Un pas à franchir, presque rien. Le premier mot. De quelque chose. Le début d'un truc. OK ! OK ! Voilà ! Je n’étais rien d'autre, qu'une tension malsaine, une boule de stress, incapable du moindre geste, et maintenant, je marche sur la feuille blanche. Maladroit, pas serein. Chaque cellule de mon être hurle à la mort, que cette torture cesse. Retour à l'inertie. C'est le vœu le plus cher de mon âme, le repos. La tranquillité du minéral, dans le noyau, là où, en silence, coule une eau fraîche, turquoise. Elle bifurque par des cavités vieilles de cent mille ans, elle approche... Ha... Elle m'effleure le haut du crâne, à moi, petit bout de roche, vieux comme le commencement, lové au centre de la terre, et elle est déjà loin maintenant, elle file, cristalline, vivante, vers les plaines, les hautes montagnes, les forêts humides sauvages, avant de se perdre et... mourir dans un verre d'eau. Je bois ce verre d'eau...
Je ne ressens rien. Il n'y a plus de magie. Je hais cette époque. Je ne peux pas dire notre époque. Chacun vit dans ce monde à sa manière, chacun, dans son tunnel, creuse la vie durant à la recherche de sa sortie. Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que l'intuition d'être enfermé en soi, chaque prisonnier de ce paradis à ciel ouvert la ressent. Un jour, nous nous rencontrerons, crient nos cœurs ! Certain le font inconsciemment, y en a qui le cherchent en cuisinant, en faisant une passe... d'autres, au travers de l'art, cherchent à réunir... Ce qui est intéressant avec l'avancée de notre époque, ces décennies perdues, c'est que l'on peut constater des conséquences, des réussites, des échecs, des actes de nos aînés. Jusqu'à présent, rien n'a marché. Rien n'a fait exploser l’illusion du vivre ensemble au sein de nos tristes solitudes. L'homme à seulement raffiné son illusion, sa prison, il a plus de confort, et encore plus d'illusions. La communication, la vitesse, l’immédiateté, vous comprenez de quoi je parle. Ce que le 21ème siècle a de grandiose c'est que tout va plus vite. On se dispute plus vite. On mange plus vite. On baise plus vite. On se retrouve plus vite(et ça sans se trouver), on meurt plus vite. Mais on guérit toujours aussi lentement ou jamais. On regarde plus vite. On s’oublie plus vite. On boit plus vite. On se drogue plus vite. On ne lit plus. On vieillit plus vite. On reste con pourtant. Les prix augmentent. La pauvreté aussi. Plus de SDF. Plus d'attentats. De nouvelles maladies. Nouveaux mal-êtres. Nouveau parfum de glace. De saveurs pour préservatif....
Et pourtant, la seule chose que je ressente plus vite, à haut débit, c'est ma solitude. La vôtre aussi. Elle déborde comme la merde d'un chiotte bouché. Pourtant on essaie, on s'habille propre, on se coiffe cool, on fait du sport, on mange bien, on a le smartphone, les séries illimitées... Chaque matin on se lève, on espère que ce sera différent... et rebelote, on se ment, on se met dans l'ambiance, avec tous les autres, on rit, c'est midi, on mange, on reprend le boulot, on se remplit pour ne pas penser un seul instant à la main qui vous broie l'estomac, la boule dans la gorge qui empêche de crier, de se lever, de dire à tout le monde d'aller se faire enculer et de rentrer chez soi pour se soûler la gueule jusqu'à la mort. Je n'aime pas la fantaisie, je suis terre à terre, mais le soir, avec le sommeil qui me fuit, je scrute ma fenêtre, en espérant qu'un vampire vienne me chercher, qu'il me morde et me libère de cette tragédie de pacotille. Je fixe mon chien et j’attends qu'il parle. Que le chat reprenne sa forme humaine... en vain. Rien ne vient briser la malédiction. Alors les idées sombres et débiles arrivent. Je regarde la femme de mon voisin avec appétit. Je fantasme, je me dis, oui... elle me veut, elle m'attend, elle dans sa petite mort journalière, quand tout devient calme après le crépuscule, et que le mari lui gratte l'épaule pour réclamer le coït de celui qui paye le loyer et le reste, elle se résigne, se tourne sur le dos, et s'offre en pensant au cornet chocolat vanille qui l'attend dans le congélateur, une fois que le moment gênant sera passé, et c'est là que soudain, une image furtive de moi lui traverse l'esprit. Quand le mari la bourrine, elle pense à moi, et je me nourris la cervelle avec de telles pensées, et je redouble d’efforts physiques, je cours et je fais les abdo, je me frotte à la barre, je suis au taquet. Le jour où je vais à la croiser torse nu, elle va mouiller sa vie comme jamais, et le mari, dans sa Chrysler en route pour le Match de foot, aura un pressentiment que chez lui se joue un match, que je flirte avec les poteaux, que l'épouse s'arrange avec l'arbitre, je broute la pelouse...
