Écrire, ce n'est pas raconter une histoire.
L'écriture, un chemin avec sa propre temporalité.
Tourner le dos à la littérature : le piège d’une langue « propre » et de la précipitation.
Écrire pour viser la vérité : une quête accessible à tous.
Que l'histoire et l'écriture cheminent ensemble, évidemment. Car l'histoire est le véhicule : et l'on peut jouer de toutes les métaphores avec cette image. Mais que transporte-t-elle, n'est-ce pas? qu'a-t-elle dans le coffre (aux sens figuré et propre)... d'où les 5 niveaux de lecture les plus souvent exigés d'une oeuvre littéraire (historique/dramaturgique, sociologique, philosophique, psychologique, psychanalytique...)
@Cortex
Ne vous est-il venu à l'esprit (vous avez choisi le pseudonyme de Cortex, tout de même !) que l'histoire et l'écriture pouvaient avancer du même pas ?
PS : Refermez toutes le parenthèses que vous voulez, mais je ne trouve pas très gentil de conforter le ci-devant Malheur dans sa théorisation de son incapacité d'écrire.
C'est tout l'intérêt de cet échange : l'histoire est-elle un prétexte ou le but, un moyen ou une issue, un sujet ou un objet... une façade, peut-être bien chez nombre d'écrivains, un second plan. Qui permet le contre-champ.
Le même André Gide qui avait l’ironie de demander aux autres qu’ils lui expliquent ses écrits, ironie qu’il expliquait à son tour en préface de "Paludes" : « On dit toujours plus que CELA. ‒ Et ce qui surtout m’y intéresse, c’est ce que j’y ai mis sans le savoir, ‒ cette part d’inconscient, que je voudrais appeler la part de Dieu. » Ou de qui l'on voudra. D'une vérité que le travail d'écriture révèle. Ce qui rejoint le texte de Constantin, et met l'histoire racontée en second plan. Parenthèse refermée :)
@Constantin Malheur
Je me réfère également à votre tribune : « L'écriture : un voyage intérieur vers la vérité » et vous livre mon commentaire bienveillant.
Ce qui est surprenant lorsque vous faites le lien entre l’acte d’écrire et la littérature, outre qu’il est contestable (on peut opposer à chacune de vos assertions des exemples précis de son contraire), c’est la manière dont vous en débattez. Vous ne menez pas le débat, vous affirmez vos certitudes comme certains font du prosélytisme. En tentant de donner un avis contraire on devient apocryphe. Votre verdict n’est pourtant pas universel, car la littérature ainsi que la façon de la définir et d’apprécier les œuvres des écrivains, existe aussi en dehors de la France.
En France comme ailleurs, chaque époque a eu ses chefs-d’œuvre, ses formes narratives et ses règles, en commençant par les chansons de geste pour la France. Dans ses mémoires, Alexandre Dumas explique sa manière : « Je commence par combiner une fable ; je tâche de la faire romanesque, tendre, dramatique, et, lorsque la part du cœur et de l’imagination est trouvée, je cherche dans l’histoire un cadre où la mettre ». Parmi les concurrents de Dumas, Eugène Sue connaît un franc succès avec Les Mystères de Paris. Dumas comprend qu'il y a de l'argent à gagner. Les Trois Mousquetaires est un coup de maître, suivra bientôt le comte de Monte-Cristo. La littérature n’est pas uniquement l’œuvre d’un Marcel Proust, il semble que ses œuvres ne soient pas universelles : il n’apparaît pas dans le top 50 de l’index Translationum, géré par l’UNESCO qui liste les auteurs les plus traduits dans le monde (Jules Vernes deuxième, Alexandre Dumas treizième, Honoré de Balzac trente-deuxième). Référence de la littérature postmoderne, l’américain Paul Auster affirmait pour sa part : « écrire un roman, c'est raconter une histoire. Ce sont les gens que vous faites vivre qui donnent le ton du roman, la couleur des mots qui sortent de la plume. »
Écrire pour trouver la vérité, quelle vérité, n’est-ce pas ? Attention à la dispersion, comme l’écrivait Gide : « C'est avec les beaux sentiments qu'on fait de la mauvaise littérature », j'aurais aussi bien pu écrire que les meilleures intentions font souvent les pires œuvres d'art et que l'artiste risque de dégrader son art à le vouloir édifiant ».
@Constantin Malheur
A qui sait lire, je trouve que mon dernier commentaire se suffit à lui-même. Développer ? Développer quoi, grands dieux ? Au risque d'ajouter d'ajouter du gargouillis au clapotis ? Non merci.
Ah là là ! Si j'aurais su, j'aurais pas venu...
PS : Tout le monde s'en balance, certes, mais je tiens Nathalie Sarraute pour un immense écrivain (la féminisation forcenée de tous les mots du dictionnaire me fait le même effet que l'écriture inclusive).
@Joker380
Et c'est d'ailleurs à partir de ses propres oeuvres (dans les années 30) qu'elle pense l'écriture de ce livre. Qu'elle ait annoncé le "Nouveau Roman" sans le nommer, c'est certain, mais elle n'en revendique pas la maternité, ni ne s'en réclame. Et donc ne s'en est pas éloignée car - et elle le dit avec insistance - elle n'en a jamais fait partie. Je vous invite à écouter ses entretiens, c'est passionnant :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-nathalie-sarraute-l-ecriture-en-mouvement
@Cortex Avez-vous lu « L’ère du soupçon » (écrit en 1950 et publié, avec d’autres textes, en 1956) de Nathalie Sarraute ? Elle y pose incontestablement les bases du "nouveau roman" en affirmant la nécessité de déconstruire le roman traditionnel. Elle appelle à un “soulèvement” contre le roman classique dont le modèle le plus illustratif est pour elle roman balzacien. Qu’elle se soit éloignée ensuite de ce nihilisme littéraire, c’est bien possible ; et il faut toujours pardonner aux repentis !
Pour info @Joker380 , Nathalie Sarraute a démenti appartenir à ce courant du "Nouveau Roman" (entretien France Culture "A voix nue"), elle ne fréquentait pas ces auteurs. Nathalie Sarraute qui laissera bien sûr une empreinte indélébile et éternelle dans la littérature française. Se méfier donc des courants littéraires : ils sont souvent une "fabrication" des enseignants de littérature et des littérateurs. C'est une commodité de ranger les écrivains dans des compartiments, c'est aussi une manière de les apprivoiser (voire de les dompter).
