C’était il y a presque quinze ans, dans la cave de mes grands-parents. Dans le tiroir d’un meuble déposé là, je fouillais avec la curiosité d’une enfant. Cette frénésie de découvrir des trésors dans cette vieille armoire, posée dans cette vieille maison, qui appartient à de (presque) vieilles personnes, est une force qui m’anime encore aujourd’hui. Les objets y dormaient depuis (trop) longtemps, et je me faisais l’archéologue de leur renaissance. Une pile de livres était posée là, je les sortis donc un par un. Ce sont les plus beaux joyaux que l’on puisse déterrer. Je les observai, minutieusement, emplie de la satisfaction d’une exploration réussie. Un était plus brillant que les autres, avec sa couverture kitsch et son titre aux promesses d’éternel : Un été dans l’Ouest, de Philippe Labro. Ce fut là que commença une douce histoire du temps, d’une lecture qui perdure, de l’amour d’un auteur. Philippe.
Cette première lecture marqua un tournant dans mon adolescence, tant elle rassemblait tous mes idéaux : la beauté des mots, une jeunesse fougueuse, un voyage libérateur et la quête d’une plénitude chimérique, inatteignable, mais toujours visible à l’horizon, si proche qu’il nous semble possible de l’effleurer des doigts, sans jamais réussir à la saisir vraiment. En y songeant, découvrir Labro à cet âge-là fut une bénédiction : il a nourri mon imagination, il a complété mes rêves de grandeur. Depuis mes 14 ans, je lis donc régulièrement un livre de plus de sa bibliographie, et je ne suis jamais déçue. Aujourd’hui, c’est l’un des auteurs dont je possède le plus d’ouvrages dans ma bibliothèque, et j’aime toujours m’y replonger. Chacun de ses livres est imprégné du moment de ma vie pendant lequel je le lisais. Y relire quelques pages, c’est comme revivre le passé.
Philippe a ce pouvoir de raconter son histoire, tout en racontant celle de quelqu’un d’autre. Il s’inspire de ses expériences oui, mais aussi des nôtres. Et cela donne une impression de déjà vu, comme un miroir. Une partie de nous-mêmes se reflète dans ses personnages, et pourtant, ils nous étonnent et deviennent de vieux amis dès lors qu’on les découvre. Ce sentiment d’entre-deux, de retranscription d’une banalité commune, mais unique en son genre, nous transporte au fil des pages, sans que l’on puisse s’arrêter ni voir le temps passer. Les histoires qu’il dépeint résonnent. Philippe, en quelque sorte, prend en otage la beauté du monde, des gens, des destins que l’on croise, des gouffres que l’on traverse. Il les capture pour que nous puissions en ressentir la teneur, ne serait-ce qu’un instant.
La magie de la littérature est qu’elle nous transporte, et nous vivons milles vies en une. Philippe sait ce qu’il en est. Traverser la noirceur de la dépression, parcourir les États-Unis, connaître un premier amour adolescent, fuir la guerre lorsqu’on n’est qu’un enfant, frôler la mort seul dans une chambre d’hôpital, et beaucoup d’autres destins mis sur papier. Il y a tant de vies à vivre, et Philippe nous en offre de belles à traverser. Nous apprenons sur l’autre et sur nous-mêmes à chaque lecture. Les sentiments sont décrits comme des vagues qui montent et qui descendent, sur une plage où le soleil se relève toujours. Philippe met des mots sur ce que je pensais indéchiffrable, et souvent j’ai songé : « C’est cela, c’est cela que je ressentais. » Il offre des voyages qui continuent même lorsqu’on clôt le livre. Et en cela, je dis : Philippe, tu es mon auteur préféré.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
On parle rarement de "Nord". Pourtant, c'est une pure merveille.
Si "Voyage", après tant de décennies, fait encore jaser... et délirer des auteurs qui croient pouvoir le faire (comme on croit pouvoir "faire du Picasso"), si "Mort à crédit" est rarement compris (sauf par exemple, par un certain Laurent M.(autrefois auteur ici), qui m'en a lu un passage, l'intro, en pleurant de vraies larmes), on ne cite que rarement "Nord". Dommage. Tout Céline, le meilleur de Céline est concentré dans "Nord".
Cela dit, je n'ai pas mémoire d'avoir lu Labro, mais votre article, @Lisa Laroche me donne envie de mieux connaître cet auteur, car ce qui compte, c'est le bonheur... quelque soit l'endroit où on le trouve. Le bonheur de lire, par exemple. S'extasier avant de clamser.
