Auteur
Le 24 fév 2025

L'attente

Traquer un individu dans une foule, observer chacun de ses gestes, de ses mouvements. Discerner ses rictus, ses espoirs d'un instant, une ombre sur son visage. C'est la nouvelle de Muriel Favaretto : faire un personnage à partir de tout petits riens qui le construisent. Un brillant exercice de style pour la concours de nouvelles monBestSeller : rencontre fortuite
Je jette un dernier regard au couple qui s’embrasse. Je souris. Elle est rassurée, l’être aimé est là.Je jette un dernier regard au couple qui s’embrasse. Je souris. Elle est rassurée, l’être aimé est là.

Un hall de gare. Des voyageurs en attente d’un départ, d’une arrivée.
On peut lire de l’impatience, de l’excitation. Ils ont le regard rivé sur le tableau d’arrivées, des départs. Certains ont des bagages, d’autres pas.
Certains sont statiques, d’autres font les cent pas dans le hall. Une voie inconnue informe les voyageurs. Sa voie est claire, distincte. Elle annonce l’arrivée ou le départ d’un train. Une destination.

Je suis là, avec mon envie d’en prendre un. Je regarde les voyageurs. Avant d’arriver dans le hall de la gare, ils ont pris la décision de partir. De rejoindre l’être aimé, un rendez vous professionnel, un voyage solitaire. De vacances. Une envie de s’éloigner d’un quotidien.

Un train est annoncé. La voie demande aux voyageurs de s’éloigner du bord du quai. Le train s’arrête. Des voyageurs descendent. Ils sont pressés, ils arrivent dans le hall. Il y a des regards qui ne trompent pas. Ils cherchent dans la foule, un regard, le visage d’une présence. Les visages sont fermés, ils s’illuminent à la vue de la personne venu l’attendre. Certains continuent de chercher dans la foule la personne tant attendue.

  Ils posent  leurs bagages sur le sol. Ils ont en main leurs téléphones. Ils attendent un message qui ne vient pas. Le hall de la gare se vide. Il y a cette femme qui s’installe sur un banc. Je peux la voir. Déçue.

C’est une femme d’environ vingt cinq-trente ans. Ses traits sont réguliers, sa coiffure est entremêlée. Je me pose des questions. Je regarde ses mains, elle n’a pas d’alliance.
Ses doigts sont longs et fins. Une silhouette longiligne. Un léger maquillage recouvre son visage. Elle sort de son sac un miroir. Elle soupire en voyant son maquillage défait. J’en déduis qu’elle attend un homme. Elle sort de son sac à main un rouge à lèvre, elle l’applique sur ses lèvres. Elle réajuste sa coiffure en passant les doigts dans ses cheveux. Le temps s’écoule. Le hall de gare se remplit à nouveau. Elle envoie des messages, regarde l’heure. Le train est arrivé depuis une dizaine de minutes, elle attend. Elle doit se demander ce qu’elle doit faire. Partir ? Rester ? Cette personne a du retard. Elle reçoit un appel. Elle décroche. Je peux lire sur son visage qu’elle est en colère. Elle se domine, elle engage la conversation.
Elle n’est pas vraiment dans sa communication, elle regarde autour d’elle. La personne qu’elle attend, n’est pas la personne qu’elle a au téléphone. Elle raccroche, elle se lève, elle marche en direction d’une boutique, elle regarde la vitrine. Elle décide de se mettre dans la file, elle attend son tour. Elle commande un café, une viennoiserie, elle paie. Elle quitte la file pour rejoindre un banc. Elle a changé de place, je me tourne vers elle. Elle boit son café à petite gorgée, elle le pose à côté d’elle, elle mord dans son croissant. Elle ne sourit pas. L’heure tourne, elle est toujours dans l’attente de cette personne.
A son tour, je la vois qui observe la foule. Pas pour trouver la personne tant attendue. Un homme s’installe au piano, des notes de musique s’élèvent, des gens se regroupent autour de ce piano. Un couple danse, d’autres tapent dans les mains. Elle se lève, elle rejoint le groupe. Son visage s’illumine. A-t’elle vu la personne ? Non, elle se mêle au groupe. Elle balance son corps au rythme de la musique en frappant dans ses mains. Elle oublie pourquoi elle est venue, l’attente, elle est dans la musique. Elle sourit. Un homme la prend par la taille, elle se laisse faire, ils dansent. Ils échangent quelques paroles, leurs regards se croisent.

