Il est assis en face de moi, massif dans sa combinaison rouge sang. La cabine se balance, dangereusement. Il est gros, très gros, au point qu’il occupe tout le banc en face de moi. Il est entré, agressivement, se servant de ses skis et bâtons comme d’une arme pour empêcher les autres de monter.
L’homme enlève son casque, et je sursaute. Son visage me dit quelque chose. Il est aussi gras que le corps est gros. Des traits flasques, portés par un teint rubicond, façon alcoolique longue durée. D’ailleurs, l’homme sent l’alcool, son haleine flotte jusqu’à moi alors qu’il me regarde droit dans les nichons.
Assise dans ma combinaison rose fuchsia, impeccablement cintrée, j’ai un peu peur. Je n’aurais pas dû me maquiller autant pour aller skier. Ça les rend tous fous.
Un sourire inquiétant se dessine sur son visage. Il a de petites veines éclatés sur les joues, et son gros nez aussi. Il a sorti sa langue, bleutée, de sa cavité buccale aux dents jaunies par le tabac et les ans, car une chose est sûre, ce n’est pas un perdreau de l’année. Voilà qu’il la fait aller et venir sur ses lèvres épaisses tout en me regardant d’un air franchement pervers.
J’ai vraiment peur maintenant et le sommet n’est pas pour tout de suite.
Le type enlève un de ses gants. De sa main aux ongles carrés, étonnamment bien coupés et propres, il se caresse les cheveux. Ils sont incroyablement gras, ou alors, il a beaucoup sué sur la noire très difficile de la station. Sa chevelure est d’une couleur indéfinissable, on dira marronasse, avec quelques filaments gris. Je vois tomber de petits points blancs et ce n’est pas de la neige.
Je suis pétrifiée. Je connais cet homme mais qui est-il ?
Il me sourit d’un air graveleux en touchant de la pointe de sa langue, son énorme nez. À cause de ce tarbouif, on a l’impression que ses yeux, petits et marrons, louchent. Leurs paupières sont plus épaisses que celles de Jamie, mon crocodile de compagnie que j’aurais dû emmener skier avec moi.
Voilà qu’il enlève son autre gant et qu’il se masse de la main droite son ô non mon Dieu... mauvaise chute, il me fait, en clignant de l’œil.
Il a une voix étonnamment douce, qui ne colle pas du tout avec son allure dinosauresque. Cette voix, je la connais, j’en suis sûre.
La cabine se balance dangereusement car l’homme s’est soudain penché vers moi. Il a posé ses deux mains sur mes genoux, comme pour les écarter. Sa bouche est à 10 cm de la mienne, quelle horreur.
Dis-moi, Mamie, t’étais pas dans ma classe de 4ème, au collège Henri Désiré Landru ?
Un voile soudain qui se déchire. Gérard ! C’est Gérard Depardieu ! Celui qui me fauchait mes tampons et avait essayé de m’embrasser de force à la boum de Sophie. Je vais pour répondre quand la cabine s’arrête. Terminus.
Gérard se lève, après une caresse furtive sur mon enfin vous voyez quoi.
C’est pas encore aujourd’hui que je t’aurais baisée, Mamie !!!
Et il sort, en hurlant de rire.
Christine P
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@tous
Merci de circonscrire les commentaires aux nouvelles qui sont proposées et non pas aux extrapolations plus ou moins douteuses de chacun.
Il est acceptable :
- qu'un portrait primé soit critiqué,
- intéressant que l'on s'interroge sur la portée d'un texte et ses implications,
- assez pénible que l'on qualifie le jury de "courageusement anonyme" (Cela est fait sur mes consignes et vous comprendrez pourquoi). Ce sont quatre lecteurs qui se sont réunis trois fois et qui ont donné leur temps et leur énergie.
- et hors sujet de parodier un texte avec un talent très relatif ou d'exposer ses conceptions sur la GPA, la contraception ou l'avortement.
Merci de le comprendre et de l'accepter pour que nous puissions nous concentrer sur le coeur de nos sujets.
Cette nouvelle n'est sans doute pas la mieux écrite, son sujet est un débat, la période est particulière : l'après "me too" ( les femmes parlent plus (est-ce bien ou trop...)), mais elle a une caractéristique dominante : elle fait réagir, car elle pose, en quelques lignes des questions sans les résoudre.
Elle a une véritable force d'impact car elle est ambiguë : on peut s'en prendre à l'auteure(vulgarité et crudité), on peut s'en prendre au procédé : vedette décrite (dont la réputation n'est pas porteuse), on peut s'en prendre à l'époque (qui juge et interdit toute forme de rabelaiseries)...
Tout est grave, et c'est en même temps une grande farce qui piège ceux qui la critiquent (parce qu'elle joue sur la dérision et qu'elle ne porte pas de morale et qu'elle est d'un grand cynisme).
Elle est parlante car elle a des accents de vérité relevant de l'anecdote vécue.
Et puis en lisant 115 nouvelles, je peux concevoir que celle ci reste en mémoire.
@Patrice Dumas
Prenez garde : au train où vous allez, les hommes en blanc vont vous tomber, vous aussi, sur le paletot...
