Réussir son personnage de roman en lui donnant une voix unique, c'est lui conférer un caractère spécifique et univoque. En un mot lui donner une vie propre.
La réplique qui fait mouche, le mot qui arrache un rire… nous avons maintenant tellement l’habitude du cinéma, nous connaissons tant de formules cultes...
Mais est-ce ainsi que cela fonctionne en littérature ?
Certains auteurs affirment qu’ils ne peuvent commencer à écrire qu’après avoir entendu leurs personnages s’exprimer, les avoir vus s’animer.
Si l’on veut avoir des personnages vraiment vivants, il vaut mieux s’y prendre dans ce sens plutôt que faire l’inverse : penser en premier à l’histoire qu’on veut raconter. Dans ce cas, les personnages risquent de n’avoir qu’un seul rôle d’utilité.
Parler à la place de ses personnages, cela revient à les empêcher de vivre. Expliquer la situation dans laquelle ils se trouvent, c’est leur ôter la capacité de le faire eux-mêmes à travers les événements que l’histoire leur réserve.
Après dix ans de mariage avec Simon, Mathilde commençait à désespérer… En rentrant chez lui, coincé dans les embouteillages du lundi soir, Simon pensait à ce qu’il allait dire à Mathilde… Plus elle cherchait ses arguments, plus elle s’énervait.
Bien sûr, il est parfois nécessaire d’avoir recours à ce procédé, mais si l’on en fait une règle, les personnages de nos romans resteront monsieur et madame Toulemonde, car rien dans cette prose ne les définit.
Dans un même groupe linguistique, deux personnes ne s’exprimeront jamais exactement de même manière. Car nous sommes notre langage et que notre langage est comme notre voix, ou nos empreintes digitales : unique.
La meilleure façon de produire des personnages insipides est de leur donner à tous, plus ou moins, la voix du narrateur (ou de l’auteur).
Trouver la voix de ces personnages c’est bien entendu travailler le champ lexical de chacun, choisir ses expressions spécifiques, son timing, sa façon d’intervenir. L’utilisation du verbal renseignera mieux encore que des explications sur la classe sociale et personnalité de mon personnage, son besoin de représentation, sa relation aux autres.
Que se passerait-il dans mon texte si j’ôtais toute incise et didascalie ? Pour simplifier, disons que même si l’auteur ne précisait pas qui parle, qui agit, le lecteur devrait le reconnaître sans peine.
Par définition, le non verbal est tout ce qui ne se traduit pas par des mots, mais les accompagne et leur donne du sens.
Exemple de Non verbal : la voix de mon personnage change, ainsi que sa manière de parler, il parle davantage ou se tait soudain, parce qu’il est ému, en colère, désarçonné.
En m’appuyant uniquement sur le non verbal de mon personnage, et ses modifications, j’explique le moment qu’il traverse. Je qualifie l’instant.
Il sera toujours cent fois plus efficace, de montrer la façon dont un personnage enfile son manteau et quitte une pièce, plutôt que raconter qu’il vient de passer une mauvaise journée au travail ; ou qu’elle s’en va avant que l’autre n’arrive ; ou qu’elle est déçue, ou au contraire remplie d’espérances.
C’est aussi à travers le non verbal de nos personnages que les lecteurs font connaissance avec eux, et décident d’entretenir une relation avec eux ou pas jusqu’au bout du livre.
Car ce sont bien les personnages qui donnent envie de connaître le mot de la fin. Que peut bien être une intrigue sans un être humain ou animal pour la porter ?
Un exemple est le merveilleux Watership down de Richards Adams, où l’on tremble jusqu’à la dernière page pour le sort d’une bande de… lapins.
Toute la relation de Holmes et Watson ne tient-elle pas dans leurs manières si particulières de parler et de se parler ?
Et si Ferdinand Bardamu s’était exprimé comme monsieur Toulemonde de son époque, y aurait-il eu « Voyage au bout de la Nuit » ?
On résume quelques principes ?
- 1) Je crée des personnages porteurs d’une histoire et je développe l’histoire en fonction de qui ils sont.
- 2.) Je fais parler, bouger, agir les personnages de mon roman comme de véritables êtres vivants
- 3) Je compte sur la puissance du non-dit pour suggérer les pensées, les émotions de mes personnages.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Excellent papier, ni trop simple, ni trop compliqué. Reste que parfois les exceptions confirment les règles.
@Catarina Viti
Moi aussi, figurez-vous, j'y crois. Car je ne plaisantais pas. D'autant plus qu'à mon sens, c'est un de vos textes les mieux réussis. Ou les moins ratés, si vous préférez, eu égard à votre modestie...
@Florence Dombey, je ne vois pas de qui vous causez ! Sans rire, c'est une vraie question, non ?
Ma réponse : Monique. L'héroïne du livre de Flore Freynet "Sans fard".
https://www.monbestseller.com/manuscrit/18797-sans-fard.
Elle n'avait pas de poil aux pattes (du moins, je n'en ai pas souvenir), à peu près sûre qu'elle ne jouait pas au tiercé, mais elle avait une trajectoire, une histoire.
Je crois toujours dans le potentiel de ce livre.
@lephilosophe
Il en va des évidences comme des yaourts bulgares. Une surconsommation entraîne des troubles balkaniques.
@Catarina Viti
Monna Vanna. Parce qu'elle avait du poil aux pattes et jouait au tiercé.
Eh oui, @lephilosophe, ces articles soulignent des évidences. Le seul hic, c'est que trop d'auteurs les ignorent. Tiens, un test : pourriez-vous me citer "le" personnage que vous avez rencontré sur le site et qui vous habite encore ; et me dire quels sont les éléments qui vous le rendent tellement attachant. Je parle bien du personnage, pas de l'intrigue. Je cherche en même temps que vous.
C'est une évidence !