Je viens de finir de lire "le Passeur" de Lois Lowry, roman que le prof de français de ma fille, en 3ème, a demandé à la classe de lire. Je gage que j’ai fini avant toute la classe, voire que je suis la seule, à cette heure, à l’avoir lu (fayote que je suis).
La couverture, sombre, m’avait attiré l’œil, et le titre aussi, "Le passeur". Trois personnages comme des ombres aux contours verdâtres, un adulte, un ado et un petit enfant portant une pomme, sur un fond noir strié de flocons de neige.
Bien sûr, ma fille a décrété que c’était la tasse, de lire un tel truc, elle qui n’en a que pour la romance. Taratatata, je peux vous dire qu’elle va le lire, cette quiche, et pas que pour une histoire de note, oups de compétence acquise.
Car quelle incroyable histoire, quel talent, Mrs Lowry ! Et quelle profondeur aussi. J’y songe depuis des jours que je l’ai refermé...
Je suppose qu’il peut être rapproché du "Meilleur des mondes", d’Aldous Huxley, en sa version ado. Sur la 4ème de couverture, il y a d’ailleurs écrit "Voir au-delà d’un monde parfait".
Il s’agit donc d’une dystopie, dont les caractéristiques nous sont peu à peu révélées. Société de l’Identique, ses membres ne distinguent pas les couleurs, les adultes prennent une pilule qui tue toute stimulation qu’elle soit d’ordre sexuelle ou émotionnelle, ils reçoivent leurs enfants à l’âge d’un an, d’abord un garçon, puis une fille (ou vice-versa), enfants qui ont été portés par des mères porteuses effectuant ce métier (car cela en est un) trois années durant avant que d’être chargées de tâches ingrates et pénibles.
Les enfants ont des âges "catégorie", les quatre-ans, les dix-ans, etc. Quand ils deviennent des douze-ans, lors d’une cérémonie, on leur attribue un travail, qui va faire l’objet d’une formation. On les a bien observés, au cours des stages de bénévolat qu’ils effectuaient à partir de 8 ans, et on pense que oui, tel métier serait le mieux pour tel enfant, ou tel autre... (il y a ma foi un côté bien pratique pour qui galère avec l’avenir pro de sa chère progéniture).
Jonas, un douze-ans, que l’on suit depuis le début et qui est le personnage central de l’histoire, est désigné pour devenir Dépositaire de la mémoire. Il suit une formation avec le dépositaire qui va partir en retraite. Ce dernier, appelé également le Passeur, va lui transmettre ainsi la masse de tous ses souvenirs, qu’il a lui-même hérités d’un autre.
Souvenirs parfois doux, enivrants, comme cette découverte que fait Jonas de la neige et du fait de glisser en luge dessus. Car ce qui n’existe plus dans la communauté actuelle, la neige par exemple, n’existe plus du tout puisque nul ne s’en souvient, hormis le Passeur.
Mais ces souvenirs transmis vont devenir de plus en plus douloureux, au sens physique même du terme (Jonas expérimente la douleur d’une fracture du tibia). Ils se font perturbants, angoissants, terrifiants même comme lorsque le jeune garçon se retrouve à errer sur un champ de bataille.
"Jonas ne voulait plus y retourner. Il ne voulait plus des souvenirs, il ne voulait plus de l’honneur, il ne voulait plus de la sagesse, il ne voulait plus de la souffrance. Il voulait son enfance, ses genoux écorchés et son ballon".
Être dépositaire des souvenirs évite au reste de la communauté d’avoir à souffrir de se souvenir. De même que la neige, la guerre, la faim, la torture n’existent plus puisque nul ne s’en souvient, hormis le Dépositaire.
Les habitants de la communauté ont ainsi droit à une vie paisible : "c’est une vie sans couleur, sans douleur, sans passé". Ils vivent sans mémoire, soumis au règne de l’Identique et de règles régimentant tout, jusqu’à leur façon de s’exprimer : enfant, Jonas s’est fait tancer en utilisant le terme, je suis mort de faim, évidemment inapproprié puisqu’il ne mourrait pas de faim.
Sans souvenirs, les habitants sont aussi privés de savoirs, d’émotions, ils sont comme dépouillés de leur humanité et il semble bien que malgré cette immense bienveillance qui dégouline entre tous, il n’y ait pas vraiment d’amour dans leurs foyers.