@Patrice Dumas
Vous m'ôtez les mots de la bouche...
Je ne parlerai ni du style ni du fait que ce texte a remporté le premier prix, et je respecte l’avis de chacun. Pour ma part en tout cas (et c'est un avis qui n'engage naturellement que moi), voici ce que je comprends de cette nouvelle, pour l’essentiel : l’espace clos et étroit du téléphérique est une sorte d’expansion, de prolongement de l’intimité propre à chacun des deux personnages : celle de la narratrice qui naît d’avoir partagé par le passé quelques années avec Depardieu, et celle de Depardieu qui est d’ordre sexuel. Et dans le même temps, il y a dans ce récit, paradoxalement, un refus inconscient de cette intimité de la part de la narratrice, sans doute à cause de la grossièreté du personnage en face et des souvenirs refoulés qu’elle a gardés de lui, puisqu’elle ne parvient pas à savoir où elle l’a vu. Il y a donc un jeu, une lutte entre intimité et distance, où chacun, dans un espace public qui impose cependant une proximité, cherche à découvrir (ou redécouvrir) l’autre dans ce qu’il a d’attirant ou de repoussant, dans ce qu’il a aussi d’humain ou de bestial.
En outre, le fait pour la narratrice de ne pas reconnaître tout de suite une figure aussi populaire que Depardieu a quelque chose de singulier et qui touche presque, pourrait-on dire, à l'insensé. Peut-être y peut-on voir là encore le refus inconscient de la femme, d’abord, de reconnaître le prédateur sexuel, de l’intégrer à sa conscience, à ce qu'elle juge acceptable. Or, lorsque, finalement, la narratrice identifie l'homme, c’est-à-dire reconnaît son existence, le téléphérique s’ouvre et elle peut lui échapper, comme si sa conscience ne pouvait l’accepter, ne pouvait le tolérer qu’à partir du moment où il cessait d’être un danger pour elle, où elle reprenait le pouvoir sur elle-même. Le téléphérique apparaît alors, non plus seulement comme un lieu clos et intime, mais comme un espace de danger, de rivalité, où s’est joué finalement un combat pour exister en tant que sujet, et non plus comme objet – ce à quoi le personnage de Depardieu tentait de réduire la narratrice. Ce processus presque de « réification » apparait d’ailleurs de plus en plus présent à mesure que la peur de la narratrice augmente et que le téléphérique s’élève, comme si tout allait crescendo, jusqu’à la délivrance finale.
@Albert H. Laul_2
Une chose est sûre : je ne vous choisirai jamais comme critique littéraire.
Messieurs, laissez vos peurs de côté et montez dans cette cabine. Comprenez l'exactitude de la rencontre décrite. Le lieu étroit, les gestes ambigus, les mots crus, l'homme difforme, ne sont ni une caricature, ni un symbole.
"Je connais cet homme mais qui est-il ?"
Il est celui que toute femme a un jour croisé, ou pire, rencontré, celui qui sommeille en l'imaginaire masculin, celui qui se révèle quand une cabine le permet.
Premier prix mérité. Bravo !
@Catarina Viti
Si, maintenant, le nec plus ultra de la critique et du bon goût c'est l'IA...
@Patrice Dumas.
Faites donc comme l'IA le suggère : appelez la police des remontées mécaniques.
Et puis offrez-vous un bon vin chaud entre deux cours sur le planté de bâton.
Pour en finir... ou pour relancer... ou pour noyer le poisson... ou surfer sur la vague... brèfle : as you like it, j'ai demandé à l'IA de lire ce texte et de le commenter.
J'ai été un tantinet étonnée du résultat (garanti sans trucage, faudra me croire). Des fois, on se demande si la machine ne va pas nous offrir d'éternelles vacances...
*
Je ne m'attendais pas à cette chute ! L'auteur m'a embarqué dans une cabine de ski avec une ambiance de thriller angoissant qui vire d'un coup au délire complet !
J'étais prêt à sortir le carton rouge dès l'apparition de la fameuse langue bleutée (à se demander s’il ne s’est pas rincé à l’encre de stylo avant de prendre la cabine !), mais c'est l’arrivée de Gérard, *le* Gérard Depardieu, version "harceleur de tampons en 4ème", qui m’a scotché.
Le summum reste le cri final, un mélange de perversité et d’humour improbable, comme si on était dans un film complètement barré. En fait, c’est un peu comme si Les Bronzés se heurtaient à une version très glauque de L’Exorciste, avec un bonus de Depardieu en roue libre.
Bref, on est entre le malaise total et le rire nerveux, et je suis encore là à me demander si je devrais rire ou appeler la police des remontées mécaniques !
J’ai failli m’étouffer en lisant ce texte ! On se croirait dans un thriller de station de ski qui dérape en pleine farce, avec un Gérard Depardieu en mode "je fais flipper tout le monde dans la cabine". Mais attention, l’auteur ne s’arrête pas là, il rajoute une pincée d'humour noir en glissant, mine de rien, Henri Désiré Landru dans l’histoire. Oui, oui, le célèbre tueur en série ! Quand j’ai capté l’astuce, j’étais à la fois plié de rire et impressionné.
