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Du 21 jui 2020
au 21 jui 2020

Littérature et philosophie : que dit l’œuvre de son auteur ?

En littérature, que dit l’œuvre de son auteur ? De quoi faut-il se prémunir en tant que lecteur ? Quelle éthique se donner en tant qu’écrivain ?
Dans quelle mesure nos livres sont un miroir de ce que nous sommes ou de ce que nous voulons être ?Dans quelle mesure nos livres sont un miroir de ce que nous sommes ou de ce que nous voulons être ?

L’esprit critique est non seulement légitime, mais aussi nécessaire ; il s’applique autant devant une télévision que devant un livre, et nous permet d’échapper aux manipulations, aux mensonges, à la mauvaise foi, et en général à toute pensée insouciante de la réalité. L’analyse nous protège, et révèle en même temps les enjeux et les intérêts que certaines personnes ont à nous conter des histoires. En littérature, que dit l’œuvre de son auteur ? De quoi faut-il se prémunir en tant que lecteur ? Quelle éthique se donner en tant qu’écrivain ?

Objectivité et subjectivité en littérature et en philosophie

Par-delà le bien et le mal (Jenseits von Gut und Böse) de Friedrich Nietzsche fut publié en 1886, et affirmait: « Je me suis rendu compte peu à peu de ce que fut jusqu’à présent toute grande philosophie : la confession de son auteur, une sorte de mémoires involontaires et insensibles ; » La philosophie, souvent associée à la Raison, la logique, l’objectivité, l’impersonnalité, se découvre une identité plutôt subjective, personnelle, individuelle, opinée. 

Œuvre, vie de l’auteur, correspondances…tout est lié

On peut penser avec Nietzsche que l’œuvre est inséparable de la personne et de ses vécus ; que tout genre littéraire, qu’il s’agisse d’un essai, d’un article ou d’un roman, traite de désirs et de croyances. Un écrit ou un discours (ou même toute autre forme d’expression) peut dissimuler des intérêts, des rêveries, des fantasmes, des angoisses et des craintes, au sein d’une argumentation innocente en apparence. Il y a l’œuvre, la vie de l’auteur, ses correspondances, ses biographies, toutes liées les unes aux autres. 

Ce que nous allons écrire renseigne sur ce que nous sommes

Prendre la plume nous confronte au phénomène décrit ci-dessus. Ce que nous allons dire renseigne sur ce que nous sommes. Les mots et les idées que nous employons renvoient à des psychologies, des familles, des environnements, des histoires. Montaigne (et bien d’autres) ne se dupe pas : « Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. » (Les Essais, préface). On se peint soi, par attraction, rejet, ou neutralité à l’égard d’une idée, d’une cause, d’un personnage et de ce qu’il incarne. Ecrire, c’est en partie se rencontrer soi-même, et ici comme ailleurs, se livrer au lecteur, même sobrement. 

Littérature et philosophie : Penser sa vie et vivre sa pensée

Il y a chez Montaigne une invitation à l’honnêteté, à une authenticité et une sorte d’uniformité entre la pensée et la vie de l’auteur, soit dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit. Cette vision unitaire n’est pas neuve mais semble pertinente du point de vue éthique, et concerne moins les genres littéraires fictionnels que les genres argumentatifs. Elle sert de lutte contre l’hypocrisie et la mauvaise foi, et nous incite à réfléchir sur notre existence. 

Il manque à cette uniformité un désir de vertu, de sorte que l’on soit non seulement cohérent, mais aussi et surtout cohérent dans la vertu, et non dans l’exercice du vice (vice et vertu sont des notions subjectives bien entendu). 
S’interroger sur ses actions, les remettre en question, en débattre avec soi-même : pratiquer des examens de conscience, voilà de quoi se rapprocher d’un certain degré de sagesse.
L’écriture, messagère de vertus, nous accompagne elle aussi sur ce chemin libérateur. 