Médiocre, je sais, tout le monde est le mari d'une épouse, et personne ne veut que cela arrive, et pourtant, on fait tout pour ! Vivre avec une personne qui s'est habituée à vous. Quoi de pire ? On n'est pour l'autre pas mieux qu'une vieille surprise, un passé qui persiste, un souvenir résiduel, qu'on tolère à peine, avec pas la moindre particule d'amour, juste de la pitié, du savoir vivre à son égard. C'est pas faute d'essayer de se renouveler. Changer de coupe, de corps, d'ambition, d'orientation, de manière d'être, changer d'âme même, mais ça ne change rien de vouloir changer, au contraire... ça dégoûte l'interlocuteur, le mari , l'épouse, le frère, la sœur, le papa, la maman... Comme un vers de terre sorti de son trou après le premier coup de pelle et qui se tortille pour se remettre droit. Les amis, (les amants) c'est la vraie famille de chacun de vos proches. La soupape. Vous ne ferez jamais partie de leur vie. Vous serez toujours le répulsif qui donnera la nourriture vitale pour tenir autonome leur propre existence. Je sais... de bon cœur et parce que, il faut l'avouer, on n'a pas de plan B, on a mis tout nos œufs dans le même panier, on essaie de briser le carcan, de retisser les liens, de faire parler l'amour, mais c'est mort... D'autres dans votre dos se sont attelés, avec la joie du nouveau-né qui fait ses premiers pas, à vous détruire une bonne fois pour toutes, et cela en prenant le temps, les verres, les mots justes... Vous êtes le négatif d'une vie extérieur à vous-même. C'est tout ce que cette époque offre, sans prendre de risques. Netflix, Amazon Prime et les autres corporations, aussi, ça tombe à pic, pour combler l 'immense vide que l'on a retrouvé en soi. Je remplis mon disque dur de merdes insignifiantes jusqu'à l’obésité morbide de mon âme. J'ai, l'espace d'un instant, la sensation d'être, d'exister... ça dure pas longtemps, et ça tire en silence sur le compte en banque, et c'est pas remboursé par la Sécu. Je ne sais pas pour vous, mais j'ai l'impression d'être le seul à perdre mon temps là-dessus, les autres, impeccables, son trop occupés à vivre ma vie à ma place, pour qu'on discute séries, documentaires... Quand j’essaie d'entamer la discussion, j'ai l'impression de n’être qu'un monstre, un raté qui n'a rien d'autre à foutre que de regarder des films, des séries... A croire que le streaming à outrance, la bière, le sexe et le sport n'ont été créés que pour moi. Ma petite décadence. Mais en fait, je sais, que non. C'est juste que les gens se cachent. Ils ont honte. Honte d'être comme moi.
Je m'assume, ça se soigne d'être soi-même, c'est risqué de nos jours, ça fait flipper la masse, quand on reste soi. Quand on s'aime au moins un peu, se regarder dans le miroir et s'y trouver confortable. Prendre son temps. Respirer, penser à faire pousser des patates... éviter le supermarché, marcher super longtemps pour aller voir un ami, une amante... Je ne crois pas en l’amitié entre les sexes opposés, je me méfie même des animaux. L'amour n'a pas de forme, de frontière, de franchise, il coule comme l'eau, il n'a pas d'ennemi. Il peut apaiser ta soif, et, la seconde d’après, te noyer et te faire basculer dans l'oubli de l'autre pour l’éternité. Se tenir debout, seul contre tous. Un arbre n'a pas d'ami... je crois... c'est ce que le chêne de la cour où j'ai grandi me disait souvent. Ou il me traitait de sale étranger quand je lui pissais dessus... je ne sais plus. Les souvenirs se chevauchent et s'arrachent ma bénédiction comme des idiots dans l'allée du PQ dans un supermarché en pleine Pandémie. Le souvenir, c'est vivant, et violent, ça veut pas rester enterré, ça trouve toujours un moyen de venir vous casser alors que tout allait bien pour vous. Le souvenir trouve la plaie encore fraîche et s'y infiltre, puis commence le pourrissement interne. Et l'envie de boire, de baiser, de sortir, plus que jamais vous laboure de l'intérieur, sans vraiment savoir pourquoi. Ce n’était qu'un petit souvenir qui passait par là, qui vous a rappelé combien vous étiez vivant, qu'il fut une époque pas si lointaine, pleine de promesses et d'avenir, où vous l'avez entraperçu, puis il s'est retiré, comme une illumination prématuré, et maintenant, il ricane, savoure votre déchéance, depuis l'angle mort de votre être, pop-corn entre les jambes... trop facile. Peu d'esprit pour ce siècle, presque plus... l’âme est morte, ce n'est qu'une morsure de plus, elle se dit... Je sors, je vais au pub, je connais la musique, je retrouve les amis, la bière, la musique, les habitudes, et ça va déjà mieux, pour le moment, pour un petit instant... Peut-être que je baiserai la femme de mon pote, lui se fera la mienne... ou une autre... Je vais tomber malade, peut-être, ils vont m'oublier comme un mauvais souvenir... ça arrive. Rien n'est infaillible. Pas même moi, ni vous. Surtout pas en ce moment. Et n’oublie pas ça, l'ami ! Le temps détruit tout.
Rezkallah
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Une vision d'une certaine réalité de notre époque avec son côté sombre que vous avez osé évoquer @Rezkallah.
Cet appel à texte aura le mérite de recueillir un panel d'impressions, de vécus, de talents d'auteurs dont la richesse de la plateforme est sa diversité.
Merci pour ce partage. MC
Eh, bien, en voilà une belle tranche d'optimisme qu'elle est bonne!
Votre texte m'a ému. Je l'ai trouvé réaliste.
Vous avez magnifiquement décrit votre "verre à moitié vide".
J’espère de tout cœur que monBestSeller aura l'heur d'accueillir prochainement un avis aussi enthousiaste et argumenté que le votre qui saura nous décrire par le menu son "verre à moitié plein".
Je vous souhaite un bon rétablissement et que la période exceptionnelle que nous traversons vous apporte certaines nouveautés capables de vous insuffler les quelques bouffées d'optimisme qui semblent vous faire défaut...
Bien cordialement
Domi Montesinos