Merci @Constantin Malheur pour ce texte brillant. Quant à la différence entre un auteur et un écrivain, vous avez raison, il est légitime de l'établir. On ne mélange pas les torchons et les serviettes (même si, avec le temps, les uns peuvent devenir les autres et inversement). Il est bon en effet de dire à ceux qui se disent "écrivains" ce qu'est un écrivain, et si donc ils le sont, d'où l'importance de "théoriser" cette différence.
Cher @Joker380,
Vous savez, moi, dès l’instant que la respectable confrérie des auteurs de mBS ne me harcèle pas et ne m’envoie pas de « trolls savants » (etc.) pour me péter la gueule, ça me va très bien.
Restons joyeusement et pacifiquement et respectueusement irréconciliables.
Chacun défend ce en quoi il croit, c’est normal.
Bisous
Cher @Constantin Malheur, nos désaccords se tiennent avec une légitimité que nul ne saurait contester, mais nos positions me semblent des plus irréconciliables.
Concernant cette respectable confrérie des auteurs MBS, point n’est besoin de leur prêter des ambitions littéraires qu’ils ne revendiquent pas. Loin d’une quête de singularité, il semble qu’ils aient choisi la plaine démocratique des mots, là où toute hiérarchie s’efface au profit d’une heureuse égalité. Et ma foi, pourquoi s’embarrasser de différences là où ils n’en voient l’utilité ? Afin de ne pas me répéter, je m’intéresserai au seul cas « Robbe-Grillet » que vous tenez en très haute estime.
Le nouveau roman, ce courant littéraire des années cinquante, mené par Alain Robbe-Grillet et Nathalie Sarraute, fut accueilli en son temps avec enthousiasme, tel un gentilhomme en habits flamboyants faisant son entrée au banquet des Lettres. Mais la fièvre s’éteignit aussi vite qu’elle était apparue ! Robbe-Grillet, chevalier des descriptions infinies, s’appliquait à détailler une poignée de sable ou une goutte d’eau avec la ferveur d’un moine copiste, sans se rendre compte qu’un livre sans âme court le risque d’être aussi captivant qu’un inventaire de l’an 1325. À l’image d’un paon déployant son plumage pour cacher un bec bien terne, le nouveau roman s’enorgueillit de détrôner les récits classiques, rejetant personnages, intrigues et toute psychologisation, comme on balaye les miettes d’un festin passé.
Où trouve-t-on aujourd’hui quelque trace de cet art sans artifice ? On la cherche encore. Dans l’histoire littéraire, cette trace, si jamais elle existe, n’est qu’un souffle discret, une expérimentation stylistique osée, sans émotion, dans laquelle la plume est creuse comme un calice sans vin. Quelle triste postérité !
Bonjour @Joker380 et merci d'avoir pris le temps de développer votre propos.
C'est d'autant plus précieux que, à mon avis, vous vous faites le porte-parole de beaucoup de personnes de ce site, en formulant ce que, pour ma part, je considère comme "la légende mBS", une légende qui, précisément, vit de la confusion entre écrivains et, disons, preneurs de plumes (vous savez que j'utilise maintenant le mot "écriveur" qui me semble plus neutre que le "zoteur" trop polémique de Tomache Diafoirus).
Vous voulez qu'on ne distingue pas, je pense qu'il est nécessaire de distinguer si l'on veut savoir ce qu'on écrit. Et je ne pense pas qu'on puisse approcher de la littérature (le seul but qui m'enthousiasme, me passionne) sans savoir ce qu'on écrit, ce qu'on veut écrire, ce qu'est écrire.
Maintenant j'essaye de vous répondre point par point :
- "Ô chers gens lettrés et doctes savants" : fait selon moi partie de cette légende mBS qu'il y aurait sur le site quelques intellos (qui, jadis, suscitèrent "le troll savant") qui se la pèteraient, une élite élitiste qui, somme toute, n'aurait rien à faire sur le site, lequel serait réservé à des gens qui écrivent sans prétention (comprendre "prétention littéraire") et pour se faire plaisir
- "pour mieux la chérir" : tout à fait
- "sotte division entre auteur et écrivain" : sotte ? non
- "Qu’est-ce donc qu’un auteur, sinon celui qui prend la plume pour conter, narrer, enluminer l’imaginaire ?" : conter, narrer, raconter : oui, c'est sans doute ce que se fixent comme but les preneurs de plumes amateurs d'écriture (et c'est très bien)
- "Qu’est-ce donc qu’un écrivain, sinon un auteur qui s’enorgueillit d’un titre un peu plus poli ?" Où l'on rejoint la légende : l'écrivain n'existerait pas, ce serait seulement l'orgueil des intellos élitistes qui inventerait ce titre par snobisme.
- "D’aucuns prétendent que l’écrivain, noble de son art, façonne des chefs-d’œuvre immortels..." : je le dis en effet.
- "...tandis que l’auteur, humble manant des mots, n’aurait que l’audace de jeter des historiettes à la volée. " : encore la légende de l'humilité de "l'auteur" vs l'orgueil de l'écrivain. Qu'on raconte des histoires, ce n'est pas un problème. Je dis seulement que ce n'est pas ça que fait l'écrivain. Raconter une histoire est un acte social. Quand on raconte, on socialise, et, pour cela, on reste dans le consensus, le conventionnel, ce qu'on croit être le connu. L'écrivain ne socialise pas, il explore le mystère de sa vie à partir des traces (vibrations) imprimées en lui par cette vie. Quand on raconte une histoire, on s'impose une forme conventionnelle, alors que l'écrivain part des traces laissées en lui pour leur donner une forme singulière. A mon avis, c'est le lecteur qui projette sur cette forme son habitude (sociale) qu'on lui raconte des histoires. Libre à lui, d'ailleurs. Mais la forme d'un grand roman dépasse de très loin "l'histoire".
- "Le noble Victor Hugo, écrivain s’il en fut, ne fut-il point aussi auteur de mille péripéties pour garnir les veillées ? Et ce bon La Fontaine, avec ses fables pleines de ruses animales, aurait-il accepté qu’on le relègue au rang d’auteur pour avoir trop conté ?" Victor Hugo est un visionnaire, il ne raconte pas des histoires, il met en forme des visions où s'affrontent des grandes forces cosmiques. Les contes traditionnels racontés à la veillée font cela aussi : voir la psychanalyse des contes de fées (par exemple) de Bettelheim. Quant à la Fontaine, comparez-le avec Esope et vous verrez que ce qui fait la beauté des fables tient beaucoup plus à leur mise en musique (rythme et sonorité) qu'à leur "morale" ou à la suite apparente d'événements qu'elles rapportent.