Les couples, d’ailleurs, s’aiment juste parce qu’ils vont bien ensemble (euh ok, c’est un peu le cas dans notre monde), ils ne se sont pas rencontrés, non, ils ont été justement assortis grâce au travail minutieux d’observation d’experts. Certains restent seuls, faute de chaussure adéquate à leur pied sans doute (et je peux vous dire que ce n’est pas facile pour eux qu’on a clairement jugés inaptes à la vie à deux).
Jonas, au fil de sa formation, va perdre plus que son innocence, le sens même de sa vie lorsqu’il en arrive à apprendre ce que signifie, exactement, le sens du mot "élargir" quelqu’un, terme qui revient régulièrement au cours du récit.
On élargit les vieux lorsque jugés trop vieux, après une petite cérémonie joyeuse, façon pot de départ à la retraite. On élargit les repris de justice s’ils récidivent une troisième fois (mais là, pas de cérémonie).
Bien sûr, je ne vous raconterai pas la chute, ce n’est pas mon genre héhé.
Juste que Jonas, et le Passeur, Jonas lui-même étant appelé à devenir passeur avant l’âge, vont sauver cette communauté de sa déshumanisation car oui, sans émotion, sans souvenir, ces humains-là n’en étaient plus vraiment.
Savoir aimer, savoir ressentir, c’est donc aussi savoir se souvenir. Se souvenir des faits du passé pour nouer des liens, pour faire sens, pour décider, pour être libre mais pas forcément heureux, certes.
Notre monde, plus qu’imparfait, n’est-il pas le meilleur (hélas) puisqu’il est complexe et unique à notre image ?
Je vous laisse méditer à tout cela en vous souhaitant une bonne lecture (à vous ou à vos ados).
Cet article a été écrit par un auteur monBestSeller.
Les articles sont une des manières les plus efficaces de faire connaître ses livres, son style, sa personnalité d’auteur. Une des meilleures invitations à la lecture.
Vous aussi, publiez un article en lien avec vos thèmes d’écriture et prenez contact avec mbs@monbestseller.com
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Marie Chotek
Ne le dites pas à votre fille, mais le livre a été adapté. J'ai reconnu l'histoire du film que j'ai vu avec mes enfants il y a quelques semaines : The Giver...
Je l'ai trouvé intéressant également...
Gwenn
Dystopie ! Elle est à nos portes ...
J'ai noté le titre et le nom de l'auteur car je ne l'ai pas encore lu. Cela dit, je pense que le monde est construit, détruit, organisé par une minorité qui détient le pouvoir et les masses subissent. On leur fait croire qu'elles ont un pouvoir de décision : le conditionnement opérant présenté par l'auteur américain BF Skinner est une théorie selon laquelle les masses sont asservies en gardant l'illusion d'être libres. @Sylvie de Tauriac
Il existe, bien sûr, des dystopies heureuses : celles écrites pour les masochistes...
@Michel LAURENT
Je vous rappelle, cher et aimable monsieur, que c'est vous qui êtes venu me chercher, alors qu'on ne vous demandait rien. Salut.
@Phillechat 3
Carrément ! Curieuse de découvrir vos 6 Histoires.
@Michel LAURENT
J'ai eu l'idée d'aller voir vos scores sur la liste de bouquins postés sur mBS. Hormis "Miroirs de nos passions" (mais est-ce un accident de parcours ?), c'est carrément une catastrophe. Je comprends que mon succès (relatif) vous rende complètement cinglé...
@MICHEL LAURENT
Je crains fort qu'il n'y ait que vous pour vous comprendre, et encore. Bref, lamentable et complètement incohérent. Bien que, pensant à vous, ce soit un autre mot qui me vient immédiatement à l'esprit, mais je ne veux pas contrarier encore M. Monbestseller, très attaché à la courtoisie des échanges.
@MICHEL LAURENT
"Le sot nomme pédant celui qui, au contraire de lui, ne se contente pas du bout étriqué de son nez."
De qui, cette citation tirée du livre d'un auteur qu'on se doit de connaître ?
@MICHEL LAURENT
Avant toute chose, je tiens à vous présenter mes plus plates excuses : je ne savais pas que vous étiez obligé de lire mes "fadaises" (l'emploi de ce mot pour qualifier mes textes suffit à vous discréditer). L'aurais-je su que j'aurais pris le plus grand soin de ne pas y utiliser des mots de plus de deux syllabes qui, je le comprends bien, vous ont gravement déstabilisé. Pour le reste, vos propos sont d'une telle indigence que je ne vois pas bien quel intérêt j'aurais à poursuivre avec vous. Vous savez quoi ? Repassez me voir lorsque vous aurez acquis quelque sensibilité littéraire ou que vous saurez enfin de quoi vous parlez. Merci.
