Interview
Le 01 aoû 2024

Quand la littérature rencontre le sport

Le sport, avec ses défis physiques et mentaux, révèle souvent les aspects les plus profonds de l'âme humaine. Aux écrivains, il tend le miroir où se reflètent les luttes intérieures, les aspirations et les espoirs. A travers des récits héroïques, des métaphores ou des critiques sociales, le sport continue d'inspirer une riche tradition littéraire, illustrant la capacité de l'homme à se transcender, à surmonter les obstacles et à trouver un sens dans l'effort.
Tribunes monBestSeller : Quand la littérature rencontre le sport

 

 

Quand la tête raconte les jambes… de Zatopek

Les jambes… celles d’Emil Zatopek par exemple. "La locomotive tchèque" qui monte sur le podium aux J.O. d'Helsinki en 1952. Après le sport, le fonctionnariat et l’armée. Et un beau jour : le "printemps de Prague". L’ancien champion prend position en faveur d'Alexandre Dubcek. Il est exclu du Parti communiste et de l'armée, contraint à faire son autocritique. Les six années suivantes il les passera dans une mine d’uranium, à Jachymov. Le climat est loin de l’air pur des Alpes. Ses poumons en prennent un coup. Plus tard, Vaclav Havel lui décernera l’Ordre du Lion Blanc.

Zatopek révolutionna les méthodes d'entraînement (à commencer par les siennes) en inventant la course fractionnée, ou l’entraînement en hypoventilation. Mais l’on se souvient (les amateurs d’archives INA et les plus de 90 ans) de "la Locomotive" à cause de son style de course atypique : corps explosé, grimaces de douleurs, comme si toute la souffrance humaine n’était élancée sur la piste au coup de starter.

Voilà ce qui semble avoir inspiré Jean Echenoz : le goût et le sens de l’effort, mais surtout le mystère : qui "la locomotive tchèque" essayait-elle de dépasser ? Elle-même ou la part de Zatopek prise dans l’étau du régime de l’époque ?

Vous le découvrirez (peut-être) en lisant COURIR de Jean Echenoz les Éditions de minuit 2008

 

Le monde rassurant du football

"Pendant que nous regardons un match de football, pendant ce temps si particulier qui s'écoule alors que nous sommes au stade ou devant notre téléviseur, nous évoluons dans un monde abstrait et rassurant, le monde abstrait et rassurant du football, nous sommes, le temps que dure la partie, dans un cocon du temps, préservés des blessures du monde extérieur, hors des contingences du réel, de ses douleurs et de ses insatisfactions, où le temps véritable, le temps irrémédiable qui nous entraîne continûment vers la mort, semble engourdi et comme anesthésié."

Ainsi s’expliquerait l’impossibilité chez certaines et certains de détacher leur regard de la « petite lucarne », et, à la mi-temps, cette démarche de somnambule jusqu’au frigo pour s’approvisionner en bière fraîche…

En 2015, Les éditions de Minuit ouvrent la porte au foot : FOOTBALL, DE JEAN-PHILIPPE TOUSSAINT

 

Compétition : ceux qui gagnent et les autres

Qui dit sport dit compète. Et qui dit compète : un gagnant, des perdants.

C’est dans les pages d’un livre que les losers connaissent l’apothéose. Certes les vainqueurs sont attrayants avec leurs immenses sourires pleins de dents, leur joie frôlant la décompensation. Mais les recalés, les derniers de la course, les blessés, les luxés, les tombés, les trébuchants, les patatras…

Tristan Garcia leur rend hommage en 2012, chez Gallimard, collection Blanche. En l'absence de classement final

Un recueil de 30 nouvelles, écrites par un philosophe, et bien loin de la vision triomphante, positive et exaltante du sport, du côté des ratages, des périodes difficiles, des fourvoiements, des fins tristes. Ce n'est pas rose, non. C'est même souvent déprimant, parfois énigmatique mais toujours insolite.

 

La beauté du geste sportif

Gallimard encore. 2018. Deux mètres 10

"J’ai voulu écrire sur la beauté du geste sportif", déclare l’auteur Jean Hatzfeld. Qui nous entraîne dans l’univers sportif, au temps de la guerre froide, sur fond de tension et de déportations vers des contrées infernales d’URSS. Héros cabossés. L’auteur se recentre sur les gestes des champions jusqu’à rendre poétiques les sauts en hauteur, les corps suspendus, délivrés de la pesanteur. Et, en face, les haltérophiles dans la puissance héroïque de leur musculature et de leurs rituels, telles des créatures fabuleuses.

 

"Grande boucle" et autres tours de roues

Et il y a ceux qui mouillent la chemise, ou plus précisément, le maillot en le rêvant rose ou bouton d’or.

"Je pars demain" Eric Fottorino, 2001 Stock

"Du 22 au 28 mai 2001, Eric Fottorino, rédacteur en chef au journal Le Monde, participera à la course du Midi Libre, comme un coureur "normal", au milieu des professionnels : "Si j'ai eu envie de me lancer ce défi un peu fou, c'est d'abord pour me fondre à l'intérieur d'un peloton, au milieu de coureurs de l'an 2001, les suivre autant que mes forces me le permettront, et raconter. Je serai moi-même, avec mes deux jambes et mon organisme de 40 ans, entraîné mais pas dopé, courant avec le même matériel que les professionnels. Ce que je veux, c'est courir, souffrir avec les concurrents, et raconter, avec la distance nécessaire, évitant l'abus de simplification, comprendre plutôt que juger."

 

La liste est longue, très longue, car...

 

Le sport inspire

Mais nous allons clore cet expéditif tour de question en compagnie de Lola Lafon.

C’était une petite fille, un tout petit corps de petite fille, une crevette, "miss crangon-crangon", un petit organisme presque translucide, on croyait voir battre son cœur sous la peau si fine de bébé, un tout petit corps de nerfs, de muscles, et d’os. Un regard halluciné. Les traits du visage d’une vieille presque. Un corps d’enfant dans la souffrance tue. Bref. Nadia.

 

Extrait de "La Petite Communiste qui ne souriait jamais" de Lola Lafon chez Actes Sud

"On cherche, on agence les mots comme ceci, puis non, dans cet ordre-là, on tente de dessiner ses contours. La petite fée communiste. La petite fée communiste qui ne souriait jamais. On raye le mot “adorable” car on l’a utilisé trop de fois déjà depuis quelques jours et pourtant, c’est bien ça : douloureusement adorable, insupportablement trop mignonne."

 

Peut-être était-ce alors la manifestation de l’impuissance de la tête devant le génie du corps.

 

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Je ne crois pas que le sport de haut niveau révèle les profondeurs de l'âme humaine. Au contraire, il offre souvent une échappatoire en axant le mental sur la seule prouesse physique. Pour moi, il révèle plutôt certains traits de caractère indispensables si l'on veut se montrer capable de repousser ses limites et accéder au dépassement de soi.
Merci pour ce billet. Amicalement,
Michèle

Publié le 03 Août 2024