Ce n’est pas par hasard qu’on se retrouve édité par le célèbre Gallimard. Beaucoup d’appelés et très peu d’élus (5000 manuscrits reçus mensuellement ?). Vous, vous avez été éditée. Rien d’étonnant : votre écriture est ferme, élégante, sobre et précise. Pas un seul tremblement, aucun faux pas. Des phrases découpées au rasoir, pesées et posées à leur juste place. L’art de la digression, du fondu-enchaîné. Une grande maîtrise du verbe, un style salvateur.
Au-delà de la forme exquise du texte, une partie du fond m’a grandement interrogée. (Je veux parler des relations avec votre maison d’édition, l’autre étant, à mes yeux, les rapports de l’écrivain à l’écriture.)
Je ne vais relever que les points principaux :
Le manque d’attitude collaborative : je suis étonnée d’apprendre qu’un auteur puisse être ainsi « livré à lui-même ». Tout l’intérêt de travailler avec un éditeur réside justement dans l’idée d’une collaboration fructueuse. Une collaboration « gagnant-gagnant » où toutes les étapes, de la réalisation à la diffusion du livre, sont travaillées ensemble. Où l’on communique régulièrement, parfois chaque jour, sur l’élaboration du manuscrit en cours, où l’on se rencontre pour en parler, où l’éditeur joue effectivement un rôle de mentor, d’accoucheur. (je parle par expérience).
La légèreté : l’anecdote concernant le titre de votre ouvrage m’a carrément sidérée. Il est parfois délicat de trouver un titre, mais quand le cas se présente, le moins qu’on puisse envisager est une réunion de travail ! Quant à la validation d’un titre, elle ne se fait qu’après une recherche poussée dans les moteurs de recherche du catalogue des éditeurs.
Le manque de clarté : tous les invendus finissent par être passés au pilon. C’est une règle de fonctionnement qui devrait être mentionnée au contrat. Si ce n’est pas le cas, l’auteur est informé par lettre de la date du pilonnage et de la possibilité que lui offre l’éditeur de se porter acquéreur de tout ou partie du stock à prix réduit.
En bref, je me félicite de n’avoir aucun texte digne d’être présenté à votre éditeur !
Mais cela me conduit à quelques réflexions à propos de l’idée que nous nous faisons, nous auteurs, de l’édition. Être édité n’est pas l’aboutissement d’un processus, ce n’est qu’une étape. « L’éditeur est un businessman comme les autres », une maison d’édition est une entreprise. Quand nous passons le seuil d’une maison d’édition, nous devons changer notre perception : notre livre n’est plus « notre bébé » ou un truc dans le genre, mais un « produit culturel ». Il est clair qu’après avoir passé des années à travailler sur un manuscrit, nous avons de facto perdu une grande part de notre objectivité, coincé que nous sommes dans notre « espace rêveur ». C’est pour cela que je me demande de plus en plus si nous sommes bien les personnes les mieux placées pour présider aux destinées de nos livres ou si nous ne devrions pas recourir, comme cela se pratique dans d’autres pays, aux services d’un agent littéraire.
En tout cas, grand bravo pour ce livre, merci pour ce partage et surtout bonne chance dans l’autoédition.
Publié le 17 Juin 2019