...à l’idée que les gens n’écrivent plus et ne lisent plus !" Attachée de presse aux éditions JC Lattès (ex éditions Plon), Emmanuelle Allibert est un témoin privilégié du monde de l’édition. Dans son livre « Hommage de l’Auteur absent de Paris », elle croque avec humour et une certaine jubilation l’Auteur, avec un grand A ! Ici, elle revient sur cette satire drôle, cruelle et tendre à la fois, nous parle aussi du rôle de l'éditeur et de sa vision de l'auto édition.
Dans votre livre "Hommage de l'auteur absent de Paris", vous passez en revue tous les défauts de l’Auteur. Il est opportuniste, radin, pique-assiette, angoissé… Sont-ils tous comme cela ?
Non. Tous ceux que j’ai rencontrés ont eu, une fois ou l’autre, l’un des travers que je décris mais aucun ne peut se reconnaître. L’Auteur de ce livre est un concentré de tous ces défauts. Je voulais me mettre dans la peau de l’auteur, aborder son parcours depuis le moment où il entre dans la maison d’édition jusqu’à celui où il est publié et qu’il atteint son Graal, le statut d’auteur.
L’auteur dont vous parlez est assez privilégié…
Oui, ceux que je côtoie ont plutôt réussi et ils ne se rendent pas compte du privilège qu’ils ont de pouvoir vivre de leur plume. Tout le paradoxe tient à la question de l’art et de l’argent. L’auteur voudrait être complètement en dehors des considérations matérielles or ce n’est pas possible car une maison d’édition est une entreprise. Elle accueille un écrivain, travaille pour lui et espère générer des bénéfices grâce à son œuvre. L’auteur dit écrire par nécessité mais il recherche aussi en permanence le succès et la reconnaissance. Les écrivains sont assez jaloux entre eux. Certains vendent beaucoup mais ne sont pas considérés. On pardonne peu le succès dans ce milieu. Il existe en fait deux catégories d’auteurs : ceux qui vendent beaucoup et ceux qui ont la reconnaissance du milieu.
Comment avez-vous eu l’idée de ce livre ?
J’ai commencé par écrire des anecdotes sur les écrivains pour « Le Magazine des livres ». Puis, j’ai réalisé des chroniques dans l’émission de Michel Field « Au fil de la nuit ». Angie David, éditrice chez Léo Scheer, m’a proposé d’en faire un livre. J’ai retravaillé les textes, écrit de nouvelles chroniques, étoffé le sujet. Je tiens d’ailleurs à préciser que les lettres présentées dans le dernier chapitre du livre sont authentiques. Cela fait dix ans, que je collecte les lettres envoyées à la maison d’édition. Elles sont comme une preuve scientifique de ce que je décris dans les chapitres précédents.
Votre auteur a de nombreux défauts mais on a l’impression, dans votre livre, qu’il n’est pas très talentueux…
Si bien sûr, mais c’était plus drôle de parler de l’auteur un peu boiteux que du très bon écrivain. Et quand on évoque l’édition, il faut aussi aborder la question de l’industrie du livre, sujet que n’aiment pas beaucoup les auteurs… Pour être viable, une maison édition doit écouler un certain nombre de titres par an. Chez Lattès, nous en éditons une centaine. Nous n’avons pas cent auteurs exceptionnels chaque année. Nous suivons des auteurs mais leurs textes ne sont pas tous de la même qualité. Et puis il existe une grande part de subjectivité liée au ressenti du lecteur. Aura t-il envie de lire ce texte ? La maison d’édition ne peut pas se permettre de ne publier que des livres qu’elle adore sinon elle ne tient pas. Parfois, l’éditeur croit vraiment à un auteur et le livre ne fonctionne pas. Personne ne maîtrise rien. De fait, l’éditeur a une obligation de moyens mais certainement pas de résultats.
Vous vous moquez aussi de l’éditeur, « le révérend père »… Le lien entre l’auteur et l’éditeur n’est-il pas un peu trop paternaliste en France ?
Le lien entre un écrivain et un éditeur est assez particulier. D’ailleurs, on utilise le terme « maison » d’édition, pas celui d’« entreprise » ou de « boîte ». Ce métier touche à l’intime. Le romancier travaille seul pendant plusieurs mois, écrit souvent à la première personne. Les lecteurs lisent l’ouvrage chez eux, parfois dans leur lit. La rencontre de l’auteur avec le lecteur est aussi très intime. Les gens se confient, s’identifient à l’histoire. L’auteur est en permanence dans des rapports d’intimité et de fait, l’éditeur aussi. Une promotion peut être très violente. La maison doit protéger l’auteur de cette exposition, des critiques.
Le travail de l’auteur est-il suffisamment encouragé et reconnu en France ?
Je ne comprends pas les auteurs qui se plaignent. L’éditeur donne une avance, dépense de l’argent pour le papier, la couverture, l’impression, avant même que le livre ne soit en librairie et sans avoir la certitude qu’il sera remboursé. C’est un pari ! Si le livre ne marche pas, l’éditeur perd son argent. Pour un roman, l’éditeur trouve son équilibre à 3 000 exemplaires vendus. S’il en vend moins, personne ne lui remboursera un centime. Il va même soutenir un auteur sur plusieurs livres. Nous ne sommes pas d’affreux grippe-sous. Aux auteurs qui râlent parce qu’ils sont insuffisamment payés ou reconnus, je dis : « auto éditez vous ! ». Montrez-nous que notre système est inique. La mise en page, la création d’une couverture, la correction… nécessitent une expertise. D’ailleurs, les auteurs auto édités s’en rendent compte.
Que pensez-vous de l’existence d’une plateforme comme monBestSeller ?
Il y a de la place pour tout le monde. L’édition, depuis qu’elle est née, prétend qu’elle est moribonde. L’auto édition est un formidable pied de nez à cette idée que les gens n’écrivent plus, ne lisent plus et ne sont plus intéressés par les livres. C’est positif. Je suis aussi très confiante dans la position de la maison d’édition qui possède une vraie expertise, qui sait faire des livres.
Comment les éditeurs voient-ils l’auto édition ?
Les éditeurs ne considèrent pas l’auto édition comme une menace mais plutôt comme un phénomène très à part. La grande peur de l’éditeur est de passer à côté d’un chouette manuscrit. Il ne faudrait pas que l’auto édition soit la mort de l’envoi des manuscrits aux maisons d’édition.
Qu’est ce que cela a changé pour vous de devenir auteur ?
Je ne me considère pas du tout comme un auteur. Pour moi, un auteur est celui qui publie un roman. Mais passer de l’autre côté de la barrière m’a appris à être plus indulgente avec les auteurs dont je m’occupe. Les personnes qui travaillent dans une maison d’édition peuvent être un peu blasées quand un nouveau livre sort. Quand le mien est arrivé, cela m’a touchée. Il ne faut pas tomber dans la routine et garder intacte sa curiosité. La sortie d’un livre reste un événement.
Clémence Roux de Luze
"Hommage de l'Auteur absent de Paris" d'Emmanuelle Allibert, Editions Léo Sheer, dans toutes les bonnes librairies.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
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