de son récit, il peut l'éprouver encore en se relisant selon la profondeur des sentiments, de l'émotion et du désir qu'il a exprimés dans son(ses) écrit(s). En cela, votre analyse est très intéressante, et je vous en remercie. Bien sûr, chaque situation est unique et ne concerne que quelques catégories d'écrits, mais ce que vous avez exprimé a fait écho à la mienne. Les personnages peuvent n'être pas des créations. Peut-être écrit-il pour leur redonner vie, pour revivre un bonheur interrompu. L'auteur peut alors être aussi son lecteur le plus assidu pour revivre les émotions gravées à jamais dans ses récits singuliers. Peut-être est-ce un cas extrême, une exception, mais il est une réalité, ma réalité.
Avec toute ma sympathie. MC

Publié le 15 Décembre 2024

@Daniel Clément, Comme vous l’expliquez très justement, créer des personnages est un exercice très agréable. Il permet à l’auteur de s’évader de sa prison intérieure, pour entrer dans la tête des ses protagonistes. Il les fait parler, penser et vivre dans un décor imaginaire. Tant que l’histoire n’est pas terminée, l’auteur est heureux et vit à travers son imagination. Une fois que son roman est achevé, il ressent un vide et une certaine nostalgie de devoir quitter ce monde où il a trouvé le bonheur. Je pense qu’un écrivain doit éprouver cette jouissance dans l’écriture de son récit, s’il veut que ses lecteurs partagent ce plaisir et s’évadent eux aussi, de leur tour d’ivoire.

Publié le 14 Décembre 2024

@Phillechat 3
Que le monde serait raisonnable, si nous ne faisions que des choses ennuyeuses !

Publié le 13 Décembre 2024

Que le monde serait ennuyeux, si nous ne faisions que des choses raisonnables !

Publié le 13 Décembre 2024

@Daniel Clément
Ne attristez pas trop, mon commentaire s'inscrit simplement dans ma stratégie personnelle : "Comment se faire des amis sur mBS".

Publié le 13 Décembre 2024

à l'attn de @Tomoe Gozen l'auteur de "Patchouli et sabre au clair" (ce titre ! quelle trouvaille ! une audace folle !) : vous pas gentil, moi peiné...

Publié le 13 Décembre 2024

@Rachid Blanchet
Les choses sont difficiles, évidemment. Mais ne vous excitez pas outre mesure. Si, un jour, la littérature disparaît complètement, dites-vous bien que l'humanité y passera dans la seconde suivante. Dès lors, plus personne ne sera là pour pleurer. Le paradis, en quelque sorte, non ?

Publié le 12 Décembre 2024

Bien sûr @Tomoe Gozen, je pensais au passage où apparaît le mot Virgile.

Publié le 12 Décembre 2024

@Rachid Blanchet
Cher M. Blanchet Rachid, puis-je vous poser une question ? Oui ? Je peux y aller ? Tout de go ? Ah, vous êtes un seigneur ! Eh bien puisque j'ai votre permission, ma question est celle-ci : quelle rubrique commentez-vous exactement ? Parce que, dans celle-ci, et sauf si je m'abuse, il n'est aucunement question de la disparition de la littérature. Je vous remercie d'avance pour votre réponse, laquelle, j'en suis bien certaine, me sauvera de mon désarroi quasiment ontologique.

Publié le 12 Décembre 2024

Je ne crois pas à la disparition de la littérature, parce que la littérature est un virus qui se transmet facilement. Il n'y a pas besoin d'être le prof du Cercle des poètes disparus pour entraîner les enfants ou les adolescents dans la lecture. Tout lecteur ayant été transformé par la lecture d'un livre (je me souviens toujours des premiers livres qui m'ont transformé, quand j'étais en classe de 6e, et de tous ceux qui ont suivi) est apte à transmettre ce virus : il y aura toujours cette petite étincelle dans sa voix et dans ses yeux, plus convaincante qu'une longue démonstration, quand il dira à un enfant : "lis ce bouquin. Je t'en dis pas plus. Tu comprendras". Un grand livre déposé entre les mains d'un enfant par un lecteur pour qui lire de la littérature a été /est /sera une question de vie ou de mort (de l'esprit) fera toujours son travail.

Publié le 12 Décembre 2024

Étonnant que quelqu'un qui se dit auteur écrive aussi mal. Ah oui, c'est vrai, j'avais oublié : on est sur mBS...

Publié le 12 Décembre 2024