Tribune
Le 19 nov 2014

Être écrivain aujourd’hui ou l’art de la débrouille, façon soviétique

Embarquez au Pays des Soviet, et découvrez avec Patrick Ferrer le parcours hasardeux et difficile de l’écrivain d’aujourd’hui. Mieux vaut être sur le qui vive, en alerte permanente, prêt à saisir toutes les opportunités qui ne se représenteront pas de si tôt, en un mot s'initier à l’art de la débrouille. Comme là bas.

Il y avait deux choses qu’un Européen arrivant en Russie à l’ère soviétique et dans les premières années de la Restructuration (Perestroïka) remarquait aussitôt : un, que les Russes pouvaient instantanément détecter que vous n’étiez pas « un des leurs » et deux, que leur expression favorite était « faut savoir se débrouiller ».

Pour le point un, il n’y avait pas de remède. Les étrangers restaient des étrangers, ils étaient les pigeons qui payaient tout au centuple et n’avaient aucune chance de pouvoir faire un jour partie de la communauté. C’était comme ça. Non pas que les Russes soient un peuple fermé, bien au contraire, mais il y avait eux et les autres. Un abîme culturel séparant le natif de quiconque venait d’ailleurs. L’aspirant écrivain qui déboule dans le monde de l’édition traditionnelle connaît bien cette sensation. Mais là n’est pas le sujet qui nous intéresse aujourd’hui.

Non, ce qui nous intéresse, c’est le point deux. La débrouille. Outil indispensable pour la survie dans une société livrée à elle-même lorsque ses dirigeants se sont retranchés dans leurs tours fortifiées avec un impitoyable service d’ordre à leur botte. Je ne fais pas de politique et je ne fais pas l’apologie d’un système ou d’un autre, il s’agit simplement d’une analogie. Il suffisait, arrivé à Moscou, de se balader dans les rues pour se rendre compte de la façon dont les Russes vivaient. Dans les supermarchés et les boutiques, il n’y avait rien. Des étagères vides à presque tous les rayons. ‘Aller faire les courses’ n’avait pas le même sens qu’ici, on ne partait pas avec une liste mais avec l’espoir de trouver quelque chose. Les achats, on les faisait au gré de son itinéraire. Partout, dans les endroits les plus insolites, les gens dressaient une table pliante ou un morceau de tissu et vendaient ce qu’ils avaient. Sur les trottoirs, sur le pas de leur porte, parfois même à leur fenêtre, dans les couloirs du métro, n’importe où. Des bigoudis, des bananes, des chatons, du shampoing, des cassettes vidéo. Rarement plus d’un type d’article par étalage. Et les gens achetaient parce que Dieu sait quand il y aurait à nouveau des bigoudis à vendre !

Même au fameux Goum, l’immense galerie marchande des tsars sur la Place Rouge. Des vitrines vides à n’en plus finir. Seules les guérites et boutiques pour touristes avaient des choses à vendre mais à des prix exorbitants pour le petit peuple.

Pour survivre, donc, il fallait glaner le nécessaire vital par petits bouts, en allant d’un endroit à l’autre. Il fallait beaucoup marcher, parfois beaucoup attendre. Les Russes portaient en permanence sur eux un filet à mailles, un avosta, qui veut dire un « au cas où ». Quand les sacs plastiques sont arrivés d’occident, ils ont eu énormément de succès. Si vous voulez faire plaisir à une amie russe, offrez-lui un sac en plastique. « Au cas où » parce qu’ils ne savaient jamais ce qu’ils allaient trouver, le repas du soir, un jouet pour le gosse, un petit rien qui leur permettrait de faire plaisir à leur femme.

Curieusement, ces gens-là, quand vous appreniez à les connaître, étaient pleins de joie de vivre, de curiosité enthousiaste et d’une générosité sans borne. Ils savaient qu’il « faut savoir se débrouiller » et, quelque part, cela rendait leur vie plus intéressante, favorisait les échanges, la curiosité, l’entraide, toutes choses sans lesquelles il n’y avait pas de salut.

L’écrivain français est le prolétaire soviétique d’aujourd’hui. Il sait pertinemment qu’il n’accèdera jamais aux rangs dorés de l’Intelligentsia et de la Nomenklatura[1] qui dirigent sereinement l’horizon culturo-littéraire du haut de leur imprenable tour d’ivoire. S’il a eu la chance d’avoir un ou deux titres publiés, ce sera dans un acte de magnanimité vite oublié et il retournera inévitablement au rang qui est le sien après avoir touché sa maigre pitance. S’il veut survivre, il va devoir apprendre à vivre ‘à la russe’.

