Interview
Le 15 fév 2024

Derrière les animaux, les hommes ? Par Daniel Mauleine

Il n’y a pas à dire, quel que soit le genre que l’on affectionne, la littérature fictionnelle regorge de bestioles en tous genres. Mis en scène par les fabulistes grecs, ou très récemment pleuré par un maître inconsolable dans un grand succès de librairie, l’animal sauvage ou domestique colonise depuis toujours les pages de nos volumes. Mais pourquoi, diantre, le trouve-t-on si souvent galopant, miaulant ou aboyant au fil des pages ? Quelles raisons poussent donc les auteurs, même les plus sérieux, à lui offrir ainsi une place de choix dans leurs ouvrages ?
Tribune monBestSeller : Un article de Daniel Mauleine Derrière les animaux, les hommes ?

Du poil, de la plume et de l’écaille de toutes parts...

Un rapide tour d’horizon ne nous laisse aucun doute…

Au VIe siècle avant notre ère, Ésope convoquait déjà le loup et le héron pour les faire deviser dans une fable plaisante. N’est-ce pas aussi un serpent perfide qui, dans la Genèse, jette l’espèce humaine dans d’éternelles difficultés ? Dans un horizon historique plus proche, le Moyen Âge ne se passionne-t-il pas à son tour pour les aventures d’un goupil facétieux nommé Renart ? Au Grand Siècle, ce sont nos souvenirs de récitations qui nous désignent l’illustre Jean de La Fontaine, maître en l’art de mettre en scène des animaux qui nous ressemblent. Et, même après le tumulte de la Révolution, ces derniers ne sont pas oubliés, loin de là ! Pensons, par exemple, aux délicieux dialogues de Toby-chien et Kiki-la-Doucette nés sous la plume attendrie de Colette, ou encore aux destins tantôt ordinaires, tantôt terribles des bêtes qui peuplent l’imaginaire des écrivains réalistes ou naturalistes. À l’aube d’un siècle nouveau, c’est Hector Malot qui nous offre avec Joli-cœur, petit singe attachant, et les trois chiens de Sans-Famille, l’une des plus touchantes illustrations de ce bestiaire littéraire. J’allais oublier, tant les exemples foisonnent, de mentionner les merveilleux compagnons de Delphine et Marinette qui vont jusqu’à s’attaquer aux problèmes d’arithmétique de l’école publique de l’entre-deux-guerres… Bref, vous l’avez compris : comiques ou émouvants, pathétiques ou irritants, nobles ou ridicules, les animaux peuplent nos histoires.

 

Animal qui es-tu ?

Et la première raison sans doute de cette omniprésence réside dans la place de choix qu’ils occupent aux côtés des humains de toute éternité, les animaux de la ferme tout d’abord. Voilà que s’explique le succès du coq Chanteclerc à l’époque médiévale ou, bien plus tardivement, l’accueil extraordinaire réservé aux Contes bleus et rouges de Marcel Aymé par une France encore très rurale. Mais c’est indiscutablement avec les chats ou les chiens que notre relation se montre la plus forte. Nos compagnons du quotidien se muent alors en poignants personnages. Le Chien Mathieu, dans La Joie de vivre d’Émile Zola, est sans nul doute l’une des plus vibrantes figures animales de la littérature. Sa présence continuelle, son affection sans mesure en font un protagoniste à part entière. Croc Blanc, personnage éponyme du roman de Jack London, n’est-il pas son unique héros ? L’animal fascine l’écrivain, car sa présence et le don inconditionnel de son amour demeurent toujours un mystère. Privé de la parole, il constitue un véritable appel à l’imagination, et l’auteur, par la magie de l’écriture, investit et remplit les vides laissés par la nature.

 

Vous avez dit anthropomorphisme ?

Et étant homme avant toute chose, il le fait en dotant l’animal de ses capacités et caractéristiques propres. Et voilà nos comparses poilus ou griffus qui se mettent à parler, à penser ou à s’organiser en des sociétés qui ressemblent trait pour trait aux nôtres.

