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Du 06 mai 2024
au 06 mai 2024

Une technique pour définir subtilement son personnage de roman : la description implicite

Par un objet qui appartient à un personnage de roman, par un animal qui le prolonge ou s'oppose à lui, par un paysage qui  le transcende on peut définir un héros de roman souvent plus précisément qu'en le décrivant par le menuPar un objet qui appartient à un personnage de roman, par un animal qui le prolonge ou s'oppose à lui, par un paysage qui le transcende on peut définir un héros de roman souvent plus précisément qu'en le décrivant par le menu

À force de focaliser sur la description des personnages comme une des clés romanesques au même titre que l’intrigue, on en oublierait presque un élément d’importance : « l’habit » du personnage. Par habit nous n’entendons pas le costume qui vêt le personnage, mais les éléments annexes, sans lesquels le personnage ne serait plus complètement lui-même. Accessoire, moyen de locomotion, voire lieu de vie, ou animal domestiqué qui le complètent, et parfois le définissent mieux que ne pourrait le faire la plus fine description physique ou psychologique.

>> Qu'est-ce que la description implicite ?

Oui, il n’est pas toujours aisé de conduire le lecteur à éprouver un sentiment défini devant un personnage. Comment faire passer les émotions liées à une vertu ou un vice ? Comment dire d’un personnage qu’il est veule, impuissant, ridicule ou carrément fou, sans passer par la pénible intrusion du jugement, lequel atteint rarement à l’excellence littéraire et sans avoir systématiquement recours au behaviourisme ?

« Ayez donc recours à la métaphore, à la parabole, par exemple ! », répliquerez-vous. Certes, des outils comme la métaphore peuvent aider à éviter l’énoncé des convictions de l’auteur. Juger le personnage qu’on a créé, est aussi trivial que rire à ses propres blagues.

Heureusement, on peut éviter ces écueils en ayant recours à un procédé dont la valeur littéraire ne peut être mise en doute : La description implicite.

On ne focalise plus sur le personnage, mais on le regarde, et on le décrit de façon indirecte, ce sont ses objets, son environnement au sens large qui parlent de lui.

>> Quand l’objet parle du personnage : la casquette de Bovary

Tous nos personnages de fiction ne peuvent pas être des femmes ou des hommes héroïques, des parangons de vertu, des modèles. À certains, nous devons aussi réserver le « mauvais » rôle ; que ce soit le méchant, le pleutre, l’idiot, l’éternel « cocu », il nous faut aussi des minables, sans quoi nos histoires ne seraient pas le reflet de la vie.

Charles Bovary est un « pauvre con ». Flaubert aura l’occasion de nous montrer l’étendue de son infinie bêtise jusqu’à son dernier mot : « C’est la faute à la fatalité », mais dès les présentations, nous savons à qui nous avons à faire et, en quelque sorte, c’est bien la faute de la fatalité si Bovary est un pauvre type. Plutôt qu’enfoncer le clou, Flaubert dévie l’attention du lecteur vers la casquette de Charles qui le décrit mieux qu’une analyse psychologique.

C’était une de ces coiffures d’ordre composite, où l’on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapka, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis, s’alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin, venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d’une broderie en soutache compliquée, et d’où pendait, au bout d’un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d’or, en manière de gland. Elle était neuve, la visière brillait.

>> Quand l’animal résume le maître (ou préserve son ultime part de lucidité) : Rossinante, la monture de Don Quichotte

Si la casquette de Bovary n’avait que valeur d’anecdote, il en va autrement dans le roman de Cervantes, où Rucio et Rossinante sont des personnages à part entière, non seulement les montures de Sancho Panza et Don Quichotte, mais leurs prolongements psychologiques.
La pauvre Rossinante prend sur elle le fou et son armure, et porte souvent la responsabilité de l’échec de l’homme, à moins qu’elle n’exprime une part de lucidité inconsciente, mais résiduelle, chez l’Hidalgo de la Mancha à travers des actes manqués.

En disant cela, il se précipite, la lance baissée, contre celui qui avait porté la parole, avec tant d’ardeur et de furie, que, si quelque bonne étoile n’eût fait trébucher et tomber Rossinante au milieu de la course, mal en aurait pris à l’audacieux marchand. Rossinante tomba donc, et envoya rouler son maître à dix pas plus loin, lequel s’efforçait de se relever, sans en pouvoir venir à bout, tant le chargeaient et l’embarrassaient la lance, l’écu, les éperons, la salade et le poids de sa vieille armure ; et, au milieu des incroyables efforts qu’il faisait vainement pour se remettre sur pied, il ne cessait de dire : « Ne fuyez pas, race de poltrons, race d’esclaves ; ne fuyez pas. Prenez garde que ce n’est point par ma faute, mais par celle de mon cheval, que je suis étendu sur la terre.