- "Car la littérature est comme un bon pot-au-feu : elle ne se soucie guère si le cuisinier est étoilé ou simplement gourmand, pourvu que le bouillon soit riche et la viande tendre. Il en va de même pour les mots : qu’ils soient nés sous une plume érudite ou spontanée, qu’ils surgissent du cœur ou du cerveau, ils n’ont cure du titre de leur géniteur." Toujours cette légende que la littérature serait l'invention d'une élite pour entretenir un entre-soi et mettre à distance les manants.
- "Dès lors, que gagne-t-on à cette distinction stérile ?" Stérile ? Non. Ce que l'on y gagne ? De savoir ce qu'on écrit, ce qu'on veut écrire, ce qu'est écrire pour.... progresser dans l'écriture, aller vers plus profond, plus vrai, plus authentique, plus riche, plus singulier, plus universel.
- "Autant séparer le poète du rimeur" : bien sûr. On peut rimer sans être poète et être poète sans rimer.
- "ou l’humaniste du rêveur " : je ne comprends pas.
- "Auteur et écrivain sont un seul être aux mille visages." Non.
- "Laissez-les donc écrire en paix, car du chaos de leurs mots naît la beauté de nos mondes." : nous y voilà. Vous vous feriez l'avocat, le défenseur des humbles "auteurs" qui seraient malmenés par les propos élitistes de doctes et de savants méprisants : c'est une légende. Je ne méprise personne. Je suis moi-même un humble écriveur qui fait ce qu'il peut avec sa modeste plume (voir Ernesto Férié, 2018-2024 une expérience d'écriture)
- "Et à ceux qui insistent à diviser, je dirai simplement : « Prenez donc une plume et tâchez de faire mieux ! » : prenez une plume ? C'est fait (voir point précédent). De faire mieux que qui ? Que les humbles auteurs censés être malmenés par les propos d'une élite. Je ne cesse de dire que je suis dans le même bain que tous les écriveurs de ce site : je fais ce que je peux, et c'est très bien ainsi.
- "Peut-être finirez-vous en Robbe-Grillet, qualifié ici d’écrivain et pourtant auteur de phrases si maigres qu’elles jeûneraient d’elles-mêmes, ce qui ne vaudrait guère mieux que d’achever vos jours en robe de bure, grattant du parchemin pour écrire l’éloge d’un silence" : Je ne partage pas votre jugement sur Robbe-Grillet. C'est un écrivain et, qui plus est, un écrivain passionnant.
Bisous
Constantin
Ô chers gens lettrés et doctes savants, qui triturez la langue de Molière pour mieux la chérir, prêtez-moi l’oreille, car je m’en viens bouter dehors cette sotte division entre auteur et écrivain, tout aussi saugrenue qu’un fromage sans pain !
Qu’est-ce donc qu’un auteur, sinon celui qui prend la plume pour conter, narrer, enluminer l’imaginaire ? Qu’est-ce donc qu’un écrivain, sinon un auteur qui s’enorgueillit d’un titre un peu plus poli ? D’aucuns prétendent que l’écrivain, noble de son art, façonne des chefs-d’œuvre immortels, tandis que l’auteur, humble manant des mots, n’aurait que l’audace de jeter des historiettes à la volée. Et pourtant, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre sinon une histoire bien racontée ?
Le noble Victor Hugo, écrivain s’il en fut, ne fut-il point aussi auteur de mille péripéties pour garnir les veillées ? Et ce bon La Fontaine, avec ses fables pleines de ruses animales, aurait-il accepté qu’on le relègue au rang d’auteur pour avoir trop conté ? Laissez-moi vous dire que ce serait là injure à la littérature et félonie envers les Muses elles-mêmes.
Car la littérature est comme un bon pot-au-feu : elle ne se soucie guère si le cuisinier est étoilé ou simplement gourmand, pourvu que le bouillon soit riche et la viande tendre. Il en va de même pour les mots : qu’ils soient nés sous une plume érudite ou spontanée, qu’ils surgissent du cœur ou du cerveau, ils n’ont cure du titre de leur géniteur.
Dès lors, que gagne-t-on à cette distinction stérile ? Autant séparer le poète du rimeur, ou l’humaniste du rêveur ! Auteur et écrivain sont un seul être aux mille visages. Laissez-les donc écrire en paix, car du chaos de leurs mots naît la beauté de nos mondes. Et à ceux qui insistent à diviser, je dirai simplement : « Prenez donc une plume et tâchez de faire mieux ! » Peut-être finirez-vous en Robbe-Grillet, qualifié ici d’écrivain et pourtant auteur de phrases si maigres qu’elles jeûneraient d’elles-mêmes, ce qui ne vaudrait guère mieux que d’achever vos jours en robe de bure, grattant du parchemin pour écrire l’éloge d’un silence !
@Catarina Viti
Oui, et le problème avec les "histoires", c'est que ça débouche presque à tous les coups (en réalité, à tous les coups) sur le lieu commun. Le texte devient alors une coquille vide, une forme formelle qui imite des formes littéraires qui, elles, ont été conçues une seule fois et pour un seul livre par le travail d'élaboration d'un unique écrivain. L'histoire c'est vraiment le lieu commun, le lieu social du consensus. Il y a quelque chose d'autistique, en quelque sorte, à vouloir marcher tout le temps dans les mêmes empreintes. C'est rassurant de croire reconnaître ce qu'on croit connaître. En vrai, on ne connaît rien : mais on dispose de soi pour tenter de s'explorer, et d'explorer le monde et les autres, à partir de ce que ce monde et ces autres font à soi. Connais-toi toi-même.
P.S. : "vibrations" c'est un peu comme les "tropismes" de Sarraute.
PPS : sous-modalités de l'expérience ? ça mériterait un article, ça, non ?
Nos vies sont probablement un peu tout, sauf des histoires. "Vibrations" est très intéressant.
J'ajoute : à ce propos, la PNL a ouvert une voie absolument fascinante "les sous-modalités de l'expérience". Sans mettre ce mot en avant, Kerouac par exemple ou Woolf se sont fait les champions des sous-modalités.
@Catarina Viti : (je ne parle que de littérature parce que je ne lis que de la littérature. Ce n'est pas par snobisme, c'est parce que mon esprit a été formé par la lecture de grands auteurs.)
Il faudrait interroger la notion d'histoire. Que nous nous représentions notre vie comme une succession d'histoires qui nous arrivent est un présupposé tout à fait contestable. C'est pour ça que je propose "vibrations". Cela nomme certainement mieux ce qui nous arrive que le mot "histoires". Du coup, l'écrivain qui cherche par l'écriture à retrouver la vie authentiquement vécue orienterait sa recherche non pas vers les histoires qu'il aurait vécues (qui seraient, d'une manière directe ou fictionnalisée, à raconter) mais vers ces vibrations. Le postulat de départ est d'une importance capitale pour qui écrit : qu'est-ce que ma vie ? Une suite d'histoires ou autre chose ?
