J'en peux plus de Mariah Carey. Moi non plus je n’ai pas besoin “a lot for Christmas”. Ils n’ont pas changé la playlist depuis l'an dernier. Tous les quarts d’heure ça recommence. Après celle-là, ce sera Jingle Bells, puis George Michaël. “Last Christmas I gave you my heart”. Pourquoi je suis revenue. Mais pourquoi je suis revenue. Sortez-moi de là. Je me l'étais promis l'an dernier à Noël à la fin de la mission intérim. Cette année, ma pote m'avait promis de me filer son plan pour la récolte des huîtres. Mais elle s'y prise trop tard, ça ne m'étonne pas d'elle. Plus de place. Obligée de revenir là. Au moins j'aurais vu la mer, les mouettes, le grand air. A la place j'ai l’odeur de graillon du fast food d’à côté mélangé aux effluves du parfumeur d'en face. Ça prend à la gorge. Je me retrouve accroupie toute la journée, à remettre en rayon des chaussettes aux motifs burger, dinosaures ou Pat'Patrouille, mais aussi des boîtes de jeux apéritif, des bols de ramen avec baguettes et des stylos roses à plume. C’est dingue le nombre de choses inutiles que les gens achètent. Là encore ça va, on est que le 11 décembre, ce n’est pas encore le rush. Ça se balade tranquillement. C’est mercredi donc cet après-midi on aura des collégiennes qui viendront errer dans les rayons en bande, faire des story en essayant les boucles d’oreille et les cache oreille. Le matin, c'est la valse des mamies, liste de cadeaux écrite à la main, qui prennent le temps de choisir pour chaque petit enfant. Encore ce matin, à l'ouverture : "Excusez moi jeune fille, est ce que c'est bien cela l’avon High Monster Rainbow ?". Elle te raconte que son petit-fils, qu'elle ne voit qu’à Noël, grandit si vite mon Dieu, qu'elle ne sait pas ce qu'elle achète mais que ça devrait lui faire plaisir. Je lui explique comment fonctionne le jeu. Elle me remercie chaleureusement. Au moins j'ai encore l'impression d'être utile à quelque chose. Mais plus les jours défilent, plus je deviens transparente. Les clients ne captent même pas que je suis là. Ils débarquent, toujours au téléphone, les écouteurs dans les oreilles. “Nan mais c’est nul ça, vous auriez pas autre chose ?” Tu crois qu’ils te parlent mais en fait non, ils sont en réunion sur Teams en même temps. Je ne suis pas plus importante que ce bol de ramen qu’ils sont si pressés de payer. Noël est un truc en plus sur la to do list. Revoilà Maria Carey. La seule chose qu’elle veut pour Noël “it’s you”. J'aurais bien aimé avoir un you moi aussi. Cette année, j'avais même cru un temps passer Noël avec lui. J'aurais rencontré sa sœur et ses parents, on aurait fait un sapin ensemble. On se serait balader dans les rues illuminées et ça nous aurait donné envie d'avoir des enfants. 2 ou 3. Ils deviendraient des petits garçons qui voudraient des High Monster Rainbow ou des collégiennes avec des boucles d’oreilles. Il est parti à la fin de l’été. L'hiver est là et il est encore là, partout, comme une chanson de Mariah Carey. On s'était rencontré il y a un an pendant mes pauses. Il bossait au fast food d’à côté. Dans quelques jours ça fera un an. Et revoilà George Michaël maintenant. “Last Christmas, I gave you my heart”. Au dernier Noël, je lui avais offert mon cœur.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci infiniment pour vos commentaires chaleureux. C'est si précieux. Joyeuses fêtes de fin d'année. Amande
@Amanda Keraz
Bravo pour ce texte plein de vie mais aussi de tristesse et de solitude. Vous avez su croquer avec beaucoup d'humour (grinçant) cette frénésie de Noël, mais aussi ce qu'elle a parfois bien du mal à masquer. Je vous souhaite de belles fêtes, plutôt sans Maria et Michaël because all you want is NOT them ! Merry Christmas !
Caroline
@Amande Keraz
Que d'émotion dans cette nouvelle qui d'écrit si bien combien ces fêtes carillonnées et supposées joyeuses peuvent être un vrai déchirement pour tant d'autres. Merci d'avoir pensé à eux, la joie se partage plus facilement que la tristesses.
Antonia
Bravo Amande, ce n’est plus seulement de l’écriture, c’est du reportage !
Une pensée émue pour toutes celles, et pour tous ceux qui doivent gagner leur croûte et sont conduits à offrir leur personne en pâture à l’hystérie annuelle contre de maigres salaires. Saravah les caissières ! saravah les responsables de rayons ! les manutentionnaires et les mareyeurs main dans la main ! saravah les scieurs de sapins ! saravah les petits fabricants de jouets ! saravah les tueurs de bestiaux, les plumeurs de dinde, les gaveurs de canards, et les fabricants de boudins ! Et un saravah spécial à Amande ! Vraiment, ce calendrier est une mine !
@Amande Keraz Eh bien, voici une nouvelle dont le ton et le style collent bien au monde d'indifférence et de superficialité que vous décrivez !
Comme vous, je suis allergique aux voix de parturientes, mais peut-être votre héroïne devrait-elle quand même tenter de chanter au serveur du fast-food d'à côté : "All I want for Christmas is you, you, baby". Qui sait, un de ces miracles de Noël servis par les téléfilms américains qui défilent sur nos écrans à longueur de week-end en ces périodes de fêtes pourrait-il se produire... Baby y est peut-être sensible, lui ;-).
Merci pour cette contribution amusante et joyeuses fêtes de fin d'année, chère Amande,
Michèle
Cela me rappelle le livre " les tribulations d'une caissière", qui fut adapté au cinéma. L'actrice qui jouait le rôle de Solweig était Deborah François. C'est son visage que je voyais en lisant votre nouvelle. Bravo pour le style.
@Amande Keraz
Comme disait Louis Mariano dans une de ses chansons
Donner son cœur… pour un bouquet de fleurs, ho la la la, c’est magnifique.
Déjà dans les années 50/60 y avait des chanteurs qui encourageaient le don d’organes. Je vois que vous êtes pour. Mais se retrouver avec un organe en moins, c’est blessant, ça saigne un certain temps.
C’est le jeu !
Bravo pour cette vendeuse occasionnelle de jouets et à la chute.
FF