>> Quand l’outil du destin traduit le caractère dérisoire du personnage : la Rolls de Gatsby

Gatsby est un personnage improbable, excessif, torturé à l’intelligence matérielle. Rien d’étonnant à ce que son véhicule soit à son image et mieux que toute description communique le côté absurde de son destin :

Elle était peinte d’une riche couleur crème, étincelante de nickel, triomphalement enflée ici et là dans sa monstrueuse longueur par des phares de la taille de coffres à chapeaux, de coffres à pique-nique, de coffres à outils et couverte, comme d’une terrasse, par un labyrinthe de pare-brise où se reflétaient douze soleils.

Mais gardons le plus fort pour la fin

>> Quand le personnage atteint la Transcendance : Le Hêtre sur la route d’Avers

Quand le personnage est tellement “extra-ordinaire”, et que l’auteur le veut à nul autre pareil, dérangeant, avec tout son mystère, l’égal non des dieux, mais du Cosmos, il devient impossible de le regarder en face, seule sa lumière réfléchie peut nous parvenir.
C’est ainsi que Giono nous présente Langlois dès l’incipit de son “Roi sans divertissement” :

C’est juste au virage, dans l’épingle à cheveux, au bord de la route. Il y a là un hêtre ; je suis bien persuadé qu’il n’en existe pas de plus beau : c’est l’Apollon citharède des hêtres. Il n’est pas possible qu’il y ait, dans un autre hêtre, où qu’il soit, une peau plus lisse, de couleur plus belle, une carrure plus exacte, des proportions plus justes, plus de noblesse, de grâce et d’éternelle jeunesse : Apollon exactement, c’est ce qu’on se dit dès qu’on le voit et c’est ce qu’on se redit inlassablement quand on le regarde. Le plus extraordinaire est qu’il puisse être si beau et rester si simple. Il est hors de doute qu’il se connaît et qu’il se juge. Comment tant de justice pourrait-elle être inconsciente ? Quand il suffit d’un frisson de bise, d’une mauvaise utilisation de la lumière du soir, d’un porte-à-faux dans l’inclinaison des feuilles pour que la beauté, renversée, ne soit plus du tout étonnante.

Bien entendu, tout le monde s’entendra pour dire qu’il ne décrivait là qu’un arbre, avec la sale manie d’une certaine emphase provençale. Mais c’est bien de Langlois qu’il nous parle.
Et grâce au hêtre qu’il ne rapproche pas de n’importe quel Apollon, il nous dit ce qui, autrement, serait impossible à dire de Langlois.

Il y a donc une manière élégante, puissante et extrêmement originale de présenter ses personnages : la description implicite.

Mais laissons le dernier mot de cet avant-dernier article à l’ami Norin Antall à l’origine de ce “projet personnage” :

“Si, à l’instar de Robert Ludlum dans Objectif Paris, vous décrivez l’intérieur d’un appartement comme ‘un repaire de mouches mortes, de restes de pizza et de cartons empilés près d’un matelas jeté au sol’, les contours de la personnalité du locataire se dessinent tout seuls dans l’esprit affûté du lecteur.
Non seulement il visualise un célibataire négligé, mais surtout, il se pose une foule de questions sur les événements qui ont amené cette situation bancale : pourquoi a-t-il déménagé ? Que contiennent les cartons ? N’étant pas déballés, a-t-il récemment divorcé ? Pour quelles raisons ? A-t-il des enfants ? Souffre-t-il de ne pas les voir souvent ? Et ainsi de suite.

Si bien que lorsque le personnage apparaîtra, le lecteur sera conforté dans ses a priori ou se délectera des surprises que vous lui avez concoctées.”

 

Trois techniques d’écriture pour réussir des descriptions implicites

1. Trouver l’artifice qui permet de présenter le personnage sans porter de jugement,

2. Déterminer le moment le plus approprié de l’intrigue pour y insérer la description implicite,

3. Utiliser cette description comme clé de voûte de la narration. Surprendre le lecteur en travaillant l’arc narratif, le conduire plus loin qu’il n’aurait jamais pensé aller.

 

 

 

 

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Publié le 09 Mai 2024