@Zoé Florent (@carpov)
Bonjour Zoé (et bonjour carpav car je retrouve le mot "personnel" dans vos deux commentaires donc je vous réponds là-dessus à tous deux en même temps).
Je ne cherche pas à dire ce qu'est pour moi l'écriture, mais ce qu'elle est tout court. Je m'appuie pour cela sur mes lectures et sur ce que les écrivains ont dit eux-mêmes de la littérature. Or, il se trouve qu'ils disent à peu près tous la même chose.
Je parle d'écrivains et de littérature, bien sûr. Nous, écriveurs consciencieux et sympathiques, nous sommes évidemment libres de faire ce que nous voulons, selon une conception personnelle de l'écriture, ou même d'écrire sans aucune conception de l'écriture, juste pour se faire plaisir. Je crois que c'est là le point important : quand je mentionne les écriveurs amateurs, c'est toujours pour mieux approcher (par contraste) ce qu'est un écrivain. C'est pour ça que je trouve l'écriture amatrice (la mienne, donc, par exemple) intéressante à pratiquer et intéressante à observer chez les autres. On voit que nous sommes parfois plus ou moins en chemin vers la littérature. Mais que nous sommes encore loin du compte. D'où ma question : qu'est-ce qui sépare cette écriture amatrice de l'écriture littéraire ?
@Thierry Rucquois : "Tout cela est bien trop subtil pour moi" ? C'est de l'ironie ? Vous vous trouvez vraiment insuffisamment subtil ? Pour le coup, c'est moi qui ne comprends pas votre commentaire.
@Tomoe Gozen : c'est drôle cette posture que vous avez de ne "participer au débat" que par des petites phrases (celle-ci, vous en abusez, si je puis me permettre). Engagez-vous, qu'ils disaient : développez, chère amie. Enfin, si vous voulez. Bisous.
Si l'écrivain est un écrivain, il ne se dissout pas dans le narrateur.
Voilà, tout est résumé.
Et c'est une évidence. (A condition, bien entendu, qu'on parle bien de littérature. Un présupposé loin d'être une évidence...)
@Thierry Rucquois Subtil n'est pas l'épithète qui m'est venu à l'esprit, mais comme vous, je suis venue, j'ai lu et je repars :-).... non sans remercier l'auteur (@Constantin Malheur) au préalable pour ce partage aussi personnel que fouillé.
Bizz et bon week-end à tous,
Michèle
"Mais ces mêmes auteurs font bâiller le lecteur qui veut la chair et le sang de la langue, et les scénarios les plus excitants lui tombent des mains avant la dixième pages."
-> Dixième page, vous êtes gentille, moi c'est avant la dixième ligne :-)
"Comme si narration et écriture se renvoyaient dos à dos. Mais, objecterez-vous, il existe bien des « narrateurs-écrivains », non ?"
-> Stevenson ? Jack London ? Conrad ? (après, j'avoue, il faudrait que je réfléchisse) Je me suis posé cette question aussi : ma réponse est que l'écrivain écrit (au sens intransitif, dirait St-Bleyras) et que c'est le lecteur qui se raconte (ou non) une (ou plusieurs) "histoire(s)". Autrement dit, le "narrateur" c'est seulement le point de vue où l'écrivain installe le lecteur pour entrer dans son livre. Si l'écrivain est un écrivain, il ne se dissout pas dans le narrateur.
(Le lecteur et "l'auteur/narrateur" sont situés sur un même lieu commun qu'on appelle à tort ou à raison "l'histoire". Mais "l'histoire" chez un écrivain, c'est tout un monde, ça dépasse infiniment l'histoire-lieu commun.
@Catarina Viti : lol. Nous donneriez-vous un lien vers l'article où figure cette citation ?
@St-Bleyras
Je vois où est la source de votre enthousiasme pour l'écriture et je crois que nous avons la même.
"Que m'apporterait ce faire sans autre projet conscient que lui-même ?"
"Qui ai-je envie de retrouver en écrivant ?"
Pour la réponse à ces deux questions, voir vos textes :-)
Votre texte est un enrichissement. Il m'a rappelé une assertion de René Etiemble, curieusement formulée en anglais, que j'ai notée il y a longtemps, alors que je butais sur mon blocage à l'idée d'écrire un roman : "A novel tells a story." Cette pensée ne m'aidait pas beaucoup, puisque je ne voyais pas l'évidence d''une solution : écrire, mais pas un roman car pas une histoire.
Aujourd'hui, ce qui me fait réfléchir, c'est cet emploi intransitif, absolu dirait-on, du verbe écrire. Non pas écrire ceci ou cela, une histoire ou pas une histoire, mais écrire.
Quand je me dis : "tiens, j'ai envie d'écrire, maintenant ou ce soir, qu'importe, mais j'ai envie d'écrire", qu'attends-je de cet agir : écrire ? Que m'apporterait ce faire sans autre projet conscient que lui-même ? Qui ai-je envie de retrouver en écrivant ?
Bonjour @Catarina Viti, de qui est la citation, svp ?
Bonjour @carpov, certes, sauf si on va voir du côté de Racine ou de Claudel ou même chez Molière les comédies en vers, non ? A part ça, je n'essaye pas de formuler une règle mais de comprendre le mystère qui fait qu'on passe de "je voudrais une baguette pas trop cuite" à "longtemps je me suis couché de bonne heure". A plus dans le bus !
Très beau texte Monsieur Constantion Malheur, qui fait état cependant d'une conception toute personnelle de l'écriture, à laquelle on pourrait objecter ce que disait Molière : "Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi le bon chemin".
Merci pour ce moment riche de réflexion.
Il y a de la rumba dans l'air, on dirait...
Et cet air me rappelle quelque chose...
"L’écrivain utilise l’écriture comme une argile avec laquelle il modèle ses mondes, un marbre dans lequel il sculpte son oeuvre. Il n’intervient pas qu’au niveau de l’histoire, ou disons plutôt que s’il a besoin d’une histoire, c’est uniquement pour l’utiliser comme support, comme prétexte, comme aimant ; mais jamais l’histoire ne prendra le pas sur le travail alchimique du verbe."
Publié le 10 Janvier 2025
Constantin Malheur
Biographie
Membre pendant quelque temps du club de lecture de monBestSeller, j'ai aussi participé au site en y proposant quelques tribunes...
