Nous sommes souvent les derniers informés, les derniers à savoir, à comprendre… qui nous sommes réellement.
Ce qui, de nous, saute aux yeux d’autrui nous reste la plupart du temps invisible. Nous passons, pauvres humains, l’essentiel de notre temps à nous raconter une histoire que nous imaginons être notre vie… et même la réalité.
Il en va ainsi des borgnes qui se prennent pour des rois au pays des aveugles. M. Grock est de ces premiers. Anciennement prof en fac, dans la plus facultative des matières : « sociologie du travail » (ou rendue facultative par ses étudiants blasés et pleins, à son égard, d’un souverain mépris).
Mais en dépit des apparences, M. Grock n’est pas le pantin que ses étudiants imaginent, il a une vie intime foisonnante. Dans un imposant classeur à anneaux, tel un orfèvre, il ajoute chaque jour des lignes et des pages à son manuscrit « La terre des invincibles », une saga, son grand œuvre, grâce auquel il pense laisser sa trace sur le monde.
Mais le destin a d’autres projets pour M. Grock.
Braqué par un zonard, il est dépouillé de l’unique exemplaire de son cher manuscrit. De fil en aiguille, et comme bien souvent, cette perte se transforme en opportunité. C’est ainsi que M. Grock découvre l’analyse.
« M. Grock est le roc qui écoute, mais M. Grock n’est pas si différent de ses patients en analyse. Il a, lui aussi, ses histoires à raconter... », nous prévient l’auteur, Junain Lavillet. Mais quelle histoire ? Car les lignes entre soi et les autres sont faites d’une matière poreuse, et souvent, elles s’emmêlent. Est-ce la raison (inconsciente, qui sait ?) pour laquelle l’auteur nous présente M. Grock debout à la fenêtre de son cabinet (bulle, bocal, boîte de Petri), regardant le monde par-delà les vitres ; espèce de Drogo scrutant le désert des Tartares ?
Comme dans toute tragédie, les éléments sont posés là, dès les premières lignes, sous les yeux du lecteur, et sous ceux du personnage, mais ils n’ont pas de sens, car le temps ne les a pas encore traversés et animés. Il faut vivre, avancer, se tromper et se perdre, recommencer pour arriver enfin au point de départ qui est aussi le point d’arrivée.
Le livre de Junain Lavillet est une sorte de kaléidoscope, un labyrinthe, palais des glaces. N’y cherchez pas la trajectoire rectiligne des livres où tout est dit, tout est expliqué. La réelle connaissance de la psychanalyse démontrée par l’auteur vous donnera la certitude que vous pouvez sans crainte le suivre et avancer au gré des pages jusqu’aux révélations.
Je pense que ce livre mérite d’être encore travaillé. Corrigé, revu, et complété en quelques rares endroits, mais il est d’une telle richesse, que vous vous sentirez à votre tour enclin à pardonner à l’auteur son impatience à nous partager son ouvrage.
Catarina Viti
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…