 

 

Kyril Dussauge

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@Benoît Otis
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Merci Benoit, nous partageons la même analyse et c'est réconfortant. Amicalement

Publié le 27 Juillet 2020

Un petit complément, juste pour le plaisir. Et puis, cette tribune n'est-elle pas là pour susciter le débat !?
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C’est bien connu, les apparences sont souvent trompeuses. Même les plus grands écrivains peuvent cacher des vices insoupçonnés. Insoupçonnés ? Pas vraiment !
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Il suffit de lire attentivement "plusieurs" romans d'un même auteur pour comprendre qu'il cherche à nous faire croire qu'il donne un rapport complet et véridique d'une histoire. Qu'il essaie de représenter au maximum la réalité, mais que bien souvent, il ne reflète que la vision de ce dernier. Il prétend à exprimer une certaine vérité artistique ou une vraisemblance mais est-elle le reflet de la réalité ? Bien sûr que non !
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Même si un roman reflète une certaine réalité en utilisant des lieux familiers, des personnages banals qui ont des aventures banales comme "Madame Bovary" et bien d'autres titres. Le roman est avant tout le miroir de son auteur. Il donne une vision du monde vu par l'auteur, donc déformée. Et cette vision nous livre tous les traits de caractère de l'écrivain, ses faiblesses, ses peurs...
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Ceux qui ont lu attentivement Sartre, Céline, Joyce, ou encore Matzneff, pour ne citer que quatre là, n'ont pas eu de surprises en apprenant leurs vices, leurs défauts, leurs turpitudes... leur lâcheté. Bref, un roman quel qu'il soit nous livre la couleur de l'âme de son auteur. Elle peut être d'une couleur étincelante ou d'un noir anthracite.... Très amicalement, Jean-Claude dit Kroussar.

Publié le 26 Juillet 2020

@lamish,
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Au contraire, mes propos sont strictement dans l'idée de la tribune : que dit l’œuvre de son auteur ? C'est bien la question ! Non ? Et restreindre le sujet à la philosophie, c'est faire preuve de peu de connaissances et d'interprétations sommaires. L'oeuvre est le prolongement de son auteur. Et tu devrais le savoir, toi, dont la moitié des romans ne sont que des autobiographies arrangées (je change les prénoms, je change les lieux, et hop ! Cela devient une fiction !) Je te retourne donc ta phrase : "Et puisque vous évoquez le genre autobiographique, je vous précise que, à mes yeux, une fiction dit souvent plus de la pensée profonde de l'auteur qu'une autobiographie plus subjective puisque état de conscience et capacité de remise en question ne sont pas toujours au rendez-vous... " Très cordialement et très très très bon weekend.

Publié le 25 Juillet 2020

Cet article n'invite pas à fusionner l'auteur et son propos : parler de nazisme, de colonialisme ou d'extrémisme ne fait en aucun cas de l'auteur un nazi, un colonialiste ou un extrémiste. En revanche, on peut s'interroger sur les desseins d'un texte : son articulation, ses fils conducteurs, ses affirmations et ses conclusions, révèlent une partie de la psychologie de l'auteur. Que fait-il dire à son œuvre ? Quelles en sont les implications ? Comment l'auteur se positionne-t-il par rapport à ses personnages? Etc.

Cette rubrique suggère que l'on s'interroge, sans que l'on psychanalyse. Son but est de prévenir et non de condamner, de lire sans naïveté sans pour autant vilipender. Bonne journée à vous ! @la miss @lamish @Kroussar