Ce livre est noté par
Que l'histoire et l'écriture cheminent ensemble, évidemment. Car l'histoire est le véhicule : et l'on peut jouer de toutes les métaphores avec cette image. Mais que transporte-t-elle, n'est-ce pas? qu'a-t-elle dans le coffre (aux sens figuré et propre)... d'où les 5 niveaux de lecture les plus souvent exigés d'une oeuvre littéraire (historique/dramaturgique, sociologique, philosophique, psychologique, psychanalytique...)
@Cortex
Ne vous est-il venu à l'esprit (vous avez choisi le pseudonyme de Cortex, tout de même !) que l'histoire et l'écriture pouvaient avancer du même pas ?
PS : Refermez toutes le parenthèses que vous voulez, mais je ne trouve pas très gentil de conforter le ci-devant Malheur dans sa théorisation de son incapacité d'écrire.
C'est tout l'intérêt de cet échange : l'histoire est-elle un prétexte ou le but, un moyen ou une issue, un sujet ou un objet... une façade, peut-être bien chez nombre d'écrivains, un second plan. Qui permet le contre-champ.
@Cortex
L'histoire racontée en second plan ? Vous êtes un comique, vous !
@Gabriel Schmitt
J'adore !!!
Le même André Gide qui avait l’ironie de demander aux autres qu’ils lui expliquent ses écrits, ironie qu’il expliquait à son tour en préface de "Paludes" : « On dit toujours plus que CELA. ‒ Et ce qui surtout m’y intéresse, c’est ce que j’y ai mis sans le savoir, ‒ cette part d’inconscient, que je voudrais appeler la part de Dieu. » Ou de qui l'on voudra. D'une vérité que le travail d'écriture révèle. Ce qui rejoint le texte de Constantin, et met l'histoire racontée en second plan. Parenthèse refermée :)
@Constantin Malheur
Je me réfère également à votre tribune : « L'écriture : un voyage intérieur vers la vérité » et vous livre mon commentaire bienveillant.
Ce qui est surprenant lorsque vous faites le lien entre l’acte d’écrire et la littérature, outre qu’il est contestable (on peut opposer à chacune de vos assertions des exemples précis de son contraire), c’est la manière dont vous en débattez. Vous ne menez pas le débat, vous affirmez vos certitudes comme certains font du prosélytisme. En tentant de donner un avis contraire on devient apocryphe. Votre verdict n’est pourtant pas universel, car la littérature ainsi que la façon de la définir et d’apprécier les œuvres des écrivains, existe aussi en dehors de la France.
En France comme ailleurs, chaque époque a eu ses chefs-d’œuvre, ses formes narratives et ses règles, en commençant par les chansons de geste pour la France. Dans ses mémoires, Alexandre Dumas explique sa manière : « Je commence par combiner une fable ; je tâche de la faire romanesque, tendre, dramatique, et, lorsque la part du cœur et de l’imagination est trouvée, je cherche dans l’histoire un cadre où la mettre ». Parmi les concurrents de Dumas, Eugène Sue connaît un franc succès avec Les Mystères de Paris. Dumas comprend qu'il y a de l'argent à gagner. Les Trois Mousquetaires est un coup de maître, suivra bientôt le comte de Monte-Cristo. La littérature n’est pas uniquement l’œuvre d’un Marcel Proust, il semble que ses œuvres ne soient pas universelles : il n’apparaît pas dans le top 50 de l’index Translationum, géré par l’UNESCO qui liste les auteurs les plus traduits dans le monde (Jules Vernes deuxième, Alexandre Dumas treizième, Honoré de Balzac trente-deuxième). Référence de la littérature postmoderne, l’américain Paul Auster affirmait pour sa part : « écrire un roman, c'est raconter une histoire. Ce sont les gens que vous faites vivre qui donnent le ton du roman, la couleur des mots qui sortent de la plume. »
Écrire pour trouver la vérité, quelle vérité, n’est-ce pas ? Attention à la dispersion, comme l’écrivait Gide : « C'est avec les beaux sentiments qu'on fait de la mauvaise littérature », j'aurais aussi bien pu écrire que les meilleures intentions font souvent les pires œuvres d'art et que l'artiste risque de dégrader son art à le vouloir édifiant ».
@Constantin Malheur
A qui sait lire, je trouve que mon dernier commentaire se suffit à lui-même. Développer ? Développer quoi, grands dieux ? Au risque d'ajouter d'ajouter du gargouillis au clapotis ? Non merci.
Ah là là ! Si j'aurais su, j'aurais pas venu...
PS : Tout le monde s'en balance, certes, mais je tiens Nathalie Sarraute pour un immense écrivain (la féminisation forcenée de tous les mots du dictionnaire me fait le même effet que l'écriture inclusive).
@Joker380
Et c'est d'ailleurs à partir de ses propres oeuvres (dans les années 30) qu'elle pense l'écriture de ce livre. Qu'elle ait annoncé le "Nouveau Roman" sans le nommer, c'est certain, mais elle n'en revendique pas la maternité, ni ne s'en réclame. Et donc ne s'en est pas éloignée car - et elle le dit avec insistance - elle n'en a jamais fait partie. Je vous invite à écouter ses entretiens, c'est passionnant :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-nathalie-sarraute-l-ecriture-en-mouvement
@Cortex Avez-vous lu « L’ère du soupçon » (écrit en 1950 et publié, avec d’autres textes, en 1956) de Nathalie Sarraute ? Elle y pose incontestablement les bases du "nouveau roman" en affirmant la nécessité de déconstruire le roman traditionnel. Elle appelle à un “soulèvement” contre le roman classique dont le modèle le plus illustratif est pour elle roman balzacien. Qu’elle se soit éloignée ensuite de ce nihilisme littéraire, c’est bien possible ; et il faut toujours pardonner aux repentis !
C'est une façon de parler des sous-modalités de l'expérience : https://www.youtube.com/watch?v=0RGe8rhI0gM
Pour info @Joker380 , Nathalie Sarraute a démenti appartenir à ce courant du "Nouveau Roman" (entretien France Culture "A voix nue"), elle ne fréquentait pas ces auteurs. Nathalie Sarraute qui laissera bien sûr une empreinte indélébile et éternelle dans la littérature française. Se méfier donc des courants littéraires : ils sont souvent une "fabrication" des enseignants de littérature et des littérateurs. C'est une commodité de ranger les écrivains dans des compartiments, c'est aussi une manière de les apprivoiser (voire de les dompter).
Merci @Constantin Malheur pour ce texte brillant. Quant à la différence entre un auteur et un écrivain, vous avez raison, il est légitime de l'établir. On ne mélange pas les torchons et les serviettes (même si, avec le temps, les uns peuvent devenir les autres et inversement). Il est bon en effet de dire à ceux qui se disent "écrivains" ce qu'est un écrivain, et si donc ils le sont, d'où l'importance de "théoriser" cette différence.