@Cécile de Volanges
Ce qui est merveilleux dans votre commentaire, c’est l’incontestable esprit de tolérance qu’il laisse deviner. Et ce désir – ou ce besoin – de juger et de classer, en attribuant des étoiles. Vous avez à l’évidence vos certitudes, daignez accepter que ceux qui pensent différemment de vous gardent les leurs. Au risque sinon que votre propos porte à croire que la vulgarité est décidément infranchissable.
@Michel Laurent
"Mort à crédit", très argotique et ennuyeux ? Ça, que c'est de la critique littéraire ! Dommage qu'on ne puisse étoiler les commentaires ; le vôtre mériterait une Voie lactée.
PS : À qui serait tenté de lire le "Voyage", pourquoi ne pas lui conseiller de ne lire qu'à partir de la trois centième page ?
Petite curiosité.
Le ‘dictionnaire des citations’ attribue à Philippe Labro dans « Les gens » (2009) la phrase suivante : « l'intelligence se mesure parfois à la quantité d'incertitudes qu'un esprit peut supporter ».
Sauf que le Figaro.fr attribue à peu près le même propos ( « On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter») à Emmanuel Kant. Et pour corser l’affaire, voilà que ChatGPT remplace ce dernier par l’épistémologue Karl R. Popper.
Doué d’une très faible intelligence, mon esprit a beaucoup de mal à supporter de telles incertitudes. Il faut de toute urgence organiser un face-à-face Labro-Kant. Peut-être sur le marché de Saint-Ouen...
Merci à tous pour vos commentaires variés et enrichissants!
@Phillechat 2 , c'est un plaisir de lire que j'ai pu attiser votre intérêt pour cet auteur! Il vous apportera peut-être une dose d'évasion!
@Fanny Dumond3, j'avais également découvert sur le tard que c'était Labro qui avait écrit ce roman. Je l'avais lu très jeune et n'en est que très peu de souvenirs. Peut-être devrais-je le feuilleter à nouveau! Merci pour votre commentaire :)
@Daniel Clément, je ne suis familière qu'avec ses romans, et sûrement que ses autres travaux pourraient compléter ma curiosité à son égard. Mille mercis pour votre commentaire, passez également de très belles fêtes!
@Michel Laurent, merci pour votre retour! Comme dit plus haut, je ne connais que ses romans, et votre note sur son travail de cinéaste me donne envie de le découvrir autrement. Je peux comprendre vos remarques, on ne peut pas toujours apprécier le style d'un auteur. Je pense que "Des cornichons au chocolat" est un livre qui est destiné à une part adolescente de nous-mêmes, et j'entends tout à fait que ça n'ait pas résonné en vous. Pour ma part, comme je l'ai écrit, son style me donne une impression de netteté quant aux émotions qu'il décrit. Je vous conseille "Un été dans l'ouest", la suite de "L'étudiant étranger", qui dépeint encore cette Amérique perdue. Merci beaucoup pour votre retour!
@FANNY DUMOND
Pour « Le voyage », si la troisième fois n’a pas été la bonne, essayez une quatrième ! (pour moi, c’est à la troisième que cela a marché). Quitte peut-être à sauter les quelques premières dizaines de pages qui traitent de la première guerre mondiale et qui ne sont pas les plus passionnantes. Vous vous laisserez ensuite embarquer dans le voyage qui se révélera être une véritable symphonie. Je n‘ai jamais rien lu de comparable à ce verbe, à cette écorchure et à cette brillance-là. Pour ce livre et uniquement celui-là. Le très argotique et ennuyeux « Mort à crédit » qui a suivi, est, pour moi, d’un point de vue littéraire, loin de valoir le « Voyage » . Bonnes fêtes à vous également.
Bonjour@Philippe LAURENT si je m'en souviens, c'est peut-être parce que j'ai été une ado, qu'à l'époque de sa sortie, j'étais une jeune maman et que je n'avais, pas encore, l'esprit critique pour analyser un texte en profondeur. Je pense que c'est en mûrissant et lorsqu'on passe de l'autre côté qu'il s'affine. Si je relisais ce roman, j'irais peut-être dans votre sens J'apprends, aujourd'hui, qu'il est de Labro alors que je pensais qu'il avait été écrit par une jeune femme. À part ça, sauf à le connaître de nom, je n'ai pas souvenir de l'avoir lu. Je retiens que Lisa Laroche nous invite à le découvrir et pourquoi pas le lire, c'est le but de partager nous coups de cœur pour un écrivain. Et si cela ne me plaît pas, je ne me force jamais à lire, même après conseils de lecteurs. Effectivement, tout art est affaire de goût à respecter. J'ai tenté 3 fois " Voyage au bout de la nuit ", suis-j"e pour autant une piètre lectrice ? Bonnes fêtes de fin d'année à toute la communauté. Fanny
Je suis venu au Labro écrivain par le cinéma. J’ai bien aimé les films qu’il a tournés dans les années 70 (L’hétitier, Sans mobile apparent, L’alpagueur,..). Il était admirateur et aussi ami, je crois, de Melville et l’on peut dire que son cinéma faisait honneur à celui de son maître.