Car pour rendre hommage à l’animal, pour exprimer la réciprocité de l’amour qui le lie à lui ou plus simplement pour le mettre en scène au cœur d’une action, l’écrivain ne dispose pas d’autres mots ni d’autres outils d’analyse que ceux qu’il utilise d’ordinaire. Et voilà que se lève la cohorte des paons orgueilleux, des porcs complexés, des chevaux nonchalants… Les animaux de nos récits nous ressemblent souvent jusqu’à nous représenter.

Et dans ce cas, les motivations pour ouvrir nos créations à leur présence varient et se combinent presque à l’infini.

Bien sûr, la volonté de se distraire vient immédiatement à l’esprit. Ces bêtes, qui parlent et pensent, nous séduisent. Si l’on se tourne du côté de la bande dessinée, on s’amuse franchement aux réflexions de Milou, d’Idéfix ou de Jolly Jumper. Car ces compagnons nous tendent un miroir ; le même qu’au siècle des Lumières imposait les Persans de Montesquieu à la cour de France. Nous découvrons alors le reflet critique de nos comportements et habitudes vus par l’autre, par cet animal à la fois proche et étranger, qui s’étonne et dont la candeur fait éclater nos imperfections, nos vices ou nos défauts. Songeons à la cruauté du pauvre bougre stupide qui fait mourir de faim Coco, le vieux cheval innocent de Maupassant pour se venger du mauvais sort que la société lui réserve. Rappelons, l’injustice faite à l’âne misérable, bouc émissaire sur lequel les Puissants de La Fontaine crient « Haro ! ». Dans Germinal, le terrible destin de Bataille et Trompette, infortunés chevaux condamnés à la mort dans l’obscurité du Voreux, constitue bien évidemment un moyen supplémentaire pour fustiger l’iniquité du sort réservé aux mineurs de la Révolution industrielle…

Autant d’exemples qui soulignent qu’à l’évidence l’animal, par l’attendrissement, le rire ou la compassion qu’il suscite, se révèle aussi un moyen d’éveiller les consciences, de critiquer, de mettre en doute et de faire évoluer nos propres comportements.

 

Je m’arrête, car je suis comme toujours trop bavard… Un chien facétieux le noterait sûrement d’un trait d’humour dans un roman comique… Mais si à la lumière de ces modestes réflexions, les idées vous viennent, que des souvenirs de lecture ou d’écriture vous assaillent, alors, n’hésitez pas, commentez, complétez, critiquez cette tribune, et… au plaisir de vous lire !

 

Daniel Mauleine

 

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Bravo ! Super article instructif qui complète bien votre génial extrait qui l'a beaucoup amusé !
Merci

Publié le 22 Février 2024

@Parthemise33
Je vous remercie de votre retour et de votre participation à la discussion.
De mon côté vous avez vu juste : les animaux font partie de ma vie réelle comme de mon univers fictionnel....
Bon week-end !

Publié le 16 Février 2024

@Daniel Mauleine
Laissons de côté Moby-Dick ou le K, créatures emblématiques sur lesquelles fantasmes les hommes qui rêvent de défier et asservir la Nature.
Vous m'avez surtout rappelé les lectures de mon enfance. Je sais que la Comtesse de Ségur n'est plus un auteur convenable, mais Dieu (oups !) sait si elle en a usé et abusé. Chez elle les animaux font partie de son monde. Il finissent assez souvent en "fricassée" (poissons découpés, oiseaux dévorés par les chats, hérissons noyés etc...) mais peuvent être aussi les héros de ses histoires comme Cadichon, Bonne-Biche, Beau Minon et encore plus. L'animal nous ramène peu ou prou à notre enfant intérieur. Un auteur cynique vous dirait : si vous voulez faire pleurer dans les chaumières et à Versailles, faites en baver des ronds de chapeaux à un enfant ou un animal. Le mieux c'est de mixer les deux (cf Sans famille) Combo gagnant. Merci Bisous Merci pour cette très intéressante chronique qui nous montre que, comme dans la vraie vie, la littérature ne peut se passer d'eux. Ils nous apportent la part de rêves dont nous nourrissons notre esprit

Publié le 16 Février 2024

@ Cortex3 @ Catarina Viti
Quel plaisir de lire vos réponses. J'ai hâte de découvrir vos figures animales !

