Choisir le mensonge ou être contraint à mentir quand on serait prêt à mourir au nom de la vérité, de l’honnêteté. Trahir ceux qu’on aime. Devoir passer pour un autre que soi. Se taire pour ne pas périr. Voici quelques mises en scène possibles de la complexité morale des personnages. Conflits et dilemme, choix cornéliens, sacrifices consentis sont les plus puissants moteurs de la narration, et les meilleurs gages d’empathie entre l’œuvre et le lecteur.
Puisqu’il semblerait que la complexité est une des clés pour réussir son personnage, lui donner de l’étoffe, choisissons de nous en éloigner. Définissons un trio de valeurs complémentaires, par exemple : Courage, Loyauté, Constance, et voyons ce que cela peut donner.
Notre personnage est une femme courageuse, loyale et constante, une femme de principes. Bien entendu, l’environnement auquel elle est confrontée ne partage pas ses valeurs. Que faire alors, sinon lutter pour faire triompher ces dernières ?
« Toute chose ressemble à un clou pour celui qui ne possède qu’un marteau. » affirmait Abraham Maslow. Notre personnage est un homme (on peut inverser avec le paragraphe précédent et faire de notre personnage une femme) courageux, loyal et constant. L’expression du courage, de la loyauté, et la constance pour les afficher, seront ses réponses à toutes les formes d’adversité.
Chaque époque porte son lot de valeurs, le plus souvent en fonction des péripéties traversées. On exaltera le courage, l’audace et le sens du sacrifice en temps troublés. Mais dans une époque comme la nôtre, nous sommes plus enclins aux valeurs qui réconfortent : bien-être mental et émotionnel, diversité et inclusion, engagement auprès des autres, intégrité et transparence.
À force d’incarner ces valeurs, cette recherche de perfection dans la conformité, nos personnages risquent de… faire bâiller le lecteur.
Même Rambo, au cinéma, n’aurait pas fonctionné s’il n’avait eu sa part de complexité en incarnant le symbole d’une réalité (le traumatisme et la défaite) qu’il faut faire disparaître du tableau de l’Amérique dans l’après-Vietnam.
Reprenons nos classiques, l’espace d’un instant. Georges (« Des souris et des hommes ») est contraint de tuer son unique ami et protégé (Lennie, une espèce de géant handicapé mental) pour que ce dernier ait une mort digne.
Si Georges n’avait pas été confronté à ce dilemme, le roman de Steinbeck n’aurait jamais fonctionné. Les personnages seraient restés tels qu’ils étaient : d’un côté, Georges, le malin, le « grand frère », de l’autre, Lennie, le gaffeur, l’idiot. Bien entendu, nous parlons là d’un chef d’œuvre, auquel nous ne saurions comparer nos écrits. Mais, au moins, l’exemple ne laisse aucune place au doute : le dilemme auquel vous confrontez votre personnage est le sel de votre histoire, et cela ne fonctionne qu’à partir du moment où vous avez doté ce personnage d’une complexité morale.
Dans les Misérables, comment se terminera la nuit d’angoisse et de perplexité de Jean Valjean alias Monsieur Madeleine, confronté au choix cornélien : aller se dénoncer au procès d’Arras, au risque d’abandonner Cosette à son triste sort, ou tenir la promesse faite à Fantine d’aller sauver sa fille, en laissant un innocent subir sa peine ?
Par quelles affres doit passer sœur Simplice, cette religieuse qui n’avait jamais menti, pour qui Satan était l’autre nom du mensonge, et qui ment deux fois coup sur coup pour sauver Jean Valjean des griffes de Javert ?
Pire encore ! Razkolnikov qui, pas un seul instant, n’éprouvera de culpabilité pour son meurtre, mais, froidement manipulateur, fera de Sonia, et donc de tous lecteurs de « Crime et Châtiment » les complices de son homicide. Une mort contre cent vies, que feriez-vous, vous-même si vous aviez le pouvoir de choisir?
Pour qu’un personnage de roman marque l’esprit et la mémoire du lecteur, l’auteur serait fortement inspiré s’il pensait à :
- 1) Créer des personnages dotés de nuances morales complexes. Comme Holmes qui possède une immense intelligence, mais est, dans le même temps, égoïste drogué et asocial.
- 2) Explorer les zones grises de la complexité humaine qui frise parfois l’incohérence,
- 3) Inventer des histoires où les personnages sont tiraillés par des conflits internes et conduisant vers des choix impossibles.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Toute la difficulté est là ! La petite histoire dans la grande et le conflit intérieur visible à l'extérieur...
Bonjour, @Phillechat 2. Eh oui, je pense que tout est là, effectivement : un conflit intérieur dans une cadre / enjeu plus large. Oh, que ce que vous dites me fait plaisir. Vous n'imaginez pas. Raison pour laquelle je m'intéresse tellement aux auteurs africains. Ce qui m'épuise dans les écrits de nos contemporains(mais vous entendez bien que tout cela n'est que personnel), c'est que leurs écrits n'ont plus de lien avec le cadre dans lequel ils évoluent. A l'instar de la culture maraichère, nous sommes abreuvés des productions "hors sol". Quelle insondable ennui. Merci, Phillechat 2/1/3/166294 !
Oui le conflit intérieur est un excellent moteur, mais il faut aussi un enjeu plus large : politique, économique, historique, religieux etc