L’écrivain doit se munir de son avosta, son filet à mailles. Pour lui, ce sera son petit blog, son livre autoédité, ses quelques connaissances dans la blogosphère, sa page Facebook, les sites de lectures. Lentement, inlassablement, il recueillera les objets épars qu’il pourra trouver ici et là et qui lui serviront un jour, ou qu’il pourra troquer. Quelques fidèles, une critique sur un blog, un article dans un papier régional, une centaine ou un millier de lectures ici et là. Petit à petit, il avancera. Il apprendra, comme les Russes avant lui, qu’il « faut savoir se débrouiller ». Et que l’entraide est ce qui fait sa force.

Là où l’analogie devient intéressante, c’était lorsqu’on allait visiter la majestueuse librairie de Moscou, un large bâtiment de plusieurs étages où l’on était frappé, dès l’entrée, de voir que les étages avaient été envahis par des petites boutiques qui vendaient des produits divers, assez éloignés du livre. Les rayonnages poussiéreux où s’entassaient les livres à couverture morne mais seuls « autorisés par le Parti » n’attiraient pas grand monde. Alors la librairie louait une partie de ses espaces à des petits vendeurs qui faisaient entrer des clients, couvraient les frais d’entretien et les salaires des libraires lâchement abandonnés par les éditeurs officiels. Comme on dit en Russie, à la fin, ce sont toujours les débrouillards qui gagnent.    

Patrick Ferrer

Propos recueillis par Christophe Lucius.

 

[1] Nomenklatura : Terme russe désignant l'élite du parti communiste de l'Union soviétique. Le terme est utilisé aujourd’hui pour désigner, de façon péjorative, l'élite et les privilèges qui lui sont associés.

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"Il faut savoir se débrouiller", sans doute, mais ce n'est pas facile, car si vous n'êtes quasiment diplômés dans une matière quelconque qui plus est la littérature,  vous aurez grande peine à pénétrer un de ces milieux. Il faut essayer de se faire connaître mais ne pas s'obstiner au delà du temps raisonnable à y consacrer. Pour ma part j'ai commencé l'écriture sans savoir ce que je "valais". Au début j'ai attendu des avis, dont ceux familiaux toujours flatteurs, ensuite en élargissant à des amis de formation littéraire qui vous encouragent et vous aident à faire  des corrections. Puis le grand bain à la recherche d'éditeurs, hélas mauvaise pioche, tant ils sont envahis de propositions, en réponse une lettre encourageante. Enfin j'ai sollicité un grand lecteur littéraire qui s'est presque excusé d'être sévère. Peu importe lui ai-je répondu, au moins je retombais les pieds sur terre. J'étais juste un auteur, puisque j'ai mon nom sur un livre, mais pas un écrivain. A partir de ce dernier avis, je me suis mieux situé dans la hiérarchie de tous les auteurs, et je restes humble me disant que l'écriture est avant tout un passe-temps, comme la peinture du dimanche. Faites ainsi et exposez vous comme sur ce site et qui sait peut-être qu'un badaud connaisseur appréciera un jour votre style et son contenu, car vous ne pouvez plaire à tout le monde.

Publié le 22 Novembre 2014

Depuis les années 1970 la population mondiale a littéralement doublé et en l’espace de ces quelques décennies, les écrivains aussi.

Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes des milliers à publier d’une manière ou d’une autre nos écrits sur la toile. Le système débrouille, je veux bien ! Mais restons lucide, il est quasiment impossible de tirer son épingle du jeu.

Seuls les coups d’éclats l’emportent. Pour exister dans son domaine de prédilection, il faut être, je dirais « bruyant.» Exit, la qualité de l’œuvre, la richesse des idées etc. Rien ne sert d’étaler une soi-disant culture…

Commettez un larcin, poignardez quelqu’un, dénigrez votre ex, que sais-je ?

À cet effet, tout le monde s’intéressera à vous. Vous serez alors connu et reconnu.

Mais trêve de plaisanterie !

En définitive, il faut suivre son bonhomme de chemin sans trop en attendre en retour. Cela évitera à tous ceux qui rêvent de faire partie des élus, de moins se lamenter sur cette forme d’injustice.

Publié le 20 Novembre 2014

Une métaphore qui ne laisse pas de place à trop d’illusions. En effet, je joue les Moscovites depuis un an et je me pose moi aussi beaucoup de questions. Entre les ‘facebookiens’ atteins par le syndrome de « la belle mère de Blanche-Neige», les amis qui se lassent parce qu’on les sollicite un peu trop, le chemin est très étroit, long et sans véritable récompense.

Publié le 20 Novembre 2014