La voix annonce un prochain départ, la musique s’arrête, les voyageurs se dispersent. Le pianiste s’éloigne. La femme s’arrête, l’homme lui dit quelques paroles, il lui tend une carte de visite, il dépose sur sa joue un baiser, il s’éloigne. Elle se retrouve seule. Elle regarde autour d’elle.  Elle reprend sa valise, son visage est triste. Elle se dirige vers un autre point. Sa tête est baissée, elle ne regarde plus ce qui l’entoure. Est-elle découragée ? Elle s’assoit. Elle regarde son téléphone, aucun message. Elle soupire.

 Elle est arrivée, il y a une bonne demi-heure. Elle ne sait pas ce qu’elle veut faire. Reprendre un train, rester à l’attendre ? Un couple s’installe à ses côtés, ils ignorent  la femme. Elle les regarde avec envie. Elle sursaute, elle ouvre son téléphone, en lisant le message, elle sourit. Elle répond. Un homme l’interpelle, elle le regarde, elle lui dit quelque chose, il s’éloigne. Elle le regarde quelque instant, elle retourne dans ses pensées les plus sombres. Elle s’impatiente. Je peux sentir son désir de faire une réservation. Retourner vers son point de départ. Son impatience s’agrandit. Elle s’agite. Le hall de gare se vide et se remplit au fur et à mesure qu’un train arrive, part.

Une heure vient de s’écouler. Une femme s’installe au piano, un air de jazz résonne sans la gare. Elle se lève, la rejoint. Elle se pose sur le côté du piano, elle colle son corps contre. Elle ressent les vibrations, elle sourit à la pianiste. Elle ferme les yeux, la musique envahit son corps. Elle vit la musique. Elle sera encore frustrée, la femme s’arrête, Elles échangent quelques paroles, la pianiste se penche pour prendre sa valise. Elle s’éloigne. La femme regarde avec regret les touches. Elle a des regrets. Elle soupire, elle retourne à une place, s’assoit. Elle retourne dans son attente.

Le couple est parti. Un homme d’un certain âge s’installe à ses côtés. L’homme a déplié un journal. Il le repousse. Il n’a pas envie de le lire. Il regarde sa voisine, il lui parle, il lui tend la main, elle la prend. Ils commencent à dialoguer. L’homme est volubile, il a des gestes. Elle sourit. Elle lui parle. Elle devient triste lorsque pour lui, son train est annoncé. Il se lève, il la salue, il s’en va. Elle le regarde s’éloigner en souriant. Je peux voir son sourie s’effacer. Elle replonge dans sa solitude, sa tristesse, dans l’attente.
A son tour de faire attention à ce qui se passe autour d’elle. Elle regarde ce piano avec envie. Elle espère qu’un autre voyageur viendra avec un peu d’avance, il se mettra au piano, il jouera. Je la vois sortir des écouteurs qu’elle connecte à son téléphone, elle doit mettre de la musique. Elle s’isole des bruits.
Comme dans toute les gares, ce va et vient continu. Il n’y a pas un instant de répit. Elle observe la foule.  Elle peut observer des couples qui se séparent, ils s’embrassent comme s’ils n’allaient pas se revoir. D’autres sont seuls, ils sont stressés. Des enfants courent, leurs parents essaient de les maintenir prés d’eux. Je n’attends personne. J’observe. La femme s’ennuie. Elle soupire de plus en plus. Elle trouve le temps long. Peut-être qu’elle s’est donné une limite ? Elle resserre les pans de son blouson, le vent s’engouffre dans le hall, soulève ses longs cheveux. Je me demande qu’elle est son genre musical, elle a dansé sur une musique classique, s’est collée contre un piano sur un air de jazz, je la vois fermer les yeux, se balancer de gauche à droite, des larmes coulent sur ses joues, elle les essuie d’un revers de la main. Elle sort son miroir, elle se regarde. Avec un mouchoir en papier, elle rectifie son maquillage. Elle range le tout dans son sac. Elle se lève, elle se dirige vers la boutique, elle a faim. Elle se glisse dans la file, elle attend son tour. Elle commande un café, elle prend un sandwich. Une fois qu’elle a passé sa carte de paiement, elle se dirige vers son banc. Il est pris. Il y a de la place à mes côtés, elle se dirige vers moi. Je retiens mon souffle, Elle me demande.

- La place est disponible ?

