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Le 17 déc 2024

La Vieille femme et l’enfant. Par Jonathan Chardin

La Vieille femme et l’enfant. Par Jonathan Chardin pour monBestSeller

 La vieille Teresa Alvarez vivait seule dans une minuscule maison de la banlieue de Madrid depuis la mort de son mari Jorge deux hivers plus tôt. La solitude l’avait tant diminuée qu’elle avait fini par s’inventer des histoires rocambolesques auxquelles pourtant elle croyait.

 Un jour de décembre, pendant que son imagination s’emportait à l’approche de noël, elle trouva son voisin Eduardo dans son jardin, jouant avec son cheval Libertad. C’était un petit garçon de six ans, étique, déguenillé, mais avec les yeux d’un enfant qui vivrait au paradis. Il caressait l’animal pourtant farouche d’ordinaire, ce qui la surprit.

"Je ne m’attendais plus à voir quelqu’un mettre les pieds dans ce jardin ! remarqua Teresa. Dis, est-ce que tu as faim ?"

L’enfant hocha la tête. Teresa lui offrit des biscuits. A partir de là, Eduardo, qui vivait seul avec sa mère, souvent absente à cause de son travail, franchit chaque matin la barrière du jardin puis écoutait, muet d’admiration, les aventures fabuleuses de Teresa. Même si ces récits étaient invraisemblables, ce n’était pas grave : au fond, il avait fini par ne plus croire non plus à la venue du Père Noël puisqu’il n’avait jamais eu le temps ou l’envie, par le passé, de s’arrêter chez lui. Non, vraiment, c’était sans importance, puisque chacune de ses histoires était pour lui un cadeau qu’il n’avait jamais eu.

Un jour même, elle lui confia un secret, et ce secret, cette fois, était vrai :

"Petite, mes parents ne pouvaient pas m’offrir de cadeaux, mais ils me parlaient de la Laponie, le pays de Père Noël. Tous les noëls, je m’évadais par la pensée, et ce cadeau était le plus beau du monde ! J’aurais tellement aimé aller là-bas pour de bon !"

Eduardo, sans toujours dire le moindre mot, étreignit spontanément Teresa. Lui aussi aurait voulu voir la Laponie, au moins pour demander au Père Noël pourquoi il n’était jamais venu le visiter.

Ainsi coulèrent encore quelques jours heureux entre ces deux êtres. Mais bientôt le miracle prit fin : la mère d’Eduardo interdit à son fils de revoir Teresa, pensant qu’elle était folle. Cette nouvelle brisa la pauvre femme durant trois jours. Pourtant, le quatrième, Eduardo frappa à sa fenêtre. Ah ! Quel bonheur ce fut pour elle ! Chaque jour ensuite, le plus secrètement du monde, il la retrouva et écouta encore ses histoires, ses cadeaux.

Et puis, le jour de noël, elle vit Eduardo et sa mère dans une voiture chargée de vêtements et de petit mobilier. L’enfant, passant devant chez son amie, la salua tristement : c’était un adieu. La malheureuse s’effondra sur le sol, bouleversée, et demeura ainsi durant un long moment. Mais alors il lui revint l’image d’Eduardo rayonnant de bonheur sur Libertad. Aussitôt le néant la régurgita, et elle trouva la force de se lever. Elle chargea ses maigres affaires sur Libertad et se rendit avec lui dans la rue illuminée de décorations de noël et de rires. Puis elle commença à marcher avec le sentiment de faire enfin quelque chose pour elle et Eduardo. Plus personne ne la revit jamais, mais certains qui lui auraient parlé au moment de son départ affirment aujourd’hui qu’elle voulait rejoindre la Laponie.

Jonathan Chardin

 

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12 CommentairesAjouter un commentaire

@Parthemise33
Je vous remercie beaucoup pour votre retour, qui me rassure quant au respect du thème. Je donnerai par ailleurs raison à votre optimisme : cette histoire est une petite méditation sur la liberté (ou sur la libération, du passé en l'occurrence, pour Teresa) autant que sur l'amitié. Teresa et Eduardo ne peuvent alors, pour moi, qu'avoir atteint leur destination, ou plutôt leur destinée. Merci encore !