Il me semble qu l’on a commencé à parler du Labro auteur au mitan des années 80, lorsqu’il a publié « L’étudiant étranger ». C’est en tout cas le premier roman que j’ai lu de lui. Sa vision des campus américains donnait vraiment envie de les fréquenter. Evidemment, il s’agissait de l’Amérique des années 50 et l’on peut se demander si le récit ne fleurait pas déjà un petit parfum de nostalgie. Quoi qu’il en soit, cette lecture s’est révélée pour moi très agréable, le style me semblait simple et direct avec ce qu’il faut d’auto-dérision pour que l’évocation de sa jeunesse fasse pardonner la naïveté de certaines descriptions.
C’est ensuite que cela s’est gâté. Un livre de lui m’est tombé des mains, « Des cornichons dans le chocolat », niaiserie déroutante où Labro écrit ce qu’il croît être le journal d’une ado de treize ans. Malheureusement, tout sonne faux, c’est mal écrit (M. Labro pensait peut-être que les adolescentes écrivent nécessairement mal), plein de redondances et de répétitions inutiles, en un mot inintéressant*. Mon expérience s’est poursuivie (et conclue) avec, beaucoup plus tard, «Tomber sept fois, se relever huit », la narration de son épisode dépressif. De nouveau, un style pénible à lire, une syntaxe hasardeuse, un vocabulaire pauvre. Et surtout, un récit où transpire à chaque page l’égo surdimensionné de l’auteur, ce que ne suffit pas à justifier le fait qu’il y relate une expérience personnelle. Il existe des récits plus passionnants sur le sujet.
Voilà, mon expérience s’est arrêtée là, pensant qu’il était dommage que le romancier ait supplanté le cinéaste. Quand la tribune enthousiaste de Lisa Laroche me donne aujourd’hui à penser que peut-être n’ai-je pas, après « L’étudiant étranger », fait les bons choix, dans ma sélection des œuvres de l’auteur...
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* Enfin pour moi ! Fanny Dumond3 a un avis totalement opposé sur la question.
@Lisa Laroche
Merci beaucoup pour cet article sur un homme que j'apprécie à plus d'un titre. J'ai l'impression que Philippe Labro est plus connu comme journaliste, homme de radio, de télé que comme écrivain alors qu'il a écrit plus d'une vingtaine de romans, certains primés, qu'il a failli à deux reprises décrocher le Goncourt (peut-être désavantagé par le côté touche-à-tout du personnage, en France on aime bien que les gens restent dans leur case) et que la qualité de son écriture (si Labro était auteur de BD, il serait adepte de la ligne claire) le place bien au-dessus du vulgum pecus de la profession et de ceux (parfois les mêmes) qui trustent les premières places en terme de ventes.
À la différence de vous Lisa je n'ai pas lu beaucoup de livres de Labro, je me souviens avoir adoré ceux de sa période "américaine" et j'ai dans ma liste de lectures "La traversée" (ce phénomène de mort imminente me fascine, et la "caution" qu'y apporte un type de la trempe de Philippe Labro m'incite à approfondir le sujet) ainsi que "On a tiré sur le Président", autre sujet qui me fascine (Marc Dugain, un autre passionné des USA, a aussi écrit un bouquin remarquable sur les Kennedy "Ils vont tuer Robert Kennedy").
Et je n'oublie pas Labro parolier, qui en 1970, a offert à Johnny Hallyday un de ses meilleurs albums "Vie".
Donc Lisa, merci mille fois pour ce "Les classiques et moi" empreint de nostalgie et d'amour de la littérature.
Passez de bonnes fêtes de fin d'année.
Ah oui ! Je me souviens d'avoir lu et beaucoup aimé " Des cornichons au chocolat ", sous le pseudo Stéphanie. Merci pour votre tribune sur votre écrivain préféré. On n'écrit jamais mieux que sur un sujet qui nous tient vraiment à cœur. Bonnes fêtes de fin d'année à vous. Fanny
Vous me donnez envie de découvrir cet écrivain !