@Tomoe Gozen
Auriez-vous la patience de développer un peu, svp ?
Puis-je essayer de mettre tout le monde d'accord en risquant qu'entre un auteur et un écrivain, la différence n'est pas de nature mais de degré ?
Cher @Joker380,
Vous savez, moi, dès l’instant que la respectable confrérie des auteurs de mBS ne me harcèle pas et ne m’envoie pas de « trolls savants » (etc.) pour me péter la gueule, ça me va très bien.
Restons joyeusement et pacifiquement et respectueusement irréconciliables.
Chacun défend ce en quoi il croit, c’est normal.
Bisous
Cher @Constantin Malheur, nos désaccords se tiennent avec une légitimité que nul ne saurait contester, mais nos positions me semblent des plus irréconciliables.
Concernant cette respectable confrérie des auteurs MBS, point n’est besoin de leur prêter des ambitions littéraires qu’ils ne revendiquent pas. Loin d’une quête de singularité, il semble qu’ils aient choisi la plaine démocratique des mots, là où toute hiérarchie s’efface au profit d’une heureuse égalité. Et ma foi, pourquoi s’embarrasser de différences là où ils n’en voient l’utilité ? Afin de ne pas me répéter, je m’intéresserai au seul cas « Robbe-Grillet » que vous tenez en très haute estime.
Le nouveau roman, ce courant littéraire des années cinquante, mené par Alain Robbe-Grillet et Nathalie Sarraute, fut accueilli en son temps avec enthousiasme, tel un gentilhomme en habits flamboyants faisant son entrée au banquet des Lettres. Mais la fièvre s’éteignit aussi vite qu’elle était apparue ! Robbe-Grillet, chevalier des descriptions infinies, s’appliquait à détailler une poignée de sable ou une goutte d’eau avec la ferveur d’un moine copiste, sans se rendre compte qu’un livre sans âme court le risque d’être aussi captivant qu’un inventaire de l’an 1325. À l’image d’un paon déployant son plumage pour cacher un bec bien terne, le nouveau roman s’enorgueillit de détrôner les récits classiques, rejetant personnages, intrigues et toute psychologisation, comme on balaye les miettes d’un festin passé.
Où trouve-t-on aujourd’hui quelque trace de cet art sans artifice ? On la cherche encore. Dans l’histoire littéraire, cette trace, si jamais elle existe, n’est qu’un souffle discret, une expérimentation stylistique osée, sans émotion, dans laquelle la plume est creuse comme un calice sans vin. Quelle triste postérité !
Bonjour @Joker380 et merci d'avoir pris le temps de développer votre propos.
C'est d'autant plus précieux que, à mon avis, vous vous faites le porte-parole de beaucoup de personnes de ce site, en formulant ce que, pour ma part, je considère comme "la légende mBS", une légende qui, précisément, vit de la confusion entre écrivains et, disons, preneurs de plumes (vous savez que j'utilise maintenant le mot "écriveur" qui me semble plus neutre que le "zoteur" trop polémique de Tomache Diafoirus).
Vous voulez qu'on ne distingue pas, je pense qu'il est nécessaire de distinguer si l'on veut savoir ce qu'on écrit. Et je ne pense pas qu'on puisse approcher de la littérature (le seul but qui m'enthousiasme, me passionne) sans savoir ce qu'on écrit, ce qu'on veut écrire, ce qu'est écrire.
Maintenant j'essaye de vous répondre point par point :
- "Ô chers gens lettrés et doctes savants" : fait selon moi partie de cette légende mBS qu'il y aurait sur le site quelques intellos (qui, jadis, suscitèrent "le troll savant") qui se la pèteraient, une élite élitiste qui, somme toute, n'aurait rien à faire sur le site, lequel serait réservé à des gens qui écrivent sans prétention (comprendre "prétention littéraire") et pour se faire plaisir
- "pour mieux la chérir" : tout à fait
- "sotte division entre auteur et écrivain" : sotte ? non
- "Qu’est-ce donc qu’un auteur, sinon celui qui prend la plume pour conter, narrer, enluminer l’imaginaire ?" : conter, narrer, raconter : oui, c'est sans doute ce que se fixent comme but les preneurs de plumes amateurs d'écriture (et c'est très bien)
- "Qu’est-ce donc qu’un écrivain, sinon un auteur qui s’enorgueillit d’un titre un peu plus poli ?" Où l'on rejoint la légende : l'écrivain n'existerait pas, ce serait seulement l'orgueil des intellos élitistes qui inventerait ce titre par snobisme.
- "D’aucuns prétendent que l’écrivain, noble de son art, façonne des chefs-d’œuvre immortels..." : je le dis en effet.
- "...tandis que l’auteur, humble manant des mots, n’aurait que l’audace de jeter des historiettes à la volée. " : encore la légende de l'humilité de "l'auteur" vs l'orgueil de l'écrivain. Qu'on raconte des histoires, ce n'est pas un problème. Je dis seulement que ce n'est pas ça que fait l'écrivain. Raconter une histoire est un acte social. Quand on raconte, on socialise, et, pour cela, on reste dans le consensus, le conventionnel, ce qu'on croit être le connu. L'écrivain ne socialise pas, il explore le mystère de sa vie à partir des traces (vibrations) imprimées en lui par cette vie. Quand on raconte une histoire, on s'impose une forme conventionnelle, alors que l'écrivain part des traces laissées en lui pour leur donner une forme singulière. A mon avis, c'est le lecteur qui projette sur cette forme son habitude (sociale) qu'on lui raconte des histoires. Libre à lui, d'ailleurs. Mais la forme d'un grand roman dépasse de très loin "l'histoire".
- "Le noble Victor Hugo, écrivain s’il en fut, ne fut-il point aussi auteur de mille péripéties pour garnir les veillées ? Et ce bon La Fontaine, avec ses fables pleines de ruses animales, aurait-il accepté qu’on le relègue au rang d’auteur pour avoir trop conté ?" Victor Hugo est un visionnaire, il ne raconte pas des histoires, il met en forme des visions où s'affrontent des grandes forces cosmiques. Les contes traditionnels racontés à la veillée font cela aussi : voir la psychanalyse des contes de fées (par exemple) de Bettelheim. Quant à la Fontaine, comparez-le avec Esope et vous verrez que ce qui fait la beauté des fables tient beaucoup plus à leur mise en musique (rythme et sonorité) qu'à leur "morale" ou à la suite apparente d'événements qu'elles rapportent.