Publié le 16 Février 2024

Bel article avec un corpus solide qui nous confirme que l'animal occupe une place significative dans la littérature, car il est signifié comme signifiant dans l'écriture, messager de notre condition humaine, qu'il reflète par effet d'anthropomorphisme ou révèle par un effet cathartique. Comment ne pas lire dans l'œil d'un animal tout son attachement ou sa détresse/joie au moment où nous croisons son regard, comment ne pas y voir l'émotion qui nous traverse. Corpus auquel je me permets d'ajouter le chien de ma nouvelle "Le Chien" (in "Collector", p.19 et s.) qui montre qu'un chien peut être plus que cela mais aussi autre qu'un animal, un avenir.
Merci pour cette tribune. Dommage que l'extrait de votre livre "Le Chien n'est pas un humain comme les autres" soit si court ! car c'est fin, et drôle, et addictif :)

Publié le 16 Février 2024

Comment nous voient-ils ? Que sommes-nous pour eux ?
Je fais partie des personnes qui ont grandi plus avec eux qu'avec les humains, et qui, en tout cas, ont développé leur affect avec eux, grâce à eux et à leur Grâce. Les animaux nous enseignent d'autres arts de communiquer, d'autres manières d'envisager la vie et la mort. Certains propriétaires sont convaincus d'éduquer leurs animaux sans réaliser que ces pauvres bêtes sont des anges de patience et d'abnégation. Je n'ai, jusqu'ici, consacré qu'un seul écrit à un chien ("Z") qui est l'ange rédempteur de son humain (Noir Animal), mais j'ai l'impression que votre tribune me titille le neurone. Merci, cher @Daniel Mauleine, pour cet article.

Publié le 16 Février 2024

@Laura Beslay
Mille mercis chère Laura de ce beau et passionnant commentaire qui me donne envie de plonger dans votre univers.
A bientôt donc ;-)

Publié le 15 Février 2024

Tout d'abord, merci pour cet article passionnant @Daniel Mauleine ! J'aime beaucoup l'idée selon laquelle "l'auteur, par la magie de l’écriture, investit et remplit les vides laissés par la nature." La conscience a ses bons et ses moins bons côtés. Nous avons beau accumuler tout un tas de réponses (obtenues de façons parfois discutables), nous n'en restons pas moins assaillis de questions. Certains mystères nous échappent. À portée de regard, ils se dissipent aussitôt que nous en effleurons les contours ... Qu'est-ce qu'il y a derrière les yeux d'un animal ? Nous lisons de l'amour, nous lisons de la peur ... Avec les mots, nous leur écrivons un caractère. Il a la couleur de leur allure, de leur comportement ou plus généralement de tout ce qui paraît puisque le reste est insaisissable.
Je me permets de faire une proposition : en les humanisant, ne cherchons-nous pas à partager avec eux le fardeau de la conscience ? Après tout, ils sont ce que nous étions avant qu'elle ne mette la pagaille dans nos têtes. L'anthropomorphisme, réconfortant, nous permettrait alors de nous sentir moins seuls dans le vaste monde.
D'ailleurs, le titre pourrait aussi dire : derrière les hommes, les animaux. Cet état d'amour inconditionnel est inscrit quelque part dans nos gènes, fût un temps où tout comme eux, nous prenions la vie comme elle venait ... Les histoires que nous mettons sur pattes nous donnent l'occasion de ne faire de nouveau qu'un avec les (autres) animaux.
Encore merci pour cet article que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire :-)

Publié le 15 Février 2024