Lucien n’avait jamais vraiment aimé Noël. À 47 ans, il s’était fait à l’idée de passer la soirée seul, sans sapin, sans guirlandes, et surtout sans cette famille qu’il jugeait "envahissante". Son programme : se réfugier dans son fauteuil, un verre à la main, pendant que sa dinde surgelée continuait de prendre la poussière au fond de son congélateur.
Il venait à peine de s'installer, lorsque la sonnette retentit. Un coup sec, inattendu.
"Qui peut bien déranger ma tranquillité un soir de Noël ?" marmonna-t-il en traînant les pieds jusqu'à la porte.
Un livreur, emmitouflé dans un gros manteau, se tenait là, un colis volumineux entre les mains.
— Livraison pour vous, dit-il, d’un ton neutre.
— J’ai rien commandé, répondit Lucien, prêt à refermer.
— Si, si, c’est pour vous, insista le livreur, en désignant l'étiquette
Lucien soupira. "Il me manque plus que ça…"
Il attrapa le colis pour avoir la paix et referma la porte derrière lui. Dans sa cuisine, il ouvrit le carton. À l’intérieur, une dinde crue, des petits fours soigneusement alignés, et une bouteille de vin qu’il n’avait jamais espéré goûter dans sa vie : Hospices de Beaune Pommard 2008.
"Ils se sont plantés. Mais après tout…"
Il déboucha la bouteille, versa un verre généreux, et entama le premier petit four avec une satisfaction coupable. La dinde fut enfournée. Lucien resta planté devant le four, hypnotisé par la lueur dorée qui enveloppait la volaille. Un verre, deux verres…
À chaque gorgée, il repensait à ces moments où il avait dépanné des gens. Une voisine du rez-de-chaussée, qui l’appelait à chaque fois que son évier fuyait. Un ami de passage, qui avait profité de son canapé pendant une semaine après une rupture difficile. Rien de bien extraordinaire.
Et puis, il y avait Marie. Elle, c’était différent. Toujours souriante, un petit mot gentil à chaque fois qu’ils se croisaient dans le couloir. Il l’avait aidée à emménager, sans trop réfléchir. Puis, une autre fois, pour un meuble à monter. Et une autre encore, quand son ballon d’eau chaude avait décidé de lâcher un dimanche.
Lucien secoua la tête, légèrement étourdi par le vin et par ses souvenirs. Non, impossible. Trop jolie, trop parfaite pour ce genre de geste. Pourquoi ferait-elle ça, elle qui semblait toujours si occupée, si loin de mes préoccupations ? Il se versa un autre verre, essayant d’échapper à cette idée qui s’infiltrait malgré tout.
À 22 heures, un second coup de sonnette brisa le silence. Lucien, vacillant, se traîna jusqu'à la porte. Il l’ouvrit, le cœur battant.
Marie se tenait là, un dessert dans les mains.
— Alors, elle est rôtie, cette dinde ? lança-t-elle avec un clin d'œil.
Lucien resta figé un instant, cherchant ses mots.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
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@Alice Houan
Je suis sûr que cette histoire arrive plus souvent qu’on ne le croit.
En tous cas, dans sa simplicité, c’est une belle histoire de Noël.
Tout près du conte.
Bravo !
FF