- Oui

Elle s’installe à l’opposé. Elle met sa valise devant elle. Elle pose son café, elle commence son sandwich. Elle a toujours ses écouteurs à ses oreilles.
Je ne peux plus voir son visage. Je regarde sa jambe, elle tressaute. Elle est nerveuse. Elle lève la tête, elle  fixe son regard nulle part. Son téléphone est sur ses genoux, elle attend un signe, un message qui ne vient pas. Son téléphone vibre, elle le regarde, je peux voir qu’il se décharge. Elle pose son sandwich sur sa valise, elle fouille dans son sac, elle en sort un chargeur. Elle doit couper la musique. Elle ne peut pas tomber en panne de téléphone. Elle est de nouveau plongée dans le bruit de la foule, des cris d’enfants, des hauts parleurs. Elle doit regretter son ancien téléphone, il y avait une prise jack, elle pouvait recharger son téléphone en écoutant de la musique. Elle termine son sandwich. Elle se lève, elle jette ses papiers dans une poubelle, elle se dirigea vers le kiosque à journaux.
De loin, je peux la voir prendre un magazine, l’ouvrir, le feuilleter, le reposer, en prendre un autre.  Elle s’arrête au rayon friandises, elle doit être gourmande. Elle prend  plusieurs barres chocolatées, un magazine au hasard, elle paie. Elle quitte  la boutique,  se retrouve dans le hall. Un couple arrive, il est gai. Le couple échange, l’homme s’installe au piano. Elle garde ses distances, elle écoute la musique langoureuse, elle semble triste. Elle reste là jusqu’au départ du couple. Elle prend sa valise, marche sans but. Elle ne sait pas quoi faire. Prendre une nouvelle réservation ? Attendre encore ? Elle regarde la borne qui peut le cas échéant lui offrir son retour. Elle est déçue. Un petit copain, une famille, son amant, l’ont-ils oubliée ? Un empêchement de dernière minute ? Aujourd’hui, tous ont un téléphone, un message pour l’aider à patienter. La femme remarque, qu’il y avait toujours une place à mes côtés, elle revient.  Elle s’installe. Elle se tourne vers moi, elle me dit

-Vous aussi,  vous attendez qu’on vienne vous chercher ?
-Bonjour, non, je fais une étude sur les départs, des arrivées !
-Vous étudiez quoi ?
-Le comportement des gens en fonction qu’ils arrivent, ou qu’ils partent.
-Je vous ai remarqué, vous m’observez !
-Je pensais être discrète ! Je vous vois attendre, parfois j’ai l’impression que vous hésitez à changer votre réservation de retour !
-Je n’ai pas pris de retour, j’ignore combien de temps que je vais rester !
-Un petit ami qui a changé d’avis ? Votre attente dure depuis plus d’une heure ! Je n’aurais pas été aussi patiente que vous l’êtes !
-Vous l’êtes ! Rester assis depuis aussi longtemps que moi ! A notre différence, vous pouvez partir ou bon vous semble ! Vous êtes ici chez vous !
-Vous pourriez le rejoindre chez lui ?
-C’est la première fois que je viens dans cette ville ! Je ne sais pas ou il vit ! Je me suis donnée encore une heure, je pense que j’ai suffisamment attendu ! J’aime la ponctualité ! Je me pose des questions sur notre devenir ! Nous devons nous fiancer ce soir ! Je me demande, puisqu’il a un gros retard, s’il n’a pas changé d’avis. Je ne voudrais pas qu’il arrive en retard le jour de notre mariage !
-Il peut y avoir plein de raison à son retard !
-Il est venu me voir il y a un mois, nous devions passer deux semaines ensembles, il est partit au bout de quatre jours. Un problème à son boulot, il a interrompu  ses congés. Nous avons organisé ma venue, je m’aperçois aujourd’hui, qu’il s’est montré distant depuis son retour. A-t’il changé d’avis concernant notre couple ? Il ne s’exprime pas !

Une voiture entre dans le parking souterrain de la gare, il quitte  la voiture rapidement, il rejoint le hall de la gare. Il cherche dans la foule ou se mêle les départs, les arrivants sa future fiancée. Il sourit. Il la trouve assise sur un banc, elle discute. Il s’approche, il sourit, elle ne le voit pas.
-Je crois que votre attente se termine ! Je vous souhaite bonne chance !

Je quitte le banc, il est temps pour moi de partir. Je jette un dernier regard au couple qui s’embrasse. Je souris. Elle est rassurée, l’être aimé est là.  

Muriel Favaretto

 

Vous avez un livre dans votre tiroir ?

Publier gratuitement votre livre

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…

Une belle histoire

Publié le 28 Février 2025

Merci pour cette histoire. La gare se prête aux rencontres, des vies se croisent et se séparent. @Sylvie de Tauriac

Publié le 28 Février 2025

@Muriel Favaretto
La gare est le lieu idéal pour les rencontres et les séparations et vous lui donnez vie dans vos descriptions.
L'idée de faire se rencontrer le personnage de cette femme en attente et du narrateur est assez originale et on applaudit à cette fin heureuse après ce long suspens.
Merci pour cette belle histoire

Publié le 27 Février 2025

Que cette histoire est chou. Elle est tellement bien racontée. On espère avec elle jusqu’à la dernière ligne et quand elle le retrouve, j’avais tout près une petite larmichette. Bravo !

Publié le 25 Février 2025