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Le 09 déc 2024

STENDHAL ET LA PERTE DE SA MERE.... NOEL 1790

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Stendhal se livre de façon éparse : "Tout mon malheur peut se résumer en deux mots : jamais on ne m'a permis de parler à un enfant de mon âge. (…) "à cette époque de la vie si gaie pour les autres enfants, j'étais méchant, sombre, déraisonnable… " (p. 112, éd. Folio classique). Résumer ainsi son enfance est étonnant – ou sentimental ? Pas assez au sens de l’époque ?

Alors, entre la pré-révolution et le Consulat, autrement dit, entre ses cinq ans et seize ans, que s’est-il passé ?

Une enfance et une adolescence, assez discrètes : creusées par la mort d’une mère tant aimée, fin 1790, dans une calamiteuse fin de grossesse. Henri a sept ans. C’est un séisme en silence, mais persistant. Sept ans, bien sûr, c’est l’âge de raison, lui disent les adultes. De quoi vous faire préférer l’amour et la déraison. Avec, en fond d’écran imaginaire, l’évasion, la liberté.

Mais quoi !

 Il faut se coltiner la perte d’une mère, on n’en a qu’une, et accepter de voir quand même son père indifférent et avocat. Alors, grandir, oh oui ! Grandir et s’enfuir enfin, être libre et vivre à sa façon, croiser la gloire et lui faire payer le deuil injuste d’une mère, on n’en a qu’une et elle était douce, si douce !

Perdre sa mère à sept ans, imaginez-vous cela, oui, sept ans avec sans doute encore des cheveux longs, c’était la mode à cette époque, et au revers de sa veste un gros-grain de deuil, peut-être aussi un brassard de crêpe noir. Un enterrement à Ornans, le tableau de Courbet, au Musée d’Orsay, déploie cette atmosphère sombre qu’un chien seul sur la droite égaie en portant son regard vers la droite du tableau, la vie, l’avenir.

Un enterrement à Ornans, Gustave Courbet - Musée d’Orsay

Un enterrement à Ornans, Gustave Courbet - Musée d’Orsay

Mais les animaux ne semblent guère présents autour de ce petit Henri, enfant épinglé tel un papillon debout dans la douleur ou pire, son absence. Quels sont alors ses rêves et ses nuits ?

À Noël 1790, il n’y a plus de mère en la maison du grand-père Gagnon ; autour de lui le deuil se porte, et sans doute lui a-t-on fait épingler au moins le crêpe noir au revers de sa redingote ; et il a senti son âme et son cœur épinglés tout en un. Où qu’il tourne son regard, le jeune Henri ne voit rien qui l’exalte, rien, même pas les montagnes, et encore moins la nature.

Il hait la nature, elle vit, elle continue et c’est un cycle, oh si niais ! Le mont Rachais, dernier contrefort de la Chartreuse et simili-montagne au-dessus de la ville, ne s’appelle pas encore la Bastille, et les hauteurs comme Seyssins sont encore campagnardes. On l’y emmène peut-être ? Ou pas.

Plus tard, il y eut là un savant fou et génial qui, dans sa maison de campagne faisait exploser sa chimie jusque vers les grands platanes. Et, laissant à demeure une bonne (à tout faire), l’épouse effacée mais tenace se réfugiait près de la place Grenette, rue Phyllis de la Charce, à l’appartement sombre aux doubles rideaux empesés de poussière à cire. Ses enfants, mes cousins, sont des scientifiques géniaux et discrets : CEA, commissariat à l’énergie atomique, CNRS et Harvard.

Ce détour familial à dessein n’évite qu’un temps la question du petit Henri avec son deuil de mère. On ne s’en remet jamais. Il n’en parlera pas. J’ai beau arpenter du regard et crayon en main, la somme de ses Écrits intimes : il n’y a rien. C’est-à-dire : tout.

En chaque amour, une mère s’alanguit et meurt. Comment demeurer (*de mère-et) le même si tout vous a été retiré en une nuit tissée de silence ?  Et toi, comment as-tu dormi, petit homme de sept ans ?  On n’est pas sérieux quand on a dix-sept, selon Rimbaud, mais à sept ans, on l’est terriblement.

 

Marie Berchoud

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Quel texte puissant, @Marie Berchoud ! (Heureusement, une amie m'avait prévenue : "Les textes de Marie se méritent")Vous avez su capter avec une délicatesse infinie la douleur diffuse d'un petit Henri, figé dans un deuil que ni les montagnes ni la nature ne peuvent consoler. Ces mots sur la perte de la mère résonnent longtemps après la lecture. Il est une évidence que tous les Noëls ne sont pas "gingle bells".
Votre écriture convoque des images riches et inattendues – le tableau de Courbet, ces papillons épinglés, et cette haine pour une nature trop vivante face à l'injustice du deuil. J'ai eu un pincement au cœur en imaginant cet enfant, si sérieux, si écrasé par l'absence, et pourtant habité d'une force qui le pousse à rêver d'évasion.
Et cette question finale, "Et toi, comment as-tu dormi, petit homme de sept ans ?" – quelle merveille ! Elle reste là, suspendue, presque accusatrice envers notre propre humanité. Un texte profond et bouleversant, merci pour cette pépite.
Désolée d'avoir été si bavarde, mais je n'ai pas voulu me retenir. Merci encore chère Marie.

Publié le 10 Décembre 2024

@Marie Berchoud
Un récit quelque peu éloigné de Noël certes, mais néanmoins touchant et instructif. Une part d'ombre de ce grand écrivain qu'on ne connaît pas nécessairement.

Publié le 09 Décembre 2024

Il est vrai que ce garçonnet de sept ans a dû passer un bien triste Noël après la mort de sa mère en novembre. Une mère au sujet de laquelle il écrivit plus tard : "Je voulais couvrir ma mère de baisers et qu’il n’y eût pas de vêtements. Elle m’aimait à la passion et m’embrassait souvent, je lui rendais ses baisers avec un tel feu qu’elle était souvent obligée de s’en aller. J’abhorrais mon père quand il venait interrompre nos baisers."
Merci pour cette contribution passionnante et passionnée, chère @Marie Berchoud, et joyeuses fêtes de fin d’année,
Michèle

Publié le 09 Décembre 2024

Perdre sa mère un jour de Noël... et devenir Stendhal.
Si ma mémoire est bonne, Réné Char disait que c’est en assistant à l’agonie de son père, en entendant l’homme se déchirer dans la souffrance, que lui est venue son inspiration poétique. Les grandes tragédies seraient-elles un sublime carburant ?
Merci, Marie, pour ce texte directement branché à la mamelle littéraire. Relire Stendhal auprès du poêle le 24 décembre... tu viens de me donner une idée.

Publié le 09 Décembre 2024

J’ai du mal à trouver dans ce texte bien écrit, certes, notre sujet de Noël.
FF

Publié le 09 Décembre 2024