- "Car la littérature est comme un bon pot-au-feu : elle ne se soucie guère si le cuisinier est étoilé ou simplement gourmand, pourvu que le bouillon soit riche et la viande tendre. Il en va de même pour les mots : qu’ils soient nés sous une plume érudite ou spontanée, qu’ils surgissent du cœur ou du cerveau, ils n’ont cure du titre de leur géniteur." Toujours cette légende que la littérature serait l'invention d'une élite pour entretenir un entre-soi et mettre à distance les manants.
- "Dès lors, que gagne-t-on à cette distinction stérile ?" Stérile ? Non. Ce que l'on y gagne ? De savoir ce qu'on écrit, ce qu'on veut écrire, ce qu'est écrire pour.... progresser dans l'écriture, aller vers plus profond, plus vrai, plus authentique, plus riche, plus singulier, plus universel.
- "Autant séparer le poète du rimeur" : bien sûr. On peut rimer sans être poète et être poète sans rimer.
- "ou l’humaniste du rêveur " : je ne comprends pas.
- "Auteur et écrivain sont un seul être aux mille visages." Non.
- "Laissez-les donc écrire en paix, car du chaos de leurs mots naît la beauté de nos mondes." : nous y voilà. Vous vous feriez l'avocat, le défenseur des humbles "auteurs" qui seraient malmenés par les propos élitistes de doctes et de savants méprisants : c'est une légende. Je ne méprise personne. Je suis moi-même un humble écriveur qui fait ce qu'il peut avec sa modeste plume (voir Ernesto Férié, 2018-2024 une expérience d'écriture)
- "Et à ceux qui insistent à diviser, je dirai simplement : « Prenez donc une plume et tâchez de faire mieux ! » : prenez une plume ? C'est fait (voir point précédent). De faire mieux que qui ? Que les humbles auteurs censés être malmenés par les propos d'une élite. Je ne cesse de dire que je suis dans le même bain que tous les écriveurs de ce site : je fais ce que je peux, et c'est très bien ainsi.
- "Peut-être finirez-vous en Robbe-Grillet, qualifié ici d’écrivain et pourtant auteur de phrases si maigres qu’elles jeûneraient d’elles-mêmes, ce qui ne vaudrait guère mieux que d’achever vos jours en robe de bure, grattant du parchemin pour écrire l’éloge d’un silence" : Je ne partage pas votre jugement sur Robbe-Grillet. C'est un écrivain et, qui plus est, un écrivain passionnant.
Bisous
Constantin
Ô chers gens lettrés et doctes savants, qui triturez la langue de Molière pour mieux la chérir, prêtez-moi l’oreille, car je m’en viens bouter dehors cette sotte division entre auteur et écrivain, tout aussi saugrenue qu’un fromage sans pain !
Qu’est-ce donc qu’un auteur, sinon celui qui prend la plume pour conter, narrer, enluminer l’imaginaire ? Qu’est-ce donc qu’un écrivain, sinon un auteur qui s’enorgueillit d’un titre un peu plus poli ? D’aucuns prétendent que l’écrivain, noble de son art, façonne des chefs-d’œuvre immortels, tandis que l’auteur, humble manant des mots, n’aurait que l’audace de jeter des historiettes à la volée. Et pourtant, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre sinon une histoire bien racontée ?
Le noble Victor Hugo, écrivain s’il en fut, ne fut-il point aussi auteur de mille péripéties pour garnir les veillées ? Et ce bon La Fontaine, avec ses fables pleines de ruses animales, aurait-il accepté qu’on le relègue au rang d’auteur pour avoir trop conté ? Laissez-moi vous dire que ce serait là injure à la littérature et félonie envers les Muses elles-mêmes.
Car la littérature est comme un bon pot-au-feu : elle ne se soucie guère si le cuisinier est étoilé ou simplement gourmand, pourvu que le bouillon soit riche et la viande tendre. Il en va de même pour les mots : qu’ils soient nés sous une plume érudite ou spontanée, qu’ils surgissent du cœur ou du cerveau, ils n’ont cure du titre de leur géniteur.
Dès lors, que gagne-t-on à cette distinction stérile ? Autant séparer le poète du rimeur, ou l’humaniste du rêveur ! Auteur et écrivain sont un seul être aux mille visages. Laissez-les donc écrire en paix, car du chaos de leurs mots naît la beauté de nos mondes. Et à ceux qui insistent à diviser, je dirai simplement : « Prenez donc une plume et tâchez de faire mieux ! » Peut-être finirez-vous en Robbe-Grillet, qualifié ici d’écrivain et pourtant auteur de phrases si maigres qu’elles jeûneraient d’elles-mêmes, ce qui ne vaudrait guère mieux que d’achever vos jours en robe de bure, grattant du parchemin pour écrire l’éloge d’un silence !
@Catarina Viti
Oui, et le problème avec les "histoires", c'est que ça débouche presque à tous les coups (en réalité, à tous les coups) sur le lieu commun. Le texte devient alors une coquille vide, une forme formelle qui imite des formes littéraires qui, elles, ont été conçues une seule fois et pour un seul livre par le travail d'élaboration d'un unique écrivain. L'histoire c'est vraiment le lieu commun, le lieu social du consensus. Il y a quelque chose d'autistique, en quelque sorte, à vouloir marcher tout le temps dans les mêmes empreintes. C'est rassurant de croire reconnaître ce qu'on croit connaître. En vrai, on ne connaît rien : mais on dispose de soi pour tenter de s'explorer, et d'explorer le monde et les autres, à partir de ce que ce monde et ces autres font à soi. Connais-toi toi-même.
P.S. : "vibrations" c'est un peu comme les "tropismes" de Sarraute.
PPS : sous-modalités de l'expérience ? ça mériterait un article, ça, non ?
Nos vies sont probablement un peu tout, sauf des histoires. "Vibrations" est très intéressant.
J'ajoute : à ce propos, la PNL a ouvert une voie absolument fascinante "les sous-modalités de l'expérience". Sans mettre ce mot en avant, Kerouac par exemple ou Woolf se sont fait les champions des sous-modalités.
@Catarina Viti : (je ne parle que de littérature parce que je ne lis que de la littérature. Ce n'est pas par snobisme, c'est parce que mon esprit a été formé par la lecture de grands auteurs.)
Il faudrait interroger la notion d'histoire. Que nous nous représentions notre vie comme une succession d'histoires qui nous arrivent est un présupposé tout à fait contestable. C'est pour ça que je propose "vibrations". Cela nomme certainement mieux ce qui nous arrive que le mot "histoires". Du coup, l'écrivain qui cherche par l'écriture à retrouver la vie authentiquement vécue orienterait sa recherche non pas vers les histoires qu'il aurait vécues (qui seraient, d'une manière directe ou fictionnalisée, à raconter) mais vers ces vibrations. Le postulat de départ est d'une importance capitale pour qui écrit : qu'est-ce que ma vie ? Une suite d'histoires ou autre chose ?