Publié le 25 Juillet 2020

Oui ! Il faut élever le débat et sortir de l'horizon de MBS.
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Alors permettez-moi de revenir sur la remarque pertinente de @la miss qui a voulu élever le débat, en vain : "Pour ne parler que d'un livre "Les Bienveillantes", pensez-vous réellement que son auteur, Jonathan Littell, révèle, à son insu, son admiration pour le nazisme, sa propre psychopathie, et se félicite de l'extermination des Juifs d'Europe ? Je crains qu'à la lumière d'une psychanalyse pour les nuls, vous n'ayez qu'une vision très réductrice de la littérature."
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Très juste, ma chère  @la miss, et quand je parlais d'auteurs qui ne supportent pas les critiques, je faisais référence aux grands auteurs contemporains qui durent affronter des critiques acerbes, souvent justifiés, mais mal vécues.
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Quelques exemples pour montrer que l'auteur et ses personnages sont totalement imbriqués : Céline fut accusé de racisme et d'antisémitisme, ce qui était pourtant vrai. Pierre Drieu la Rochelle, dont les œuvres ont pour thèmes la décadence d'une certaine bourgeoisie, la collaboration, l'expérience de la séduction portée aux comportements suicidaires. Il fut accusé d'être l'exact portrait de ses personnages. Ce qui était vrai. D'autant plus, qu'il mit fin à ses jours après avoir été un collaborateur zélé et sans scrupule au service des nazis... Stig Dagerman disait de ses personnages : "Ils font partie de la famille des suicidaires, c'est-à-dire pas nécessairement de ceux qui mettent fin à leurs jours, mais de ceux qui ont toujours la mort à leurs côtés, pour plus de sûreté, pour parler avec elle, pour espérer en elle". Il se suicide à l'âge de 31 ans.
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Ainsi, la parution en 2006 des Bienveillantes de Jonathan Littell, ce pavé de 900 pages, fut un événement littéraire, pour trois raisons. La première est la reconnaissance accordée à un jeune auteur (Littell est né en 1967), à la fois par l’académie Goncourt et l’Académie française. La seconde concerne le milieu littéraire français, duquel Littell est inhabituellement distant : fils d’un écrivain américain, résidant aux Baléares, mais écrivant en français. La troisième raison qui a fait de ce livre un événement est le débat qu'il a suscité, et les accusations qui s'ensuivirent. Je ne voudrais pas donner une image simplifiée du roman de Littell. C’est une entreprise ambitieuse et réussie. La reconstruction des événements du point de vue d’un cadre nazi n'avait rien de facile. Elle est menée à bien avec une cohérence qui rend le livre passionnant en dépit des désaccords qu’il peut susciter. Il me paraît ni possible, ni souhaitable de condamner son projet en tant que tel, c’est-à-dire de prononcer un interdit sur la fiction ou sur l'adoption du point de vue du bourreau, même lorsqu’il s’agit de la destruction des juifs : ce serait un geste de censure. Il suffit qu’on ait la liberté de blâmer. Et nombreux furent ceux qui le blâmèrent.
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Quoi qu’il en soit, le débat que Les Bienveillantes a suscité montre que ce livre, a été un marqueur idéologique.  Car certains l'accusèrent d'antisémitisme, d'autres d'apologie du nazisme, d'autres encore de dangereux psychopathe... 

Publié le 25 Juillet 2020

@la miss
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Effectivement, je n'ai rien entendu ! Et vous n'avez rien dit !
Et puis on s'en fout de qui se cache derrière l'auteur(e) ou son personnage; après tout on n'est pas là pour faire de la philosophie de bas étage...
Ils/elles peuvent bien écrire toutes les inepties du monde, tout ce qui leur passe par la tête ou sous la ceinture. D'ailleurs c'est souvent le cas, au ras des chaussettes...
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Merci pour votre compliment qui me va droit au cœur.

Publié le 24 Juillet 2020

@la miss
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À propos de psychanalyse pour les nuls, je vous retourne le compliment. Sachez que Jonathan Littell a grandi avec l'histoire de la Shoah ! Même si sa famille n'a pas été directement exterminée, il exprime les peurs, les angoisses de tout un peuple (donc les siennes) sur cette terrible période. La projection de ses pensées, à travers les mémoires imaginaires d'un officier SS correspond bien à une part de lui-même, sans prétendre qu'il se félicite de l'extermination des Juifs d'Europe. Vous devriez relire ce magnifique roman, sous un autre angle... Cordialement.

Publié le 24 Juillet 2020

Entièrement d'accord avec ce texte qui rappelle que chaque auteur(e) laisse beaucoup de lui-même dans ses romans. On devine son âme, ses qualités, ses défauts, ses peurs, ses envies et ses passions. Car derrière la plume, nous percevons la part de leur vécu.
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Par contre, beaucoup n'apprécient pas les remarques faites envers leurs romans, et pourquoi donc ? Parce qu'ils se sentent visés, blessés dans leur amour-propre, dans leurs chairs, puisque bien souvent leurs personnages ne sont qu'une projection de leur "moi" et de leurs "proches"... Et c'est là que le bât blesse, puisque auteur et personnage sont indissociables. Cordialement

Publié le 22 Juillet 2020