"Sous l’œil des poissons" : un titre qui, selon moi, convient parfaitement au livre. /// Qui a déjà fixé un poisson rouge dans les yeux sait ce qu’on éprouve alors : un étonnement. /// Si les yeux appartiennent bien a un organisme vivant, articulé en fonctions qui font même de lui un animal, ils reflètent cependant une inexpressivité abyssale et mortifère. /// Et c’est bien tout l’art de ce livre, que de nous donner à regarder se dérouler l’existence de personnages aux vies certes tumultueuses, rocambolesques parfois, mais au fond incroyablement vides et insipides. /// J’y vois volontiers le reflet d’une frange de notre société blanche, européenne et aisée, égocentrée, gâtée et pourtant éternellement insatisfaite, dont le passage sur terre ne laissera aucune trace (si ce n’est, à l’instar des poissons, leurs déjections au fond du bocal). /// Je trouve que l’auteur a réussi son coup en multipliant les personnages, treize au total (quelle gageure!) sans que cela ait pour autant la plus minime influence sur le cours d’une histoire. Comme si, en définitive, les jeux étaient joués d’avance et que personne, pas même le plus aventureux d’entre les personnages était en mesure de combler ce vide… sidéral. /// 13 voix formatées, presque identiques (à quelques variantes près) comme si l’auteur avait voulu ainsi signer le côté artificiel et amorphe d’une toute une époque. /// Voilà ce qui donne, selon moi, une valeur à ce texte, et en fait un « roman de notre époque » même si, honnêteté intellectuelle oblige, je confesse que cette lecture a souvent été contrariée par des imprécisions d’écriture dans certaines parties. Une relecture s’impose. /// En tout cas, voici un jeune auteur dont on peut dire qu’il ne manque ni d’énergie, ni de potentiel. Il s’est lancé un défi qui embarrasserait bien des écrivains chevronnés. Il vise très haut, et c’est essentiellement pour cette fabuleuse audace que je lui attribue la note maximale. /// Bonne chance, Pierre. J’aimerais tellement vous voir décrocher votre étoile (la "vraie"). /// Il faudra que nous discutions longuement sur cette vision du monde actuel où chacun campe fièrement dans sa bulle en verre sécurit.
Publié le 08 Octobre 2020