Publié le 17 Décembre 2024

@Caroline Devivie
Merci pour votre beau commentaire. Je crois aussi qu'il y a un peu de chacun de nous dans cette histoire, pour diverses raisons sans doute. Je me dis que, au fond, chaque belle rencontre que nous faisons est un moyen d'unir nos propres solitudes. Très beau noël à vous aussi.

Publié le 17 Décembre 2024

@Fanny Dumond3
Merci beaucoup ! C'est un conte tout simple, mais dans lequel j'ai tenté malgré tout de mettre un peu de philosophie et d'émotion, et je suis heureux que vous l'ayez aimé. Je crois par ailleurs deviner le lien que vous y trouvez avec le roman de Gary. Il y a peut-être quelque chose, en effet. Joyeux noël à vous !

Publié le 17 Décembre 2024

@Chardin Pas de doute, vous êtes bien dans le thème... Iconoclastes ou thuriféraires des fêtes de Noël, peu importe, tant que l’histoire est belle. La vôtre est très émouvante. L’amitié se rit des différences. L’optimiste que je suis, est certaine que Teresa et Libertad ont bien terminé leur voyage. Merci Bisous Merci pour votre conte qui sera raconté jusqu’en Laponie

Publié le 17 Décembre 2024

@Jonathan Chardin
Un joli conte de Noël ! On est émus par le destin de ce petit garçon, son amitié avec un cheval et une vielle dame. Il y a un peu de nous tous dans cette belle histoire. J'ai beaucoup aimé la délicatesse teintée de mystère et de magie de la fin.
Je vous souhaite un beau Noël.
Caroline

Publié le 17 Décembre 2024

@Zoe Florent
Merci beaucoup pour votre commentaire. J'avais quelque appréhension à l'idée que cette histoire ne rentre pas absolument dans le thème, et je suis heureux que vous l'ayez trouvée, au contraire, tout à fait appropriée. Joyeuses fêtes de fin d'année à vous aussi.

Publié le 17 Décembre 2024

@Christophe M
Je vous remercie pour votre retour et suis heureux que ce conte, dont je rejoins l'analyse que vous en faites, vous ait plu.

Publié le 17 Décembre 2024

@Fernand Fallou
Merci pour votre commentaire. Votre référence au yang et au yin est, je trouve, fort juste, d'autant plus d'ailleurs que j'ai disséminé un peu partout dans cette petite histoire une bonne dose de philosophie orientale. Merci !

Publié le 17 Décembre 2024

Tout finit par arriver ! Je désespérais de lire un joli conte, bien écrit par un adulte "humain" qui ne jette pas aux orties, avec un humour plus que douteux, la magie de Noël. Merci pour votre histoire intergénérationnelle qui me rappelle un tant soit peu "La vie devant soi" de Romain Gary. Et puis, bon Noël à tous ; je n'ose pas écrire Joyeux après certaines de mes précédentes lectures. Fanny

Publié le 17 Décembre 2024

@Jonathan Chardin Aucun des ingrédients qui font un joli conte de Noël ne manque... Magie, candeur, émotion, tout y est... Une belle réussite, cher Jonathan, merci !
Je vous souhaite de joyeuses fêtes de fin d'année.
Amicalement,
Michèle

Publié le 17 Décembre 2024

Un vrai conte de Noël, mêlé de gravité et de candeur, de tristesse et de perspectives.
Bravo !

Publié le 17 Décembre 2024

Ah, mes amis, la Laponie, quel beau pays que la Laponie.
Il paraît que le père Noël habite là-bas, et que c'est là-bas justement qu'il a sa fabrique de jouets.
Teresa, ma voisine, est partie là-bas sur son cheval Libertad.
Ça doit être bien, parce qu'elle n'est jamais revenue.
Selon que votre esprit penche vers le yang ou vers le yin (on n'a pas d'équivalent en français), c'est une fin joyeuse ou triste.
Ainsi finit l'histoire de Teresa.
Jolie histoire de Noël.
Bravo !
FF"

Publié le 17 Décembre 2024