
Rien n’était prémédité, c’est le grain de sable qui vient bouleverser une destinée. Le point de départ de cet engrenage est le premier apéritif et la sensation qu’une douce euphorie (provoquée par un excès d’alcool) lui permet d'écrire une ’histoire (ou des histoires). Le caractère solitaire du personnage le prédisposait peut-être à cet état. À ce moment de sa vie, le personnage principal essaie de donner un peu de sens à une existence bien terne. Au milieu des autres personnes existait-il jusqu’alors ?
C’est la source. L’on peut penser que s’il n’y avait pas eu ce “ grain de sable ” la destinée du personnage aurait été autre. Le personnage aurait pu trouver un autre centre d’intérêt que l’écriture.
Pour mon personnage, l’écriture peut être aussi envisagée comme un moyen de reconnaissance. C’est aussi une certaine rêverie triste du passé (la fameuse Brigitte de ses rêves) qui lui fait imaginer que (si elle ne l’avait pas quitté) son existence aurait pu être toute autre. Ce n’est pas de la nostalgie dans le sens : “ cela aurait été mieux ”, mais plutôt sa vie aurait été “ autre ”. Au fond, le personnage n’en est pas sûr, il espère peut-être que l’écriture de cette histoire lui apportera des réponses.
Il ne se préoccupe pas de la finalité de ses écrits (qui seront, certains détruits, d’autres, ignorés). Il n’écrit pas pour laisser une trace. Le maître mot de l’histoire est “ solitaire ”, le personnage se complait dans cette nostalgie. L’écriture lui permet de poursuivre dans la journée (plutôt le soir) les rêves de la nuit. La littérature, c'est la poursuite des rêves.
Non, bien évidemment. Ce n’est pas obligatoire, mais c’est une forme de dopage et l’on peut comprendre (par exemple) qu’un chanteur boive un grand verre d’alcool avant d’entrer en scène pour l’aider à surmonter son trac. Encore faut-il que cela ne devienne pas une habitude : je citerais Eugène Marbeau : “ L’habitude est une douce amie qui devient vite une ennemie ”.
Pas du tout, mais j’ai été le témoin d’une histoire assez proche qui m’a marqué. Toutefois, il ne s’agissait pas d’écriture, mais d’un autre art. C’est la raison pour laquelle j’ai mis neuf années à écrire ce récit.
J’ai tenté d’aborder deux aspects :
– L’histoire du personnage principal. C’est d’abord et avant tout, un solitaire. Grâce à l’euphorie provoquée par l’absorption d’alcool, il peut réaliser ce qu’il n’a pu faire jusqu’alors : mettre noir sur blanc les histoires qu’il se raconte dans sa tête (ou dans ses rêves). Il est conscient de l’engrenage dans lequel il est tombé. Il ne craint pas l’issue et comme c’est un garçon intelligent et formé à la psychologie (c’était un travailleur social) il sait le cacher (à ses voisins, ses collègues de travail, ses amis musiciens et même au corps médical).
– L’histoire des témoins désarmés,aidants et impuissants, qui pour certains ne s’en aperçoivent pas de suite. Même les médecins ne trouvent pas la clé. Pour mémoire rappel du dialogue à la fin de mon récit :
J’ai “ habillé ” le récit et créé les personnages des voisins, des collègues (de travail et de musique) du corps médical, etc. en espérant que le lecteur éprouverait un peu d’empathie pour mon personnage. J’ai aussi tenté d’éviter les clichés et le misérabilisme.
Là, j’ai du mal à discerner mon intention ! Tous les personnages, à l’exception, du principal, sont le fruit d’imagination pure (créative, rêveuse,… délirante !) Lorsqu’on créé des personnages, pourquoi leur donne‑t‑on tel aspect physique, tel trait de caractère, pourquoi leur fait‑on dire ceci, faire cela ? Pour ma part, je n’ai pas la réponse.
Lorsqu’on trouve un moyen pour parvenir à ses fins, ne faut‑il pas aller jusqu’au bout ? Quelles qu’en soient les conséquences. C’est la voie que mon personnage choisit. La Vie de Michel se dérègle, c’est un long naufrage : dépendance puis descente aux enfers. C’est une observation, une expérience, un chemin inévitable. L’itinéraire de l’alcool. Le tout confronté à un personnage qui (peut-être) refuse les mains tendues.
Le séjour en maison de santé est ambigu. À la fois, il se sent protégé (il y est d’ailleurs très à l’aise se considérant presque comme membre du personnel !), mais il continue de croire qu’il est incompris. Quant à l’alcool, il sait qu’il ne peut s’en sortir sans aide, mais les contraintes liées à cette aide sont trop lourdes pour qu’il accepte.
C’est bien cela : il se soigne malgré lui, au fond le souhaite-t-il ?
Non je ne crois pas. Cette tentative avortée d’autobiographie est encore un échec. Elle n’est là que pour entretenir l’illusion. Ressusciter, une ultime fois, la douce euphorie qu’il a connue les premiers jours après le fameux apéritif.
Interview de Jean-Pierre Barré
"Solitaire sans modération"
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Yves L
@Lisa DJ
Merci pour vos commentaires.
Ce que l'on comprend bien, c'est la dimension "imperceptible" du glissement vers l'alcool. Et un phénomène assez courant dans l'alcoolisme "silencieux", la non capacité des amis/ voisins à détecter les causes du changement.Cette dimension est très bien rendue..
@Patrice Salsa
Je suis bien d'accord… difficile (impossible) à raconter !
Un sujet délicat que vous traitez délicatement sans pathos.
Oui "difficile/ impossible à comprendre et raconter..."
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ton interview.
Je suis ravie que ce livre reçoive l'appréciation des lecteurs et que "monBestSeller" te consacre une page bien méritée.
Bernadette