PS : En quoi mes pseudonymes vous gênent-ils ? C'est drôle comme, lorsqu'on n'a rien à dire, on patauge aussi gaiement dans le grand n'importe quoi.
PPS : Rien à dire sur votre "impromptu" ?...
PPPS : Vous ne devriez pas essayer de faire de l'humour ; ça vous brouille le teint.
@Annie Pic
Pour répondre à votre question, reportez-vous au "Meilleur des mondes". Mais le père Laurent va encore me taxer de pédanterie impromptue, voire anaphylactique...
Si dès l'enfance, nos propres facultés étaient modifiées au profit d'une société conforme à la robotisation de l'Être, que deviendrait la liberté de chacun ?
Dans une dystopie, les manipulations de l'esprit, poussant jusqu'à l'obscurantisme, posent le problème de la survie de l'homme.
Quel que soit le thème, il n'y a pas de dystopies heureuses. Seules les fictions utopiques peuvent décrire un monde idéal.
En conclusion, nous sommes des imparfaits, tels nous naissons, tels nous devons faire l'apprentissage de la vie.
@MICHEL LAURENT
Décidément, vous ne vous remettrez jamais du fait que j'aie eu l'audace de porter un regard critique sur l'une de vos productions (je crois me rappeler qu'il s'agissait d'une maigre collection de pastiches, où vous démontriez que vous n'aviez rien saisi - ou si peu que rien - de l'originalité du style des écrivains que vous tentiez vainement de parodier). Cela dit, je remarque, puisque vous ne l'avez pas fait vous-même, que les exemples d'oxymores que vous citez proviennent tous de grands noms de la littérature, qu'ils sont unanimement recensés dans la liste des procédés littéraire et qu'ils sont, de ce fait, parfaitement recevables. Or, je ne pense pas que Mme Chotek ait eu l'intention de faire œuvre de poète en rédigeant sa rubrique, et, malheureusement pour elle, ce qui est un effet de style dans le domaine littéraire n'est qu'une faute dans un texte, disons, documentaire. Bref, à mon sens, vous auriez bien mieux fait de vous taire, mais votre rancune envers moi est telle que vous ne pouvez vous empêchez de l'ouvrir, surtout à tort et à travers. Je ne vous en veux en aucune façon. Votre fiel vous empoisonne vous-même ; quant à moi, ce n'est rien de dire qu'il m'indiffère.
PS : Peut-être feriez-vous bien de vous pencher sur le dictionnaire : même entre guillemets, votre "impromptu" est une connerie de belle ampleur...
PPS : Essayez "Ruiz" plutôt que "Luis"...
Pour ma part, j’ai découvert "La petite fille de Monsieur Linh" de Philippe Claudel grâce aux recommandations de lectures faites à mon ado, et ce livre m’a profondément touchée. Il a remué des histoires et des sujets que personne n’osait aborder à la maison, notamment sur l’exil et la douleur de l’arrachement à ses racines. Cela a ouvert un vrai dialogue entre nous, et nous a permis de mettre des mots sur des expériences familiales trop longtemps tues. Merci pour cet article, qui montre à quel point la littérature peut réveiller des souvenirs et déclencher des discussions essentielles.
@Lydia KARVINE
La suite de la trilogie est pire : mention horreur absolue pour la mort immortelle !
Je recommande aussi Le Problème à trois corps de Liu Cixin. Un monde crédible, richement construit et flippant. Comme toute dystopie qui se respecte.
Bonjour! Qui connait encore Francis Carsac, qui fut prof à Bordeaux et ancêtre des formes de SF dès les années trente ? Ses ouvrages se lisent encore bien. J'ai tout acquis en occasion, et je recommande : Terre en fuite / Pour patrie l'espace; mais tout est bien.
Faut-il ici rappeler l'étymologie de dystopie ? Parler de dystopie heureuse est donc un affreux oxymore.
Un excellent roman que je vous recommande, et pas seulement pour les adolescents !
C'est tout l'intérêt des dystopies : nous faire réfléchir sur notre vie. J'ai essayé de le faire dans mes 6 Histoires.