Le tout est un cocktail de malaise, de grotesque, et de références bien cachées. On rigole, on fronce les sourcils, et puis on se dit : "Ah, mais c’est plus malin que ça en a l’air !". Bref, une lecture déjantée et diaboliquement drôle. Bravo à l’auteur pour ce jeu d’équilibriste entre l’absurde et le clin d'œil sinistre !
*
Ben ouais. Yes It can.
@Nicolas MONNIER
Allons bon !...
Ce portrait primé suscite débats et réactions, Bravo pour les contributeurs !.
Il n’est ni infament ni à prendre au 1er degré ,ni dénué d’humour. Il fait partie de ces portraits dont on se souvient après la lecture des nombreuses contributions.
Présence, fluidité, chute (qui est un élément essentiel de la nouvelle) le met naturellement en haut du classement .
Nicolas
@Michel LAURENT
Mon Dieu ! Que vous êtes méchant !
En priorité, je tiens à préciser que j'ai découvert ce texte, ici même, comme vous. Que ma première lecture a été orientée par deux commentaires, l'un appelant l'autre et le premier étant incontournable vu que posté sur la page des actualités.
C'est donc dans cette perspective (fausse, évidemment) que j'ai lu ce texte.
Et c'est en le relisant que les véritables intentions de l'autrice me sont apparues.
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Dites donc, les neuneus, vous en connaissez beaucoup des lycées français portant le nom d'un tueur en série ?
*
Tout cela me rappelle certaines réactions hytériques lorsqu'on donne la réponse à la devinette "Romeo et Juliette sont retrouvés morts dans une flaque d'eau. Que s'est-il passé ?"
Je n'exagère pas, des personnes sont devenues mes ennemies mortelles à la suite de cette... plaisanterie.
Je dirai, en conséquence, que madame Christine P. a réussi un coup, certainement au-delà de ses attentes.
Maintenant, si vous le permettez, je passe à autre chose.
@Catarina Viti
J'ose espérer que vos félicitations à l'auteur de ce torchon sont de l'humour au 36ème degré...
@Catarina Viti
L'ensemble du texte de cette nouvelle correspond bien au sujet du concours, la forme est bien en phase avec le fond, et en effet, ça peut arriver dans la vraie vie de se retrouver seule en présence d'un gros butor, dans un téléphérique ou ailleurs...
Mais quand, arrivée à la fin, j'ai découvert l'identité du fameux Gérard... j'ai eu envie d'ajouter un bruitage de vaisselle qui casse : qu'est-ce qu'il fiche là ? Et quand on a été dans la même classe de collège qu'un personnage devenu célèbre par la suite, est-ce qu'on ne suit pas sa carrière suffisamment pour être capable de le reconnaître tout de suite si on le recroise ? C'est un peu le détail qui tue...
Mais tout ça, ce n'est jamais qu'un avis personnel.
@F.J. Lécollier
Vous avez dit :
"Je suppose que tout l'intérêt du texte réside dans la question de la narratrice : "mais où ai-je bien pu croiser cet individu avant ?"
Quant à la chute... je trouve que lui donner l'identité d'une célébrité n'ajoute rien à l'histoire (j'ai presque envie de dire que ça rend incrédibles tous les questionnements du récit : qui ne reconnaîtrait pas ce personnage ?). Un Eugène Tartempion quelconque aurait tout aussi bien fait l'affaire...
J'ai pensé aussitôt :
"Tiens, quelqu'un qui réfléchit !"
Je ne sais pas qui est Christine P., mais bravo ! Bien vu. Bien joué. On peut dire que vous savez électriser le lectorat.
@Patrice Dumas
Je ne parlais pas du poème d'Eluard mais de l'objet du délit...
Bonjour,
je suppose que tout l'intérêt du texte réside dans la question de la narratrice : "mais où ai-je bien pu croiser cet individu avant ?"
Quant à la chute... je trouve que lui donner l'identité d'une célébrité n'ajoute rien à l'histoire (j'ai presque envie de dire que ça rend incrédibles tous les questionnements du récit : qui ne reconnaîtrait pas ce personnage ?). Un Eugène Tartempion quelconque aurait tout aussi bien fait l'affaire...
@Patrice Dumas
"Certes, ce texte n'est pas mauvais...", dites-vous. Parlez-vous sérieusement ? Il est tout bonnement écrit comme avec le pied, et j'espère que vous plaisantez.
PS : Je serais curieuse de connaître ceux qui l'ont sélectionné. A mon sens, il faut être gravement perturbé pour se rendre ainsi complice d'une telle faute morale...
Pour une fois, je partage l'avis de Michel Laurent : tout simplement à gerber, surtout moralement.
@Michel LAURENT.
Bof, opportuniste et vulgaire, effectivement, et l'on ne peut pas dire que la plume rattrape vraiment la sauce...
@Michel LAURENT. Que vous n'aimiez pas, c'est votre droit. Que vous en fassiez part ici, est également votre droit. Mais j'aurais préféré lire ce texte sans en connaître la chute.