Ma mie, peux-je vous parler au bec à bec à la franche marguerite ? C’était un 14 mai, j’étais entrée dans ce musée. Le regard d’un jouvenceau me suivait.
Vêtu d'une robe courte et bouffante dans les tons rouge fané, fermée par de multiples petits boutons et barrée d’un cordon bleu, il semblait paré pour un bal costumé. Une large collerette blanche en dentelle empesée lui enserrait le cou. Aux pieds, des souliers assortis et ornés d’une faveur sur le dessus venaient prolonger des jambes fluettes gainées de bas blancs qui hésitaient à tirebouchonner sur les genoux. Je m’attardai sur ce visage poupin. Les yeux marron et la bouche en cœur oscillaient entre sourire et sérieux, tandis que ses cheveux noirs abondants, ondulés et ébouriffés, accentuaient son air polisson. La main droite reposait crânement sur la hanche, alors que la gauche se fermait sur la garde d'une épée. Malgré cette bouille canaille et la stature enfantine, l'ensemble dégageait une impression de grandeur, de majesté.
Alors, une voix ténue m’intrigua :
Ma mie, peux-je vous parler au bec à bec à la franche marguerite ?
Étonnée par ce langage, je m’approchai du tableau et me retrouvai devant le lit d’un moribond qui parvint à articuler :
À la parfin, je m’en vais l’âme en paix, malgré tous les tourments endurés depuis mes enfances. J’avais neuf ans à la mort de mon père tant aimé. Ma mère Marie, dont je n’ai jamais reçu un baiser, ne cessait de me houspiller. Lorsqu’elle me surprenait à m’amuser, elle me traitait de dégénéré. Tant et si bien que, si peu sûr de moi, je bégayais quand j’étais contrarié. Curieux de tout, mais toujours dans la lune, je préférais la chasse à l’étude, et je devins la risée des délateurs. J’adorais ma sœurette Elisabeth avec qui je jouais parfois et, pour l’amuser, je lui cuisinais des omelettes parfumées de nos éclats de rire. Nos mariages étant arrangés, notre mère, agacée par nos larmes de désespoir, nous sépara à jamais. C’est ainsi que ma sœur chérie rejoignit son destin ibérique et que ma mère récupéra Anne, ma promise Espagnole. Nous n’avions pas encore atteint nos quatorze ans, pourtant le soir de mon union avec cette inconnue, Marie exigea que nous consommions notre mariage sur le champ, sous les regards de nombreux témoins. Cette humiliation resta à jamais dans mes remembrances. Bien qu’étant marié, je n’avais pas atteint l’âge de suivre la voie de mon père, aussi Marie, l’écervelée, piochait allègrement dans les pécunes de mon père pour s’offrir des diamants et engraisser un couple diabolique qui nous dépouillait. Pour un oui ou pour un non, elle entrait dans des colères terribles. Sous les yeux ébahis de l’assemblée, elle se dépoitraillait, se roulait par terre, hurlait des insanités telle une charretière, s’arrachait les cheveux et suait des gouttes grosses comme des pois. Durant ma lourde charge, soutenue par Anne, mon frère Gaston et ses nombreux affidés, elle montait des cabales et des complots contre moi et mon conseiller pour nous… assassiner. Meshui..., je me meurs… ».
Qui êtes-vous ? m’empressai-je de lui demander.
J’étais… Louis XIII, le Juste.
de Fanny Dumond
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Précisions pour mes lecteurs :
Férue d'Histoire, au printemps dernier j'ai lu les 13 épisodes de "Fortune de France" de Robert Merle. Le 8ème épisode " L'enfant roi " m'a fortement mise en empathie avec ce gamin malheureux et parce que les histoires d'enfants me touchent. Et durant les derniers épisodes, le destin de ce roi, futur père de Louis XIV, m'a captivée.
Contrairement à un commentaire lu quelque part, Marie de Médicis avait un QI d'huitre, était quasi illettrée en langue française et a épousé la cause féminine de bien étrangers façons. Entourée des vertugadins de la cour, elle passait son temps à se goinfrer, à cancaner, à tramer des complots pour garder son pouvoir de régente, à se laisser bourrer la tête par ses supposé(e)s ami(e)s qui profitaient de son imbécilité crasse. Quant à son instinct maternel... C'est ce j'ai trouvé de plus ignoble dans ma lecture.
J'invite les curieux à se pencher sur le vrai portrait de l'enfant roi dont je me suis inspirée pour le décrire. La contrainte de 3 000 caractères à ne pas dépasser fut la plus grande des difficultés, ce qui rend ce texte trop condensé, j'en suis bien consciente ! Je suis ravie d'avoir mené cet exercice pas facile à bien après des heures de travail et qu'il ait attiré l'attention du jury que je remercie au passage.
Bien cordialement. Fanny
Bonjour à toutes et tous qui ont commenté ou commenteront ma participation, je vous envoie un grand Merci. Bien cordialement. Fanny
Bonjour,
Belle rencontre à travers le temps et l'histoire à partir d'un tableau. Une idée brillante, servie par une plume qui l'est tout autant. On devine de solides recherches documentaires derrière ce texte.
Chère @Fanny Dumond, parfois il y a une petite lumière d'amour dans le hasard.
N'étant pour rien dans cette "opération mBS", j'ai eu la surprise de découvrir le palmarès, et la joie de vous y voir. A très vite, Fanny.
Une très belle réussite que cette nouvelle. Un prix bien mérité tant il est difficile de faire avec le style et le vocabulaire d'une époque que nous n'avons pas connus. Le portrait de Louis XIII croise celui de sa mère, Marie de Médicis, une mère qu'il finira par envoyer en exil. C'est dire les rapports entre les deux ! Ce rapport mère-fils est ici à ce point désastreux que Louis XIII, entre Richelieu et sa mère, choisira le cardinal pour accompagner son règne. Ceci pour le bien de la France. Il n'était donc pas si faible que cela, cet homme-roi.
Louis XIII, un roi qui mérite d'être réétudié; sa mère, une femme de pouvoir plus qu'une mère (avec lui).
Encore bravo pour cet exercice mené à bien et des détails sur Marie qui font froid dans le dos.
Cette nouvelle captive par son mélange audacieux de réalité historique et de fantastique. L’auteure joue avec les codes de la rencontre imaginaire, faisant surgir Louis XIII d’un tableau pour lui donner la parole. Le contraste entre la description du jeune monarque en tenue exubérante et la gravité de ses confessions sur une enfance tourmentée et une vie marquée par la solitude est saisissant. Le style, riche en détails et en archaïsmes, donne par moments une impression de surcharge. Si cette densité rend hommage à l’époque et au personnage, elle dilue quelque peu l’émotion brute de ses aveux. Néanmoins, la nouvelle parvient à humaniser ce roi et à nous inviter à une réflexion sur le poids d’une telle destinée.