@Zoé Florent (@carpov)
Bonjour Zoé (et bonjour carpav car je retrouve le mot "personnel" dans vos deux commentaires donc je vous réponds là-dessus à tous deux en même temps).
Je ne cherche pas à dire ce qu'est pour moi l'écriture, mais ce qu'elle est tout court. Je m'appuie pour cela sur mes lectures et sur ce que les écrivains ont dit eux-mêmes de la littérature. Or, il se trouve qu'ils disent à peu près tous la même chose.
Je parle d'écrivains et de littérature, bien sûr. Nous, écriveurs consciencieux et sympathiques, nous sommes évidemment libres de faire ce que nous voulons, selon une conception personnelle de l'écriture, ou même d'écrire sans aucune conception de l'écriture, juste pour se faire plaisir. Je crois que c'est là le point important : quand je mentionne les écriveurs amateurs, c'est toujours pour mieux approcher (par contraste) ce qu'est un écrivain. C'est pour ça que je trouve l'écriture amatrice (la mienne, donc, par exemple) intéressante à pratiquer et intéressante à observer chez les autres. On voit que nous sommes parfois plus ou moins en chemin vers la littérature. Mais que nous sommes encore loin du compte. D'où ma question : qu'est-ce qui sépare cette écriture amatrice de l'écriture littéraire ?
@Thierry Rucquois : "Tout cela est bien trop subtil pour moi" ? C'est de l'ironie ? Vous vous trouvez vraiment insuffisamment subtil ? Pour le coup, c'est moi qui ne comprends pas votre commentaire.
@Tomoe Gozen : c'est drôle cette posture que vous avez de ne "participer au débat" que par des petites phrases (celle-ci, vous en abusez, si je puis me permettre). Engagez-vous, qu'ils disaient : développez, chère amie. Enfin, si vous voulez. Bisous.
Et voilà pourquoi votre fille est muette...
Si l'écrivain est un écrivain, il ne se dissout pas dans le narrateur.
Voilà, tout est résumé.
Et c'est une évidence. (A condition, bien entendu, qu'on parle bien de littérature. Un présupposé loin d'être une évidence...)
@Thierry Rucquois Subtil n'est pas l'épithète qui m'est venu à l'esprit, mais comme vous, je suis venue, j'ai lu et je repars :-).... non sans remercier l'auteur (@Constantin Malheur) au préalable pour ce partage aussi personnel que fouillé.
Bizz et bon week-end à tous,
Michèle
@Constantin Malheur
Je ne comprends rien à tous ces commentaires. Tout cela est bien trop subtil pour moi.
Pas grave, je suis venu, je suis repartu...
@Catarina Viti
"Mais ces mêmes auteurs font bâiller le lecteur qui veut la chair et le sang de la langue, et les scénarios les plus excitants lui tombent des mains avant la dixième pages."
-> Dixième page, vous êtes gentille, moi c'est avant la dixième ligne :-)
"Comme si narration et écriture se renvoyaient dos à dos. Mais, objecterez-vous, il existe bien des « narrateurs-écrivains », non ?"
-> Stevenson ? Jack London ? Conrad ? (après, j'avoue, il faudrait que je réfléchisse) Je me suis posé cette question aussi : ma réponse est que l'écrivain écrit (au sens intransitif, dirait St-Bleyras) et que c'est le lecteur qui se raconte (ou non) une (ou plusieurs) "histoire(s)". Autrement dit, le "narrateur" c'est seulement le point de vue où l'écrivain installe le lecteur pour entrer dans son livre. Si l'écrivain est un écrivain, il ne se dissout pas dans le narrateur.
(Le lecteur et "l'auteur/narrateur" sont situés sur un même lieu commun qu'on appelle à tort ou à raison "l'histoire". Mais "l'histoire" chez un écrivain, c'est tout un monde, ça dépasse infiniment l'histoire-lieu commun.
https://catarinaviti.com/2024/06/18/auteur-ou-ecrivain/
@Catarina Viti : lol. Nous donneriez-vous un lien vers l'article où figure cette citation ?
@St-Bleyras
Je vois où est la source de votre enthousiasme pour l'écriture et je crois que nous avons la même.
"Que m'apporterait ce faire sans autre projet conscient que lui-même ?"
"Qui ai-je envie de retrouver en écrivant ?"
Pour la réponse à ces deux questions, voir vos textes :-)
Il m'arrive de me citer moi même !!! Warf warf warf.
@Constantin Malheur
Votre texte est un enrichissement. Il m'a rappelé une assertion de René Etiemble, curieusement formulée en anglais, que j'ai notée il y a longtemps, alors que je butais sur mon blocage à l'idée d'écrire un roman : "A novel tells a story." Cette pensée ne m'aidait pas beaucoup, puisque je ne voyais pas l'évidence d''une solution : écrire, mais pas un roman car pas une histoire.
Aujourd'hui, ce qui me fait réfléchir, c'est cet emploi intransitif, absolu dirait-on, du verbe écrire. Non pas écrire ceci ou cela, une histoire ou pas une histoire, mais écrire.
Quand je me dis : "tiens, j'ai envie d'écrire, maintenant ou ce soir, qu'importe, mais j'ai envie d'écrire", qu'attends-je de cet agir : écrire ? Que m'apporterait ce faire sans autre projet conscient que lui-même ? Qui ai-je envie de retrouver en écrivant ?
Bonjour @Catarina Viti, de qui est la citation, svp ?
Bonjour @carpov, certes, sauf si on va voir du côté de Racine ou de Claudel ou même chez Molière les comédies en vers, non ? A part ça, je n'essaye pas de formuler une règle mais de comprendre le mystère qui fait qu'on passe de "je voudrais une baguette pas trop cuite" à "longtemps je me suis couché de bonne heure". A plus dans le bus !
Il y a de la rumba dans l'air, on dirait...
Et cet air me rappelle quelque chose...
"L’écrivain utilise l’écriture comme une argile avec laquelle il modèle ses mondes, un marbre dans lequel il sculpte son oeuvre. Il n’intervient pas qu’au niveau de l’histoire, ou disons plutôt que s’il a besoin d’une histoire, c’est uniquement pour l’utiliser comme support, comme prétexte, comme aimant ; mais jamais l’histoire ne prendra le pas sur le travail alchimique du verbe."